'"^''.2 lprc6entc^ to ÎTbe Xibrarç of tbc Taniveraitç of îToronto ^mi^-^'. ^^m t-f. ^ L E T T R E S EDIFIANTES ET CURIEUSE S ECRITES DES MISSIONS Etrangères par quelques Mif^ fionnaires de la Compagnie de Jésus. J X. RECVEIL. A PARIS,^! Chez NicoiAS LE Clerc, rue S. Jacques , à l'Image S, Lambert. M D C C X I, Avec- At^rebiitisn é- Privilège Au Royi AUX JESUITES DE FRANCE. es REVERENDS PeRES, Il J ^ trois ans quon ne 'VOUS a fait part des Lettres E P I s T R E. que nous écrivent les Mijjton- naires de nojlre Compagnie qui font aux Indes ^ a la Chine ^ " ç^ dans les autres Contrées opt nous avons des O uvriers Evan- géliques, Je ne doute pas que ce retardement ne vous ait fait de la peine : fen juge par tin- terejl que vous prene:^ aux progre^ de l'Evangile dans les pais infidèles ^ ç^par t affection oue vous porte:^ a ces chères A4i(fions ^ ou plujteurs d entre "VOUS fe Jeroient con/acre;(^ de^ puis longtemps ^ s'ils avoient ejlé les maiflres de fuivre les mouvemens de leur :(^ele. Retenus en Europe par des raifons Jupérieures aujquelies il Ë P I s T R E. d fallu njous conformer ^ njous dvie^ du moins la confoUîion d'apprendre chaque année les hénédiélions que Dieu répand fur les travaux de tant dhom^ mes Apofloliques ; vous prenie:^ part a leurs croix c^r à leurs peines ^ ^ vous vous fentie:^ excite':^^ a contribuer par vos prières ^ & par les autres mo^ yens que vojire Tiele vous fug- géroit ^ a la converfion des Peu- ples quils injlrui/ent. Vous ave"^ donc eu raifon de vous plaindre ;je vous avoue- ray mefme que vous nave:(^ pas eflé les feuls a nous faire des reproches : des perfonnes dif tinguées par leur rang & par a iij E F I s T R E.- kurpiête^ nous ont founjent te-^ moignè la-dejfus un emprejje- ment ^ quon ne doit attribuer qua t ardeur quelles ont pour l'agrandijjement de t Empire de J E s U S^C H R I s T j é^pQUr la converfion de tant de Nations Idolaftres^. Cejl pour cela\, mes Renje- rends Pères , que chargé depuis peu de tems du foin de recueiU lir ces Lettres ^^ de les mettre en eflat de "vous ejlre commu- niquées ^ je nay pas cru devoir dijférer d'un moment à "vous donner cette fatis faction ^ & à procurer en mefme temps a tant de Perfonnes pieujes ^ un pUiJtr quelles ont paru fouhaitter avec E P I s T R E» quelque Jorte dimpatimce. Le nounjeau B^ecueil que je njoHS préje?7te ne manquera pas de "VOUS rappeller le Jowvenir dpù Père le Gobien^ a qui njousejl^S redevables' des premiers ^ (^ de renouveller la douleur que vous' a'Ve:^ eu de le perdre. Vous ïho" noricTl de voflreeflime & de vo- fire amitié : je m crains pas de di- re quil mèritoit tune & t autre par les excellentes qualité:^ dsjon ejprit & de fin cœur. Ceux qui Ivnt le plus pratiqué^ confirment chèrement la mémoire des vertus' dont il leur a donné de orands exemples. Son égalité dame ^ fa douceur inaltérable ^ fia patience' dans les douleurs les plus vives ^, a iiij E P I s T R E. Jon djj-ahilite qui luy concilioit tous les cœurs ^ fa modération ^ fa droiture _, fa charité toujours bienfaipcnte , tant d'autres ver- tus qui le faijoient chérir de Dieu & des hommes ^ ejloient l'effet de tEmpire ahjolu quil avoit acquis fur Jes pajjions^ Aujjinapperçut-on jamais en lui de ces faillies d'humeur qui ne laijfentpas d'échaper quelquefois aux âmes les plus parfaites. Son :^êle ejloit infatigable ^ ^ je puis ajoufler^ fans quon me foupçonne d'exagération ^ quil en a ejle la viélime. La maladie qui tenlevaenf peu de jours ^ ne njenoit que d'un exce:^ de travail j auquel un tempe- E P I s T R E. rament plus robufle que le fen ^ duroit infailliblement Juccombê, La manière dure anjec laquelle il Je traittoit luj~mejrne\, & le peu de foin quil avoit de ména- ger fa fantè ^ ejloit peut-ejlre le feul reproche quon eufipûjufie-- ment luy faire. Le don particulier quil eut de conduire les âmes dans les ojoyes de la perfeélion Juy avoit attiré la confiance d'une infinité de Perfonnes : a "voir tafiiduité quil apportoit a un fi pénible miniflere^ on eufldit quil ne s'oc-- cupott que de cet emploj ; mais d'un autre cofic ceux qui furent témoins des peines & des foins quil fe donna pour faire fleurir a ¥ ÉP rsT R E. Us Mijjîons^ lors quil en fut charge j ^ pour procurer aux Adiffionnaires tous les fècours- dont il ejloit capable ^ avoient de ' la peine a s'imaginer quilpufi: fnffire a d'autres f on fiions. Je me perfuade yYnes Rêve- rends Pères ^, qu'en vous offrant ce Recueil a la fuitte de tant dt autre s que le Père le Gohien- ^ous apréfenteT^^ vous approu* njere'^ un devoir fi ]u^e que je rends comme en payant a fa mémoire, fefpere de mefme que "VOUS fere:^ à ces Lettres un ac- cueil aujp favorable que vous l'^ve:<^ fait a toutes celles qui vous ont eflé communiquées les 4rmées précédentes, J'ofe dire ëpisTrë. quelles ont également dequoy plaire aux Perfonnes curieufes ^ Cjr dequoy fatisfaire la piété de tant d'autres qui sintéreÏÏent aux progre:(^ de la Bsligion. ^ La première de ces Lettres a' déjà eu ï approbation dujçavant Prélat a qui elle ejl adrejjee. Le déffein du Père Bouche t efi de montrer par des conjeéîures qui njous paroijlront ^Jje:(^ bien f on-- dées ^ que ces Peuples ont eu au-- trefois commerce avec les Juif s ^ quils ont puisé la vérité dans leurs livres ^ mais que dans la^ Juitte des temps ils l'ont entic- rement défigurée par une infinité de fixions ^ ou fe porte naturel- lement le génie d'une nation trés^ E P I s T R E. paJJJonnce pour la Poejie, Perfonne ne pouvoit parler pins sûrement que le Père Bou-- chet fur cette matière : ceux qui en ont écrit anjant luy ^ tombent d'accord que les connoifpikces quils ont acquijes font fort Ju- perficieîles^ Ils nont eu dhabi- tude qua-vec les Indiens qui font répandus fur les cofles : or ces Indiens font eux-mefmes très- peu injlruits des principes de leur Religion ; les Brames ^ qui font les fçavans du Pdis _, ont une attention particulière a ne pas laijjerpajjèr leurs li'vres end au- tres mains : ils croiroient prof Or- ner leur doèlrine _, s'ils la ren- doient trop commune. D'ailleurs E P I s T R E. il y nja de leur interefl de cacher aux Peuples ces fortes de connoif-- fances : s'ils les avaient une fois initie'^ à leurs Mjfteres ^ ils ne feroïent plus conjulte:^^ & ils je verraient hientojl decheoir de ce haut rang de dtjlinclion^ou ih ne Je maintiennent que par li~^ dee extraordinaire quon a de leur fiience. Ces difficulté'^ que trouvent les Europeans a /inftruire de la Do firme des Indiens^ le Père Bouchet a fçufe les applanir : il a pmttré bien avant dans les terres ^ où il a fait un Je jour de plus de vingt années : parmi plus de vingt mille Idolajîres^ a qui il a eu le bonheur d'admimflrer EPISTRE. kfaint Baptefme^ il sefl trou- njé plujieurs Brames ^ de ceux mefme qui font en réputation dans le pais ^ & qui pajjentpour ejlre les plus habiles :il a eu par leur moyen ces livres dont leurs fçavans font un f grand mjjfe- re ; & comme il fait parfaite- ment leur langue , il les a leu avec attention : outre cela], dans les chofes qui avoient hefoin de quelque explication ^ il a eu de longues & de fréquentes confé- rences avec les Brames convertis; ; enfin il na rien omis de tout ce qui ejioit ne ce (faire pour connoif- tre a fond le plan ridicule de R^e- ligion que ce peuple sefl formé. Ce mefme Mijfwnnaire nous' I EPIS T RE. promet encore plujieurs autres o5- Jernjations quilafaitjur la Mé- decine des Indiens ^ fur leurs ma^ ximes de morale ^ & mejme fur leur Poefte, J'auray foin de les inférer dans les Recueils des an^ nées fuiuantes ^ a mefure queL les me tomberont^ntre les mains.. Ce que le Père Bouchet rap- porte dans fa Lettre au Père Baltus de l'Empire que les Dé- mons exercent fur les Idolajîres _, . & du pouvoir que les Chref tiens ont fur les Démons ^ne fe- ra peut-eflre pas dugoufl de cer- taines Perfonnes _, qui fe font' un mérite deparoiflre un peu in- crédules. Mais outre que le té-^^ moirage d'un homme comme le^ E P I s T R E, J^ere Bouchet ^ dont la capacité efl connue ^ çy dont la prokté ne peut cjlre fufpecle y..fujjît pour perfkader tout ejprit raifonnahle; pourroit -on en njenir JHjqua dé- mentir tout a la fois les Mif- fionnaires ^ lesChrcjliens ^ & les Gentils me fme ^ quijont témoins oculaires de cette venté > V^ous verre:^ dans la Lettre du Père Chavagnac que le mefme pro- dige s'opère a la Chine : on af- Jure que rien nejl plus commun aux Ijles de l'Amérique y ceux de nos Pères ^ qui travaillent dans CCS Mijfîons _, nous ont Jouvent rapporté o^ue les Infi- dèle s y Jont cruellement maltrait- tc^ du Démon ^ ^ que le JeuL EPISTRE. moyen qu ils ayent de Je délivrer de fa tyrannie ^ cefl iemhrajjer le Chriflianijme, Les Héréti- ques mefme ^ quon naccufera Pas d'efire trop crédules ^ nont pu Je dijpenjer d'en convenir dans leurs Frelations ^ lors qu'ils parlent des mœurs çy des couf- tûmes de ces Peuples. Quil nous ejî conjolant ^ mes Bjsverends Pères ^ de voir fub- fifter encore de nos jours dans ces Chrefliente'^naijfantes ^ une des merveilles qui Jurprenoit Jtjort au temps de la primitive Eglijè ! Quoy de plus propre a affermir les Fidèles dans la Foy _, a con^ fondre les mauvais Chreftiens & les Hérétiques ^ ^ a nous EPISTRE. faire fentir que le Dieu que noua adorons efl le mejme dans tous les temps çy dans tous les lieux > Les autres Lettres que njous trouz'ere:^^ dans ce liecueil^ ^ous feront connoiflre les grandes ef pérances quon a détendre de plus en plus l'empire de Jes0S- Christ dans les Royaumes Jdolaflres, Vous y njerre:^^ néan- moins ^ fur tout dans celles dw Père Martin^ quune des peines qui touche le plus fenfihlement les Mijfonnaires ^ efl de trouver fouuent une moijfon abondante fans pouvoir la recueillir faute de Catêchijles \ cejl alors que la. profejfton qu ils font de lapau^ vreté Evangélique ^ qui leur ejl- EPISTRE. Ji chère ^ leur devient en quel- que Jarte oncreuje. Il Je trouve en Europe des Perjonnes dx piété ^ qui dans des momens de ferveur:, fou- haitteroient d'ejly^ tranfportées tout - à - coup dans ces terres infidèles ^ pour jy annoncer Je- sus-Christ aux Peu- ples qui Ugnorent : ce font la. de ces faints mouvemens qui font fi^ériles en eux-mefmes ^ mais qu'on pourroit rendre ejfi- caces fans quilen coujlajl beau- coup. Avec une fomme affe:^ légère qui fujfit pour t entre tien des Catéchijles ^ on a la confia- tion de contribuer chaque année a la converfon d'un grand nom- E P I s T R E. ire didolaftres : un Mijfton^ naireje multiplie en cjuelque forte luy-mefme ^ en âiflnhuant ces Catechifies dans les divers en* droits de fa Mijjton ^ au il ne peut parcourir que l'un après l'autre ; ainfi au mejme temps que dans une de Ces Eglifes il administre les Sacremens du Bap^ tejme^de la Pénitence^ & de ÏEuchariflie a un grand nombre de Peuples ; par le moyen de Je s Catechifies ^ il infiruit dans plufiéurs autres les Catéchumè- nes j il fortifie les nouveaux Chrefiiens dans la Fojj ^ ilgagne plufiéurs Infidèles ^ J E s u s- Christ. L'indigence ou fe trouvent E P IS T R E. ceux qui gouvernent ces Eglifes naijjantes^ les prive d'unjecours fi necejptire pour tetahlijjement de la Religion ; c3r cefl peut- efire la feule choje qui put je re- tarder iœuvre de Dieu : car^ grâces au Ciel^ on na point à craindre la dijette des Mijjïon- naires ; ce nefl pas feulement en France ^ parmi vous ^ mes Révérends Pères ^ quon fait paroijlre de i ardeur pour fe dé- voiler aux Mijfions les plus éloignées & les plus pénibles ; vn trouve le mefme "^é le parmi les autres Jefuites répandus dans les dijférens Royaumes de l'Europe : ilj en a aBuellement plus de quatre-'Vingtfur les cof E P I s T R E. tes d'EJpagne ^ qui ri attendent que la commodité dun emhar^ quement pour pajpr dans le non- n)eau monde : plufeurs autres njenus d* Allemagne ont déjà îranjerfé une partie de la Fran- ce ^ & font encore en chemin ^ AU moment que je njous écris ^ pour aller fe joindre à un fi grand nombre dOuuriers Enjangeli- €mes, La Pologne foi foit aujji ejpé- rerun renfort de fervens jMif- fionnaires : mais iljy a de l'ap- parence quelle ne fera de long- temps en eflat de fournir ce fe- cours aux Notions infidèles. Une pefie ravagea tannée der- nière ce grand Royaume ; qua^ E P I s T R E. tre-njingt dow^ejejkitesy mou- rurent la mejme année aujer'vi- ce des Peuples qui furent atta- que:^ d'un mal fi contagieux : on nous a ennjoyé la lifle de leurs noms ^ Cir des Villes ou ces hom- mes "vrayement ^pofioliques ont facrifiè génereufement leur vie dans l exercice de la plus héroï- que charité.. Nous ne plaindrons point leur fort ; au contraire nous bénirons le Dieu des mifericordes de ce que ^ par fa grâce qui nous fou- tient ^ les périls ^ les outrages ^ la mort mefme ^ loin de rallen- tir le T^éle que nous avons héri- té de nos Percs _, ne fervent qua le réveiller davantage j O" a E P I T R E. ïuy donner de nouelle s forces. Je me recommande à njosjaints Sa- crifices^ & fuis avec tout le rej^ peéîpofible. MES REVERENDS PERES, Voftre trés-humble & trés-obcifïànt ferviteur J. B. Du Halde, delà Compagnie de JE SUS. LETIUB LE T T R E DU PERE BOUCHE T, de la Compagnie de Jefus, Miffionnaire de Madure, ôc Supérieur de la nouvelle MiC fîon de Carnate. A Monfeigneur l'ancien Evefque £ Avranches. ONSEIGNEUR, Les travaux d*un homme Apoftolique dans les Indes IX.Kec. A a Lettres de quelques Orientales font fî grands & fi continuels, qu'il fembleque le foin de prêcher le nom de J. C. auxidolâtres , &: de cultiver les nouveaux Fidelles, foit plus que fuffifant pour occuper un Mif- llonnaire tout entier. En effet, dans certains temps de Tannée, bien loin d'avoir le loifir de s'appliquer à Tëtude , à peine a-t-on celuy de vivre ^ & fou- vent le Millionnaire eft forcé de prendre fur le repos de la nuit, le temps qu'il doit donner à la prière , &: aux autres exer- cices de fa profeffion. Cependant , Monfeigneur, dans quelques autres faifons, & mefme dans certaines heures d'une bonne partie des jours, nous nous trouvons aflez en li- berté , pour pouvoir nous dé- lafTer de nos travaux par quel- que forte d'étude. Notre foin MiffîonnaiYes de la C. de J. 5 alors eft de rendre nos dëlafîe- niens mefme utiles à notre fain- te Religion. Nous nous inftrui- fons dans cette vue des Scien- ces qui ont cours parmy les Idolâtres, à la converlîon des- quels nous travaillonsjôcnous nous efforçons de trouver juf- ques dans leurs erreurs, dequoy \qs convaincre de la vérité que nous venons leur annoncer. C'eftdans ce temps , où les occupations attachées à mon miniflere m*ont Iziffé quelque loifir , que j*ay approfondi, au- tant qu'il m'a été poffible , le fyftême de Religion reçu par- my les Indiens. Ce que je me propofè dans cette Lettre , Monfeigneur, eft feulement de vous mettre devant les yeux, & de rapprocher les unes des autres quelques conjedures ^ qui font, cerne lèmble, capa- Aij 4 Lettres de quelques blés de vous interefler. Elles vont toutes à prouver que ks Indiens ont tiré leur Religion des Livres de Moyfe , & des Prophètes : que toutes les Fa- bles dont leurs Livres font remplis , n*y obfcurciiTent pas tellement la vérité, qu'elle foie méconnoifTable : éc qu'enfin , outre la Religion du Peuple Hébreu , que leur a apprife, du moins en partie, leur com- merce avec les Juifs & les Egyptiens , on découvre en- core parmy eux des traces bien marquées de la Religion Chré- tienne , qui leur a été annon- cée par l'Apôtre S. Thomas, par Pantccnus , & plufieurs au- tres grands Hommes , dés les premiers fiécles de TEglife. Je n'ay point douté , Mon- feigneur , que vous n'approu- vaflîez la liberté que je prends Mi.dtonnaires de la C de J. j de vous adrefler cette Lettre. J'ay cru que des reflexions, qui peuvent fervir à confirmer ôc à defFendre notre fainte Reli- gion, dévoient naturellement vous être preientées. Vous y prendrez plus de part que per^ fbnne , après avoir démontré ^ comme vous Tavez fait , la ve. rite de notre foy par la plus va:. fte érudition , & par la plus cxa6le connoiflànce de ranti* quité facrée ôcprophane. Je me fouviens , Monfei - gneur , d'avoir lu dans votre gavant Livre de la Demonfl tration Evangelique , que la Dodrine de Moyfe avoit pé- nétré jufqu'aux Indes : Et vo- tre attention à remarquer dans les Auteurs tout ce qui s*y ren- contre de favorable à la Reli- gion , vous a fait prévenir une jpartiedes choies que j'auroîs à A iij i Lettres de quelques vous dire. J*y ajoûteray donc feulement ce que j'ay décou- vert de nouveau fur les lieux^ par la lecture des plus anciens Livres des Indiens , &. par le commerce que j'ay eu avec les Sçavants du Païs. Il eft certain , Monfeigneur^ que le commun des Indiens ne donne nullement dans les ab* iîirditez de rAthéifine. Ils ont des idées ailez juftes de la Divinité , quoyqu'alterées Sc corrompues par le culte des Idoles. Ils reconnoilTent un jDieu infiniment parfait , qui exifte de toute éternité , qui renferme en foy les plus excel- lens attributs. Jufques-là rien de plus beau , 5c de plus con- forme au fentiment du Peuple de Dieu fur la Divinité. Voicy maintenant ce que Tldolatrie MiJJionnaires de la C. de J, 7 y a malheureufemenc ajouté. La plufpart des Indiens aC furent que ce grand nombre de Divinitez qu'ils adorent au- jourd'huy , ne font que des Dieux fubalternes ôc fournis au Souverain Eftre, qui eft éga- lement le Seigneur des Dieux & des hommes. Ce grand Dieu^ difent-ils , efb infiniment élevé au-defTus de tous les Eftres 5 & cette diftance infinie empê- clioit qu'il eût aucun commer- ce avec de foibles Créatures.- Quelle proportion en effet , continuent- ils, entre un Eftre infiniment parfait, 6c des Eftres créez remplis, comme nous^ d'imperfections & de foibleC {qs ? C'eft pour cela mefme, fe-= Ion eux , que Parabaravaftou^ c*eft-à-dire, le Dieu ftipreme ^ a créé trois Dieux inférieurs, içavoir , Bruma , Vtchnou , & A iiij 8 Lettres de quelques Routren. Il a donné au premier la puifTance de créer , au fé- cond le pouvoir de conferver, & au troifiéme le droit de dé- truire. Mais ces trois Dieux , qu^a- dorent les Indiens , font , au fentiment de leurs Sçavants, \^s Enfans d'une femme, qu'ils appellent Parachatti , c'eft-à-. dire , la PuiJSance fuprème. Si Ton réduifoit cette fable à ce qu'elle eftoit dans fon origine^ on y découvriroit aifément la vérité , toute obfcurcie qu'elle eft par les idées ridicules que l'eiprit de menfonge y a ajou- tées. Les premiers Indiens ne vou- loient dire autre chofe, fînon, que tout ce qui fe fait dans le monde , ioit par la création , qu'ils attribuent à Eruma^ foit par la confervation , qui efb k P^' Mifionnaires de la C. de J. ^ partage de T^ichnou , foit en^ mi par les différents change- mens 5 qui font Touvrage d(^ Routren^ vient uniquement de la puiflance abfoluë du Para^ haravaftou , ou du Dieu (uprê- me. Ces efprits charnels ont fait enfuire une femme de leur Parachaiti^ &C luy ont donné trois ènfans , qui ne font que les principaux effets de la tou- te-puiffance. En effet, Chatti^ en langue Indienne , fîgnifîe Puiflance, & ParUy fiiprême, ou abfbluG. Cette idée qu'ont les In- diens d'un Eflre infiniment fu- périeur aux autres Divinitez, marque au. moins que leurs Anciens n'adoroient effedive- ment qu'un Dieu, & que le Polythéifme ne s'eft introduit' parmy eux , que de la maniè- re dont il s'çft répandu dans^ A V ïo Lettres de quelques tous les Païs Idolâtres. Je ne prétends pas , Mon:- fèigneur , que cette première connoillance prouve d'une ma- nière bien évidente le com- merce des Indiens avec les Egyptiens ou avec les Juifs^ Je fçais que ians un tel fècours TAuteur de la Nature a gravé cette vérité fondamentale dans Teiprit de tous les hommes, & qu'elle ne s'àltcre chez eux que par le dérèglement & la corruption de leur cœur. C^efl: pour la même raifon que je ne vous dis rien de ce que les In* diens ont penfé fur l'immor^ tahté de nos âmes , & fur plufieurs autres veritez fem- Diables. Je m'imagine cependant que vous ne ferez pas fâché de fçavoir comment nos Indiens trouvent expliquée dans leurs Millionnaires de la Cdé J. l'x' Auteurs , la refTemblance de rhomme avec le fouverain Eftre. Voicy ce qu'un Sçavant Brame m'a alTuré avoir tiré fur ce fùjet d'un de leurs plus an- ciens Livres. Imaginez - vous , dit cet Auteur, un million de grands vafes tous remplis d'eau , fur lefquels le foleil répande les rayons de fa lu- mière. Ce bel aftre,quoy qu'u- nique 5 fe multiplie en quelque- forte , & fe peint tout entier en* un moment dans chacun dé- cès vafes 3 on en voit par tout une image trés-relTemblante.- Nos corps font ces vafes rem. plis d'eau: le foleil eft la fi- gure du fouverain Eftre : & l'i- mage du foleil peinte dans cha- cun de ces vafes , nous repre- fente afièz naturellement no- tre ame créée à la refTemblance' de Dieu mefme, A vj il Lettres de_ quelques Je pafle , Monfeigneur , à quelques traits plus marquez, & plus propres à fatisfaire un difcernement auffi exquis que le voftre. Trouvez bon que je vous raconte icy fimplemenc les chofes telles que je lesay ap- prifes. Il me feroit fort inu- tile , en écrivant à un auilî fçavant Prélat que vous , d*y mefler mes reflexions parti- culières. Les Indiens, comme j'ay eu riionneur de vous le dire , croyent que Bmyna eft celuy des trois Dieux fubalternes, qui a reçu du Dieu fuprême la puiflance de créer. Ce fut donc Bruma^ qui créa le pre- mier homme : Mais ^ ce qui fait à mon fUjCt, c'eft que Bruma forma Thomme du limon de la terre encore toute récente. U eut à la vérité quelque peine *^i^onnaireS de la C. dej. 15 â finir fon ouvrage. II y revint à {)Iuiîeurs fois, ôc ce ne fut qu'à a troifiéme tentative , que ks niefures fè trouvèrent juftesv La fable a ajouté cette der- nière ci r confiance à la vérité 5 & il n'eft pas furprenant, qu'un Dieu du fécond ordre ait eu befoin d'apprentiflage , pour créer Tliomnie dans la parfaite proportion de toutes \qs par- ties où nous le voyons. Mais Ci \qs Indiens s'en étoient tenus à ce que la nature , bc proba- blement le commerce des Juifs leur avoient enfeigné de l'u- nité de Dieu , ils fe fcroienc auflî contentez de ce qu'ils avoient appris par la même voye de la création de l'iiom- me : ils fe ieroient bornez à dire, comme ils font après l'E- criture fainte , que l'homme fut formé du Union de la terre T4 Lettres de quelques tout nouvellement fortie des mains du Créateur. Ce n'eft pas tout, Monfei- gneur^ Tliomme une fois créé par Bruma , avec la peine donc je vous ay parlé , le nouveau créateur fut d'autant plus char- mé de fa créature qu'elle luy avoit plus coûté à perfection- ner. Il s'agit maintenant de la placer dans une habitation di- gne d'elle. L'Ecriture eft magnifique ,-. dans la defcription qu'elle nous- fait du Paradis Terreftre. Les Indiens ne le font gueres moins dans les peintures qu'ils nous tracent de leur Chorcam, C'eft, félon eux, un Jardin de délices où tous les fruits fe trouvent en abondance. On y voit mef- me un arbre dont les fruits communiqueroient l'immorta- Uté, s'il eftoit permis d'en man- 'MïMonnaîres delaCdeJ. ïf ger. Il fèroit bien étrange, que des gens qui n'auroient jamais entendu parler du Paradis Ter- reftre , en euflent fait , fans le fçavoir, une peinture fi rellèm- blante. Ce qu'il y a de merveilleux^ Monfeigneur , c'eft que les Dieux inférieurs , qui dés la création du monde fe multi- plièrent prefque à Tinfini , n'a- voient pas , ou du moins n'ef- toient pas feurs d'avoir le pri- vilège de Timmortalité , donc ils fe fèroient cependant fore accommodez. Voicy une Hif- toire que les Indiens racontent à cette occafion. Cette Hiftoi- re toute fabuleule qu'elle eft, n'a point aflurément d^autre origine , q^^ ^^ Dodrine des Hébreux, &peut-eftre mefme; celle des Chrétiens. L^s Dieux , difent nos In-^ %6 'lettres de quelques diens, tentèrent toutes fortes de voyes pour parvenir à Tim- mortalité. A force de cherdier, ils s'aviferent d'avoir recours à Tarbrede vi^ qui eftoit dans le Chorcam, Ce moyen leur réuifit , & en mangeant de temps en temps des fruits de cet arbre, ils fe conferverent le précieux Trefor, qu'ils ont tant d'intereft de ne pas perdre. Un fameux Serpent nommé Cheien^ s'apperçut que l'arbre de vie avoit été découvert par les Dieux du fécond ordre. Com- me apparemment on avoit con> fié à les foins la garde de cet arbre , il conçut une fî grande colère de la furprife qu'on luy avoit faite , qu'il répandit fur le champ une grande quantité de poifon. Toute la terre s'en reffentit , & pas un homme ne devoir échapper aux atteintes M i.IJi om aires de laC.de J. ty de ce poifon mortel. Mais le Dieu Chiven eut pitié de la na- ture humaine, il parut fous la forme d*un homme , & avala fans façon tout le venin , dont le malicieux fèrpent avoit in- fedé rUnivers. Vous voyez, Monfèigneur, <}u'à mefure que nous avan- çons \qs chofes s'éclaircijGTent toujours un peu. Ayez la pa- tience d'écouter une nouvelle fable que je vais vous raconter. Car , certainement je vous tromperois , iî je m'engageois à vous dire quelque choie de plus férieuXr Vous n^aurez pas de peine à y démefler THif- toire du Déluge, & les princi- pales circonftances que nous en rapporte rEcriture. Le Dieu Routren , ( c^eft le grand deftrudeur des Eftres créez , ) prit un jour la réfa- l8 Lettres de quelques lution de noyer tous les hom- mes , dont il prétendoit avoir lieu de n'eftrepas content. Son deflein ne put eftre fiiecret,qu - il ne fuft prellènti par Vichnou^ Confervateur des Créatures. Vous verrez , Monieigneur, qu'elles luyeurent dans cette rencontre une obligation biea eflentielle. Il découvrit donc précifément le jour auquel le Déluge devoir arriver. Soa pouvoir ne s'étendoit pas jufl qu*à fufpendre l'éxecution des projets du Dieu Routren. Mais auflî ia qualité de Dieu con- ièrvateur des chofes créées, luy donnoit droit d'en empêcher,, sll y avoir moyen , TefFet le plus pernicieux : & voicy la manière dont il s'y prit. Il apparut un jour à Sattia^ varti fon grand confident , ôC l'avertit en fccret qu'il y auroir Miffîormaires de la C. dej, 19 bien -tôt un déluge univerfeî, que la terre fèroit inondée , 6c que Routren ne prétendoit rien moins , que d'y faire périr tous les hommes, & tous les ani- maux. Il raflixra cependant qu'il n'y avoit rien à craindre pour luy , ôc qu'en dépit de Routren , il trouveroit bien moyen de le conferver , & de fe ménager à foy-même ce qui luy feroit néceilàire pour re- peupler le monde. Son deflein eftoit de faire paroiftre une Barque merveilleuse au mo- ment que Routren s'y attendroit le moins,d y enfermer une bon- ne provifîon d'au moins huit cens quarante millions d'ames & de femences d'Eftres. Il fal- loit au refte que Sattiavarti fe trouvaft au tems du Déluge fur une certaine montagne fort haute , qu'il eufl: loin de luy zo lettres de quelques faire bien reconnoiftre. Que!- que temps après Sattiavarti , comme on le luyavoit prédit, apperçut une multitude infinie de nuages qui s'afTembloient. Il vit avec tranquillité To- rage fe former fur la tefte des hommes coupables 5 II tom- ba du Ciel la plus horrible pluye qu'on vit jamais: Les ri- vières s'enflèrent , êc fe répan- dirent avec rapidité fur toute la furface de la Terre 3 la mer franchit ks bornes, &fe meC lant avec les fleuves débordez, couvrit en peu de temps les montagnes les plus élevées3 Ar- bres, animaux, hommes, Vil- les , Royaumes , tout fut fub- mergé : Tous les Eflires animez périrent 6c furent détruits. Cependant, S^/z/^x'^r//, avec quelques - uns de ks pénitens, s'etoit retiré fur fa montagne. Mi.ffionnaircs de la C. dej, n Il y attendoic le fecours dont le Dieu Tavoit afluré. Il ne laiflà pas d'avoir quelques mo-. mens de frayeur. L'eau , qui prenoit toujours de nouvelles forces, & qui s'approchoit in- fenfiblement de fa retraite, luy donnoit de temps en temps de terribles allarmes. Mais dans Pinftant qu'il fe croyoit perdu , il vit paroître la Bar- que 5 qui devoir le fauver. Il y entra incontinent avec les dé- vots de fa fuite : les huit cens quarante millions d'ames Se de iemences d'Eftres s'y trouvè- rent renfermées. La diiEcultc étoit de con- duire la Barque , & de la fou- tenir contre l'impétuofité des flots, qui eftoient dans unefu- rieufe agitation. Le Dieu T^i~ çhnou eut foin d'y pourvoir, car ûxx le champ il fe fît poiflbn., & zi Lettres de quelques il fe fervit de fa queue comme d'un gouvernail, pour diriger Je vailFeau. Le Dieu poiiTon 6c Pilote fit une manœuvre fi ha- bile , que Sattiavarti attendit fort en repos dans fon afyle , que \qs eaux s'écoulafiTent de defl[us la face de la Terre. Lachofe eft claire, comme vous voyez , Monfeigneur , bc il ne faut pas eftre bien péné- trant, pour appercevoir dans ce récit meflé de fables, &des plus bizarres imaginations , ce que les Livres Sacrez nous ap- prennent du Déluge, de TAr- che, &: de la con(èrvation de Noé avec fa famille. Nos Indiens n'en font pas demeurez - là 3 & après avoir défiguré Noé fous le nom de Sattiavarti^ ils pourroient bien avoir mis fur le compte de Bra^ ma les avantures les plus fin- Miffîonnaires de la C. de J, 23 guliéres de THiftoire d'Abra- ham. En voicy quelques traits, Monfeigneur, qui me paroiflènt fort reflemblans. La conformité du nom pour- roit d*abord appuyer mes con- jectures. Il eft vilible que de Brama a Abraham il n'y a pas beaucoup de chemin à faire • & il feroit à fouhaiter , que nos Sçavans , en matière d'Etymo- logies, n'en eulTent point ado- ptées de moins raifonnables, & de plus forcées, Q^ Brama ^ dont le nom eft fi femblable à celuy d'Abra- ham 5 étoit marié à une fem- me, que tous les Indiens nom- ment Sarafvadî, Vous jugerez, Monfeigneur , du poids que le nom de cette femme ajoute à ma première conjecture. Les xleux dernières fyllabes du mot Sarajvadi font dans la langue 14 lettres de quelques Indienne une terminaifon ho- norifique : Ainfi , F'adi , répond aiTez-bien à noftre mot Fran- çois , Madame. Cette termi - naifon fe trouve dans plufieurs nonis de femmes diftinguées. Par exemple , dans celuy de Parvadi^ femme à^Routren, Il eft dés - lors évident que les deux premières fyllabes du mot Sarafuadiy qui font proprement le nom tout entier de la fem- me de Brama , fè réduifent à Sara^ qui eft le nom de Sara^ femme d'Abraham. Il y a cependant quelque chofe de plus finguher. Brama, chez les Indiens, comme Abra- ham chez les Juifs , a efté le Chef de plufieurs Cafles , où Tribus différentes. Les deux Peuples k rencontrent mefme fort jufte fur le nombre de ces Tribus. A Ticherapali , où eft maintenant 'MiffionnaîresdeUCdeJ. zy maintenant le plus fameux Temple de Tlnde, on célèbre tous les ans une Fefte , dans la- quelle un vénérable Vieillard mène devant foy douze enfans, qui reprefentent , difent les Indiens , les douze Chefs des principales Caftes. Il eft vray que quelques Dodeurs croyenc que ce Vieillard tient dans cet- te cérémonie la placede^'/û:^- l2^»^ mais ce n'eftpas Topinion commune des Sçavans, nydu Peuple , qui difent communé- ment quQ Brama cfï le Chef de toutes les Tribus. Quoy qu'il en foit, Monfèi- gneur , je ne croy pas , que pour reconnoiftre dans la doctrine des Indiens celle des anciens Hébreux , il foit néceflaire que tout fè rencontre parfaite- ment conforme de part & d'autre. Les Indiens partagent i6 Lettres de quelques fouvenc à difFerentes perfon- nés , ce que TEcriture nous ra- conte d^une feule 5 ou bien rat femblent dans une feule, ce que TEcriture divife dans plufieurs. Mais cette différence , bien loin de détruire nos conjedures , doit fervir , ce me femble , à les appuyer. Et je croy qu'une ref femblance trop affedée , ne fe- roit bonne qu'à les rendre fuf pedes. Cela fuppofé , Monfeigneur, je continue à vous raconter ce que les Indiens ont tiré de THiftoire d'Abraham , foit qu'- ils l'attribuent à Brama , foie qu'ils en faflent honneur à quelqu'autre de leurs Dieux, ou de leurs Héros. Les Indiens honorent la mé- moire d'un de leurs Pénitens, qui, comme le Patriarche A- braham , fe mit en devoir de Milfionnaïres de la CJe J. 1 7 fàcrifîer fon Fils à un des ÎDieux du Païs. Ce Dieu luy avoir de- mandé cette Victime 5 mais il iè contenta de la bonne volon- té du Père , & ne foufFrit pas qu'il en vint jufqu a Texécu - tion. Il y en a pourtant qui difènt que TEnfant fut mis à mort , mais que ce Dieu le ref- iiifcita. J'ay trouvé une Coutume qui m'a furpris , dans une des Caftes qui font aux Indes : c'eft celle qu'on nomme la Cafte des Voleurs. N'allez pas croire, Monfèigneur, que parce qu'il y a parmy ces Peuples une Tri- Du entière de Voleurs , tous ceux qui font cet honorable métier , foient ralTemblez dans un corps particulier 5 ôc qu'ils ayent pour voler un privilège à Texclufion de tout autre. Cela veut dire feulement , que tous Bij 2 s Lettres de quelques les Indiens de cette Cafte vo* lent efFeclivement avec une ex- trême licence : mais par mal* heur, ils ne font pas les feuls dont il faille fe deffier. Apres cet éclairciflement , qui m'a paru nécefTaire j je re- viens à mon Hiftoire. J'ay donc trouvé que dans cette Cafte on garde la cérémonie de la Cir- concifion : mais elle ne fe fait pas dés l'enfance. C'eft envi- ron à rage de vingt ans. Tous mefme n'y font pas fujets , & il n'y a que les principaux de la Cafte qui s'y foumettent. Cet ufage eft fort ancien , ôc il feroit difficile de découvrir d'où leur eft venue cette cou- tume , au milieu d'un Peuple entièrement Idolâtre. Vous avez vil, Monfeigneur, l'Hiftoire du Déluge , 6c de Noé dans Vichnou^^ dans Sau JAiHîonnaîreidelaC.deJ, 29 iiavarti : celle d'Abraham dans Brama & dans Vichnou : Vous verrez encore, avec plaifir, cel- le de Moyfè dans les mefmes Dieux : ôc je fuis perfuadé que vous la trouverez encore moins altérée que les précédentes. Rien ne me paroift plus reC femblant à Moyfe que le F'ich' non des Indiens métamorphofé en Chrichnen. Car d^abord^ Chrichnen en Langue Indien - joe, fignifîe Noir. C'eft pour fai- re entendre, que Chrichnen eft venu d'unPaïsoù lesHabitans font de cette couleur: Les In- diens ajoutent qu'un des plus proches parens de Chrichnen^ fut expoie , dés fbn enfance , dans un petit berceau fur une grande rivière, où il fut dans un danger évident de périr. On l'en tira, & comme c'eftoit un fort bel enfant , on Tappor- B lij 50 Lettres de quelques ta à une grande Princeffe, qui le fit nourrir avec foin , & qui ie chargea enfuite de fon édu- cation. Je ne fçay pourquoy les In- diens ft font aviièz d'appliquer cet événement à un des parents de Chrichnen pluftoft qu'à Chri^ chnen mefrne. Que faire à cela"^ Monfèigneur ? Il faut bien vous dire les chofes telles qu'elles font, & pour rendre les avan- tures plus reflemblantes , je n'iray pas vous déguifer la vérité. Ce ne fut donc point Chrichnen ^ mais un de fes pa- rents, qui fut élevé au Palais d une grande Princefle. En cela la comparaifon avec Moyfe fe trouve défeclueufe. Voicy de- quoy réparer un peu ce dé* faut. Dés que chrichnen fut né , on Texpofa auffi fiir un grand MiJJîonnaires de la C. dej, 31 fleuve , afin de le fbuftraire à la colère du Roy, qui atcen- doit le moment de fa naifTan- ce pour le faire mourir. Le fleuve s'entr'ouvrit par refpect, & ne voulut pas incommoder de i^s eaux un dépoft fi pré- cieux. On retira l'enfant de cet endroit périlleux , & il fut élevé parmy des Bergers. Il fe maria dans la fuite avec les filles de ces Bergers , & il gar- da long-temps les troupeaux de ks Beaux-peres. Il fe diftingua bien-toft parmy tous ks corn- f)agnons, quilechoifirentpour eur chef II fit .alors des cho- fes merveilleufès en faveur des troupeaux, &: de ceux qui les gardoient. Il fit mourir le Roy, qui leur avoir déclaré une cruelle guerre. Il fut pourfui- vy par l^s ennemis , & comme \[ ne fè trouva pas en eftat de B liij 32 Lettres de quelques leur rcfîfter , il fe retira vers la mer : elle luy ouvrit un che- min à travers fon fein , dans lequel elle enveloppa ceux qui le pourfuivoient. Ce fut par ce moyen qu'il échappa aux tour- mens qu'on luy prëparoit. Qui pourroit douter après cela , Monfeigneur, que les In- diens n'ayent connu Moyfe, Tous le nom de VUhnou méta- morphofé tn Chrichnen} Mais à la connoillànce de ce fameux condudeurdu Peuple de Dieu, ils ont joint celle de plufieurs coutumes , qu'il a décrites dans ks Livres , & de plufieurs Loix qu'il a publiées , & dont Tob- fervation s'eft confèrvée après luy. Parmy ces coutumes, que les Indiens ne peuvent avoir ti- rées que des Juifs , & qui per. féverent encore aujourd*huy Miffîonnaires de la C. de J. 33 dans le Pais : Je compte, Mon- fèigneur , les bains fréquens , \qs purifications , une horreur extrême pour les cadavres , par Tattouchementdefquelsils le croyent fouillez. L'ordre dif- férent , & la diftindion de.^. Caftes, la Loy inviolable qui défend les Mariages hors de fa Tribu ou de fa Cafte particu- culiére. Je ne finirois point, Monlèigneur, fi je voulois épui- ièr ce détail. Je m'attache à quelques remarques , qui ne font pas tout-à-fait fi commu- nes dans Ittf Livres des Sça- vans. ^'ay connu un Brame trés- ile parmy les Indiens , qui m'a raconté l'hiftoire fuivan- te, dont il ne comprenoit pas luy-mefine le fens , tandis qu'il eft demeuré dans les ténèbres de l'Idolâtrie. Les Indiens font B V 34 Z et très de quelques un Sacrifice nommé Ekiam, ( c'eft le plus célèbre de tous ceux qui fe font aux Indes : ) Onyfacrifie un mouton. On y récite une efpéce de Prière^ dans laquelle on dit à haute voix ces paroles. Quand [era-^ce que le Sauveur naiftra ? Quand fera ' ce que le Redempeur fa<- foifira ? Ce Sacrifice d*un mouton, me paroift avoir beaucoup de rapport avec celuy de TA- gneau Pafchal. Car il faut re- marquer fur cela , Monfei- gneur , que comme les Juifs eftoient tous obligez de man- ger leur part de la Victime, auilî les Brames, quoyqu'ils ne puiflent manger de viande, font cependant difpenfez de leur abftinence au jour du Sa- crifice de VEkiam , & font obligez par la Loy de manger Miffîonnaires de la C dej, ^j du mouton qu'on immole 5 ôc que les Brames partagent en- tr'eux. Plufîeurs Indiens adorent le feu. Leurs Dieux mefine ont mimolé des Viâimes à cet Elé- ment. Il y a un précepte par- ticulier pour le Sacrince d'O- man y par lequel il eft ordonné de confèrver toujours le feu , Se de ne le lailler jamais étein- dre. Celuy qui affilie à VEkiam^ doit tous les matins & tous les foirs mettre du bois au feu pour l'entretenir. Ce foin îcrupuleux répond -allez jufte au Commandement porté dans le Levitique c. vi. v. 12. & 13, Jgnis in Alt an fempet ardebit , quem nutriet Sacerdos , fubjiciem ligna mané fer (ingulos die s. Les Indiens ont fait quelque choie de plus en confidération du feu. Ils fe précipitent eux-mefmes B vj 3^ Lettres de quelques au milieu des flammes. Vous jugerez, comme moy , Monfèi- gneur,qu*ils auroient beaucoup mieux fait de ne point ajoufter cette cruelle cérémonie à ce que les Juifs leur avoient appris fiir cette matière. Les Indiens ont encore une fort grande idée des fèrpents. Ils croyent que Q^^ animaux ont quelque chofè de Divin, & que leur vue porte bon- heur. Ainfi, plufieurs adorent \^% Serpents , ôc leur rendent les plus profonds reipcds. .^'ais ces animaux peu reccnnoif- iàns, ne laiffcnt pas de mor- dre cruellement leurs adora- teurs. Si le Serpent d'Airain^ que Moyfè montra au Peuple de Dieu , ôc qui guérifToit par fà feule vue , euft efté auffi cruel que les Serpents animez des In- des, je doute fort que les Juifs MiJUîonnaires de la C. dej. 37 euflent jamais efté tentez de Tadorer. Ajoutons enfin , Monfèi- gneur , la charité que les In- diens ont pour leurs Efclaves, Ils les traittent prefque com- me leurs propres enfans ^ ils ont grand foin de les bien éle- ver 5 ils les pourvoyent de tout libéralement 3 rien ne leur manque , foit pour le verte- ment , foit pour la nourriture^ ils les marient , & prefque tou- jours ils leur rendent la liber- té. Ne femble-t-il pas que ce Ibit aux Indiens, comme aux Ifraëlites, que Moyfe ait adref- ië fur cet article les préceptes que nous lifons dans le Levi- tique ? Quelle apparence y a - 1 - iî donc , Monfeigneur , que les Indiens n'ayent pas eu autre- fois quelque connoifTance de la 5 s Z et très de quelques Loy de Moyfe ? Ce qu'ils difent encore de leur Loy , & de^r^- ma leur Legiflateur , détruit, ce me femble , d'une manière ëvi» dente , ce qui pourroit refter de doute fur cette matière. Brama a donné la Loy aux hommes. C'efl: ce Vedam^ ou Livre de la Loy , que les In- diens regardent comme infail- lible. C'eft , félon eux , la pu- re parole de Dieu didée par VAhadam^ c'eft-à-dire, par ce- luy qui ne peut ie tromper , 6^ qui dit eflentiellement la vé- rité. LeF'edamy ou la Loy des Indiens , eft divifée en quatre parties. Mais , au fentiment de plufieurs dodes Indiens , il y en avoit anciennement une cinquième, qui a péri par Tin- jure des temps , ôc qu'il a efté impoflîble de recouvrer. Lqs Indiens ont une eftime MiJJîonnaiteîdelaCdeJ. 59 inconcevable pour la Loy qu'- ils ont reçue de leur Brama, Le profond reipecb avec le- quel ils Tentendent pronon- cer , le choix des perfonnes propres à en faire la ledure, les préparatifs qu*on doit y ap- porter , cent antres circonl - tances femblables ^ font par- faitement conformes à ce que nous fçavons des Juifs , par rapport à la Loy Sainte , & à Moyfe qui la leur a annoncée. Le malheur eft , Monièi- gneur, que le refpect des In- diens pour leur Loy, va juf- qu'a nous en faire un myftére impénétrable. J'en ay cepen- dant aflez appris par quelques Dodeurs , pour vous faire voir que les Livres de la Loy du prétendu Brama , font une imitation du Pentateuque de Moyfe. 40 Zettrei de quelques La première partie du Ve- dam , qu'ils appellent Irroucou^ vedam^ traite de la première cauiè , & de la manière dont le monde a efté créé : Ce qu'- ils m'en ont dit de plus iin- gulier ^ par rapport à noftre lujet, c'eft qu'au commence- ment il n'y avoit que Dieu & l'Eau 5 & que Dieu eftoit por- té fur les eaux. La reflemblan- ce de ce trait avec le premier Chapitre de la Genefe , n'eft pas difficile à remarquer. J'ay appris de plufieurs Bra- mes, que dans le troifiéme Li- vre, qu'ils nomment Sarnave^* dam , il y a quantité de pré* ceptes de Morale. Cet enfei- gnement m'a paru avoir beau- coup de rapport avec les pré- ceptes Moraux répandus dans l'Exode. Le quatrième Livre, qu'ils Mifftonnaires de la C dej. 41 appellent Adaranavedam , con- tient les difFërens Sacrifices qu'on doit offrir , les qualitez requifes dans les vidimes , la manière de baftir les Temples, & les diveries Feftes que Ton doit célébrer. Ce peut eftre la, fans trop deviner , une idée prife fur les Livres du Léviti- que & du Deutëronome. Enfin, Monfeigneur, de peur - qu'il ne manque quelque cho- fe au paralelle^: comme ce fut fur la fameufe montagne de Si- . naï que Moyfe reçeut la Loy, ce fiit auflî fur la célèbre mon- tagne de MahameroUy que Bra^ ma fe trouva avec le Vedam des Indiens. Cette montagne des Indes , eft celle que \^% Grecs ont appellée Meros ^ ott ils difent que Bacchus eft né , & qui a efté le fejour des Dieux. \.^^ Indiens difent encore au- 42 Lettres de quelques jourd^huy que cette montagne eft l*endroit où font placex leurs Chorchams y ou les difFé- rens Paradis qu'ils reconnoif- fent. N*eft-il pas jufte , Monfei- gneur , qu'après avoir parlé aC fez long - temps de Moyfe & de la Loy, nous difions auflî quelques mots de Marie fœur de ce grand Prophète ? Je me trompe beaucoup, ou fon hi- lloire n'a pas efté tout- à -fait inconnue à nos Indiens. L'Ecriture nous dit de Ma- rie, qu'après le paflage mira* culeux de la Mer rouge , elle afiembia les femmes Ifraëlites, elle prit des inftrumens de mufique , & fe mit à danfer avec &s compagnes, & à chan- ter les louanges du Tout-puif- fant. Voicy un trait aflez ièm - blable , que les Indiens racon- Millionnaires de la C, de J. 43 tent de leur fameufe Lakehou^ mi. Cette femme, auffi-bien que Marie fœurdeMoyfè, for- tit de la mer par un efpéce de Miracle. Elle ne fut pas pluf- toft échapëe au danger où elle avoit efté de périr, qu'elle fît un bal magnifique , dans le- quel tous les Dieux & toutes les Déefïes danférent au fon des inftrumens. Il me feroit aifé, Monfei- gneur, en quittant les Livres de Moyfè , de parcourir les au* très Livres hiftoriques de TE- criture , & de trouver dans la Tradition de nos Indiens , de- quoy continuer ma comparai- fon. Mais je craindrois qu*une trop grande exaditude ne vous fatiguaft. Je me contenteray de vous raconter encore une ou deux hiftoires, qui m'ont le plus frappé , & qui font 44 Lettres de quelques le plus à mon fujcc. La première qui fe prefente à moy, eft celle que les Indiens débitent fous le nom à'Ari^ chandiren, C*eft un Roy de rinde fort ancien, & qui, au nom & à quelques circonftan- ces prés , eft , à le bien pren^ dre, le Job de TEcriture. Les Dieux ie réunirent un jour dans leur Chorcam , ou, fi vous l'aimez mieux, dans le Pa- radis de délices. Devendiren le Dieu de la gloire préfidoit à cette illuftre affemblée. Il s'y trouva une foule de Dieux 6c de Déefïès 3 les plus fameux Pénitens y eurent auifi leur place , & fur tout les fept principaux Anachorètes. Après quelques difcours in- difFérens , on propofa cette queftion: Si parmy les hommes il fe trouve un Prince fans Miffionnaires delaCdeJ. 4y défaut. Prefque tous fouftin- rent qu'il n'y en avoit pas un fèul qui ne fuft fujet à de grands vices 5 ôc Vichouva-mou^ tren k mit à la tcfte de ce parti. Mais le célèbre Vachi^ chten prit un fentiment con- traire , & fouftint fortement que le Roy Anchandircn fon difciple eftoit un Prince "^^t- £^it, y^ichouva^moutren y qui, du génie impérieux dont il eft, n'aime pas à fè voir contredit, fè mit en grande colère , ôc afliira Iqs Dieux qu'il fçauroit bien leur faire connoiftre les défauts de ce prétendu Prince parfait , fi on vouloit le luy abandonner. Le défy fut accepté par Va- chichten , & l'on convint que celuy des deux qui auroit le deflbus, céderoit à l'autre tous \q^ mérites qu'il avoit pu ac- 4^ Zettres de quelques quérir par une longue péni- tence. Le pauvre Roy v^r/VA^». diren fut la vidinie de cette difpute. Vichouva-moutren le mit à toutes fortes d'épreuves. 11 le réduifit à la plus extrême pauvreté 5 il le dépouilla de ion Royaume 5 il fit périr le feul fils qu'il euft 3 il luy en- leva mefme fa femme Chandi- randi. Malgré tant de difgraces, le Prince fè fouftint toujours dans la pratique de la vertu avec une égalité d'ame, dont n'auroient pas efté capables les Dieux mefiiies qui Téprou- voient avec fi peu de ména- gement. Auffi l'en récompen- ferent- ils avec la plus grande magnificence. Les Dieux Tem- bralferent Tun après l'autre j il n'y eut pas jufqu'aux Déefles qui luy firent leurs compli- MiJ^onnairesdelaC.de'J. 47 mens. On luy rendit fa fem- me , & on reflufcita fon fils. Ainfî , Vichouva - moutren céda, fuivanc la convention, tous ks mérites à Vachichten , qui en fit préfent au Roy Arichandu ren ^ & le Vaincu alla fort à re- gret recommencer une longue pénitence , pour faire , s'il y avoir moyen , bonne provifion de nouveaux mérites. La féconde hiftoire qui me refte à vous raconter , Mon- fèigneur , a quelque cliofe de plus funefte , & reflemble en- core mieux à un trait de Thif toire de Samfon , que la fable à' Arichandiren ne reflemble à rhiftoircdejob. Les Indiens afleurent donc que leur Dieu Ramen entre- f)ritun jour de conquérir Cei- an. Et voicy le Itratagéme dont ce Conquérant, tout Dieu 4? Lettres de quelques qu'il eftoit , jugea à propos de fc fervir. Il leva une armée de Singes , ôc leur donna pour General un (Singe diftingué, qu'ils nomment j4nouman. Il luy fie envelopper la queue de {)lufieurs pièces de toile , fur efguelles on verfa de grands vafes d'huile. On y mit le feu, & ce Singe courant par les campagnes, au milieu des blés, des bois , des Bourgades , ôc des Villes , porta l'incendie par tout. Il brufla tout ce qui fe trouva fur fa route , & réduifit en cendres Tlfle prefque toute entière. Après une telle expé- dition la conquefte n'en de- voit pas eftre fort difficile , & il n'eftoit pas nécelfaire d'ef tre un Dieu bien puiflant, pour en venir à bout. Je me fuis peut - eftre trop arrefté , Monfeigneur, fur la conformité 'MifUonnaires de la C, de J, 4 9 conformité de la dodrine d^s Indiens avec celle du Peuple de Dieu. Jen feray quitte pour abréger un peu ce qui me ref- teroit à vous dire fur un fé- cond point, que j'eftois réiblu de foûmettre , comme le pre- mier, à vos lumières, &: à vo- ftre pénétration. Je me bor- neray à quelques réflexions af- fez courtes , qui me perfua- dent que les Indiens les plus avancez dans les terres , ont eu dés les premiers temps de TE- glife la connoiflance de la Re- ligion Chreftienne 3 êc qu'eux auflî-bien que les Habitans de la Cofte, ont reçu les inftruc- tions de S. Thomas, & des pre- miers Difciples des Apoftres. Te commence par l'idée con- fufe , que les Indiens confèr- vent encore de TAdorable Tru nité , qui leur fut autrefois IX.Kec. C jo Lettres de quelques prefchée. Je vous ay parlé ^ Monfeigneur , des trois prin- cipaux Dieux des Indiens , Bruma , Vichnou , & Routren. La plufpart des Gentils difenc à la vérité que ce font trois Divinitez différentes, bc effec- tivement réparées. Mais plu- fîeurs Nianigueuls ^ ou hom - mes Spirituels , aflurent que cqs trois Dieux féparez en appa- rence, ne font réellement qu'- un feul Dieu. Que ce Dieu s'appelle Bruma , lorfqu'il crée, ôc qu'il exerce fa Toute - puif. fance 3 qu'il s'appelle Vichnou^ lorfqu'il conferve les Eftres créez, &: qu'il donne des mar- ques de fa bonté 5 6c qu'enfin il prend le nom de Routren^ lorfqu'il détruit les Villes, qu'- il chaftie les coupables, ^ qu- il fait fentir les tS^ts de fa jufte colère. MiHiomaires de la C. dej, 51 Il n'y a que quelques années iQ\x Vichmu mè- tamorphofé en Chrichnen leur dit, auffi-bien qu'à Draupadi, qui eftoit prcfente , qu'il ne voyoit qu'un feul movcn de C hij j<î Lettres de quelques réparer un Ç\ grand mal. Que ce moyen eftoit la confeffion entière de tous les péchez de leur vie : que Tarbre dont le fruit efboit tombé , avoit fix coudées de haut5 ^^ mefure que chacun d'eux fe confefle- roit , le fruit s'efléveroit en l'air de la hauteur d'tme cou- dée, & qu'a la fia de la der- nière confeiîîon, il s'attache- roit à l'arbre , comme il eftoit auparavant. Le remède eftoit amer, mais il falloit fe réfoudre à en paf fer par là , ou bien s'expofer à la malèdidion d'un Pénitent. Les cinq Frères prirent donc leur party , & confentirent à tout déclarer. La difficulté eftoit de déterminer la femme à faire la mefme chofe , & on eut bien de la peine à l'y en- gager. Depuis qu'il s'agiftbit de parler de ïqs fautes , elle Visionnaires de la C. dej, 57 ne fe fentoit d'inclination que {)our le fecret ôc pour le Cu ence. Cependant, à force de Juy remettre devant les yeux \qs fuites funeftes de la malë- didion du Sanias * , on luy fît promettre tout ce qu'on voulut. Apres cette afliirance, TaiC né des Princes commença cet- te pénible cérémonie , & fit une confeffion très - exacte de toute la vie. A mefure qu'il Î)arloit , le fruit montoit de uy-mefme , & fe trouva feule- ment eflevé d'une coudée à la fin de cette première confef- iîon. Les quatre autres Prin- ces continuèrent à l'exemple de leur aifné , ôc l'on vit arriver le mefîne prodige 5 c'eft - à - dire , qu'à la fin de la confefl fion du cinquième , Je fruit efloit précifément à la hauteur * C'eft ainfi que les InJiens appellent leurs Pénitcns. 5^ Lettres âe quelques de cinq coudées. Il ne reftoit plus qu'une coudée 3 mais c'eftoic à Drau- fadi , que le dernier efFort ef- toit réfervé. Après bien des combats elle commença fa Confeffion, & le fruit s^efleva peu à peu. Elle avoit achevé, difoit-elle, oc cependant il s'en falloit encore une demi - cou- dée, que le fruit n'euft rejoint Tarbre d'où il eftoit tombé. Il eftoit évident qu'elle avoit ou- blié , ou pluftoft caché quel- que chofe. Les cinq Frères la prièrent avec larmes , de ne jfè pas perdre par une mauvaife honte 5 ôc de ne les pas enve- lopper dans fon malheur. Leurs prières n'eurent aucun efFet. Mais Chrichnen eftant venu au fecours, elle déclara un péché de penfée , qu'elle vouloit te- nir lecret. A peine eut-elle par- lé , que le fruit acheva fa cour- MiBormaires delà C àe J. 5 5 ïè merveilleufè , & alla de luy- mefmcs*attacher â la branche où il eftoic auparavant. Je finiray par ce trait, Mon- feigneur , la longue Lettre, que j'aypris la liberté de vous efcrire. Je vous y ay rendu compte des connoiflances que j'ay acquifes au milieu des Peu- ples de rinde , autrefois appa- remment Chreftiens,& replon- gez depuis lone-temps dans les ténèbres de Pldolâtrie. Les Miffionnaires de noftre Com- pagnie, fur les traces de Saint François Xavier,travaillent.de- {)uis un iîécle à les ramener^ à a connoiiTance du vray Dieu, & à la pureté du culte Evan- gélique. Vous voyez, Monfèigneur, qu'en mefmc temps que nous faifbns goufter à cqs Peuples abandonnez la douceur du c vj éo Lettres de quelques ^C joug de JesuS'Christ , nous tafchons de rendre quelque fervice aux Sçavans d'Europe, par les découvertes que nous faifons dans les Païs qui ne leur font pas aflez connus. Il n'ap- partient qu'à vous , Monfei- gneur , de fupplëer par voftre profonde pénétration, & par voftre coîTimerce affidu avec les Sçavans de l'antiquité , à ce qui pourroit manquer de nof- tre part aux lumières que nous acquérons parmy ces Peuples. Si ces nouvelles connoiflances font de quelque ufage pour le bien de la Religion , perfonne ne fçaura mieux les faire valoir que vous. Je fuis avec un pro- fond reiped, MONS El GNEUR, de V. G. Le très - Lumblc & trés-obeiïTant ferviteur , BoucHET, Miflionnairc de la Compagnie de J i s u s. LE T T R E DU PERE B O U C H E T, Miflîonnaire de la Compa^ gnie de J E s u s aux Indes. Au Père Battus de la mefme Compagnie, On REVEREND PeRE, P, C. J'ay leu avec un plaifir in- croyable voftre excellente ré- êr Lettres de quelques ponfe à THiftoire des Ora- cles. On ne peut réfuter .avec plus de folidité que vous le faites , les faufles raifons fur lefquelles eftoit appuyé le fy- ftéme dangereux que vous avez entrepris de combattre. Vous avez prouvé d'une manière invincible que les Dé. mons rendoient autrefois des Oracles par la bouche des faux Preftres des Idoles , & que ces Oracles ont cefle à mefure que le Chriftianifme s'eft eftably dans le monde fur les ruines du Paganifme & de Tldolâ- trie. Quoyqu'il foit difficile de rien ajoufter à tant de preuves convaincantes dont voftre Ou- vrage eft remply, & que vous avez puifées dans les Ouvra- ges des Pères de TEgliie, ôc des Payens mefme ^ j'oie néan- moins vous aiTurerque je puis Millionnaires de la C de J. 6^ encore vous fournir , en fa- veur du fentiment que vous fouftenez , une nouvelle dé- monftration , à laquelle on ne ^ peut rien oppofer de raifbn-* nable. Elle n'eft pas tirée comme les voftres, des monu- mens de l'antiquité , mais de ce qui fe pafle fouvent à nos yeux dans nos Millions de Ma- duré, & de Carnate, & dont j*ay moy.mefme elle témoin. J'ay eu l'avantage de con- facrer la meilleure partie de ma vie à prefclier l'Evan- gile aux Idolâtres des In- des , ôc j'ay eu en mefme temps la confolation de re- connoiftre que quelques-uns des prodiges qui ont contri- bué à laconverfion desPayens au temps de la primitive EgU- iè ^ fè renouvellent tous les jpurs dans les Chreftienrez , ^4 Lettres de quelques que nous avons le bonheur de fonder au milieu des Terres Infidelles. Ouy , mon Révérend Père, nous y trouvons encore main- tenant des preuves fenfîbles des deux véritez que vous avez fi bien établies dans la fuite de voftre Ouvrage. Car il eft certain en premier lieu , que les Démons rendent en- core aujourd'huy des Oracles aux Indes , &: qu'ils les ren- dent , non pas par le moyen des Idoles , ce qui feroit fujet à Timpofture & à Tillufion , mais par la bouche des PreC tres de ces mefmes Idoles , ou quelquefois de ceux qui font préfens quand on invoque le Démon. En fécond lieu , il n'eft pas moins vray que les Oracles ceflènt dans ce Païs , & que les Dém.ons y devien^ 'MiJJîonnaîres de la C. de 7. ^5 nenc muets & impuiflans à mefure qu'il eft éclairé de la lumière de PEvangile. Pour ef- rre convaincu de la vérité de ces deux propofitions, il fufïîc d'avoir pafle quelque temps dans la Miflîon des Indes. Si le Seigneur me fait la grâce de me rendre à cette chère Miffion que je n'ay quit- tée qu'à regret, 6c à laquelle je dois retourner inceilam- ment afin d'y confomm^r ce qui me refte de fanté & de vie j je vous envoyeray dans un plus grand détail certaines réponfes particulières & cer- tains Oracles qui ne peuvent avoir efté rendus que par le Démon. Il me fuffira aujour- d'huy de vous apporter quel- ques preuves générales qui ne laifleront pas de vous faire plaifir. ê6 Zettres de quelques Et pour commencer, Moir Révérend Père, C'eft un fait dont perlbnne ne doute aux In- des, 6c dont l'évidence ne per- met pas de douter , que les Démons rendent des Oracles, & que ces malins Eiprits fe faififlent des Preftres qui les in- voquent , ou mefme indiiFé- remment de quelqu'un de ceux qui aiîiftent ôc qui participent a ces /pectacles. Les Preftres àQs Idoles ont Aqs Prières abominables qu'ils adreiïent- au Démon , quand on le con- sulte fur quelque événement: Mais malheur à celuy que le Démon choifit pour en faire [on organe. Il le met dans une agitation extraordinaire de tous ks membres , ôc luy fait tourner la tefte d'une ma- nière qui effraye. Quelquefois il luy fait verfer des larmes en Mï.ffionnaires de la C. de J. 6 j abondance , & le remplit de cette efpéce de fureur & d*en- choufîafme, qui eftoit autre« fois chez les Payens, comme il Teft encore aujourd'huy chez les Indiens , le figne de la préience du Démon , & le prélude de ^ts réponfès. ; Dés qu'on apperçoit ou dans le Preftre, ou dans quel- qu'un des affiftans ces fignes du fuccez de l'évocation, on s'approche du Poflédé, & on rinterroge fur le. fujet dont il. eft queftion. Le Démon s'ex- plique alors par la bouche de celuy dont il s'efl emparé. Les réponies font communément aifez équivoques , quand les queftions qu'on luy propoie regardent l'avenir. Il ne laiflè pas néanmoins de réiiflîr aflèz ibuvçnt &de répondre avecune juilefle j conjectures eftant d'ordinaire fort juftes , & Tes connoiflances beaucoup fupé- rieures aux noftres , il n'eft pas furprenant qu'il rencontre quelquefois aflez bien dans des occasions , où l'homme le plus fin & le plus adroit auroit des penfées bien éloignées des fiennes. Je ne prétends pas, Mon Révérend Père , qu'à l'imita- tion des Oracles rendus vérita- Miponnaires de la C. de J, 6^ blement par les Démons, les Preftres des Idoles ne fe fafl fènt quelquefois un art de contrefaire les Pofledez , & de repondre comme ils peu- vent a ceux qui les confultentj mais après tout, cette diffimu- lation n'eft , comme je vous Tay dit, qu'une imitation de la vérité : encore le Démon eft-il communément iî fidèle à fe rendre à leur évocation , que la fraude ne leur eft gué- res néceflaire. Je ne me propo- fe pas de vous rapporter grand nombre d'exemples j mais en voicy un qui le préfente à mon efprit , &: qui , ce me femble , doit convaincre tout homme fenfé , que le Démon a véritablement part aux O - racles qui fe rendent aux In- des. Sur le chemin de Varonyt. 70 Zettres de quelques fatti à Calpaleam on rencontré un fameux Temple, que les Indiens nomment Changandi^ A i'eft de ce Temple , ïc en* viron à une demi - lieuë'de diftance , on trouve une Bour» gade aflez peuplée , ôc célèbre par révénement que je vais vous raconter. Un des Habi- tans de cette Bourgade eftoit fort favoxifé du Démon-, c'ef. toit à cet homme qu'il fecom- muniquoit le plus volontiers, jufques-là que toutes les fe- maines il fe faifilîoit de luy à certain jour marqué , & ren- doit par fa bouche les Ora- cles les plus furprenans. On accouroit en foule à fa mai- fon pour le confulter. Cepen- dant malgré Thonneurque luy attiroit la diftinction que le Démcn faifoit de fa perfonne, il commençoit à fc laffer de MifiionnairesdeldCdeJ. yt fon employ : le Démon qui luy procuroit tant de vifites feirendoit fort incommode j il ne le faififlbit jamais , qu'il ne le fift beaucoup foufFrir en le quittant 5 êc ce malheureux pouvoit compter qu'il avoit toutes les femaines un jour rd- elé d'une violente maladie. Il luy arriva dans la fuitte quel- que chofe encore de plus faf- cheux j car le Démon , qui s'attiroit par fon moyen la confiance & les adorations d'une multitude innombrable d'Indiens , s'avifa de demeu- rer plufieurs jours en poflef- fion de celuy où il fe trou* voit fi fort honoré. Il ne tar- doit mefine guéres à revenir, te il fembloit ne s'aiFujettir à Une efpéce d'alternative, que pour renouveller plus fouvent la frayeur qu'il caufoit a fon 7i Lettres de quelques arrivée , & les tourmens qui accompagnoient fa fortie. Ses fréquentes & longues vifites allèrent iî loin , que ce mifé- rable Indien fe trouva abfolu- ment hors d'eftat de prendre foin de fa famille, qui ne pou- voir pourtant fe palfer de luy. Ses Parens confternez allèrent à plufieurs Temples pour prier \qs faux -Dieux d'arrefter, ou du moins d'adoucir les violen- ces du malin efprit : Mais ces prétendues Divinitez s'accor- doient trop bien avec le Dé^ mon , contre lequel on implo- roit leur fecours , pour rien faire à ion défavantage : On n'obtint donc rien de ce qu'on demandoit .^ le Démon raefme en devint plus furieux, & con- tinua comme auparavant de rendre ks Oracles par la bou- che de fon ancien hofte, avec cette 'Miffîonnaîres de la C. de J. 73 cette différence qu'il le tour- mentoit bien plus violemment, &: qu'il fit enfin appréhender que le pauvre homme n'en mouruft. Les chofes eftant prefque defefpérées , on crut qu'il n'y avoir plus d'autre remède que de s'adrefler à celuy-lâ mefme qui faifoit tout le mal. On s'i- magina qu'il voudroit bien ren- dre un Oracle en faveur d'un malheureux par le moyen du- quel il en rendoit tant d'au- tres. On l'interrogea donc un Samedy au foir, pour fçavoir s'il ne fe retireroit point , & ce qu'il exigeoit pour dimi- nuer le nombre de Tes vifi- tes, 6c pour en adoucir la ri- gueur. L'Oracle répondit en Î)eu de mots que, fi le Lundy uivant on menoit le Malade |â Changandi y il ne feroit plus /^.Rec. D 74 Lettres de quelques tourmenté, &nerecevroitpIus de its vifîtes. On ne manqua pas d'exé- cuter {ts ordres , dans Tefpé- rance qu*on avoir de voir ce malheureux foulage. On le porta à Changandi la veil - le du jour marqué par le Démon. Mais il y fut plus tourmenté que jamais : On l'entendoit poullèr des cris af- freux, comme un homme qui fouffre les plus cruels tour- mens : Cependant rien ne pa- roiffbit a l'extérieur , & on fe confoloit fur ce que le temps marqué par l'Oracle n^eftoit pas encore arrivé. Enfin , le Lundy eftant venu , l'Oracle s'accomplit à la lettre , mais d'une m^aniére bien différente de celle à quoy l'on s'atten- doit : Le malade expira dans les plus horribles convulfions. MiMonnairesdelaCdeJ, 75 après avoir jette beaucoup de fang par le nez , par les oreil- les, & par la bouche j ce qui eft aux Indes le iîgne ordi- naire d'une maladie & d'une mort caufée par la poiKffion, Ceft ainfî que le Démon ju- ftifîa fon Oracle , par lequel il afliiroit que ce malheureux ceilèroit d'eftre malade & de recevoir de ks vifites. Il eft aifé de s'imaginer com- bien les affiftans furent ef- frayez d'un événement fi tra- gique. Perfonne, je vous afl iure , ne s'avifa alors de foup- çonner qu'il y euft de la frau- de dans la pofTeffion de cet homme , ôc dans les Oracles qu'il avoit rendus fi long- temps. Je ne croy pas mefme que nos Critiques les plus dif- ficiles fe perfuadent qu'on puif fe poufl^r la diffimulation juf- D ij 7 5 Lettres de quel^iues ques-Ià. Du moins la femme de ce malheureux n'en jugea pas delà forte. Elle futfîfrap^ pée de la mort fubite &: vio- lente de fon mary , qu'elle ab- jura ridolâtrie & le culte du Démon , dont fon Epoux avoit efté la funefte victime , Elle fe fît inftruire au pluftoft, ôc re- çut le faint Baptefme à Cal^ faleam. C'eft-là que je Tay moy-mefme confefTëe plufieurs fois , & que je luy ay fait fou- vent raconter cet événement en préfence des Idolâtres , &; plus fouvent encore en pré- ience des Chreftiens qui iè rendoient à noftre Eglife. Je palTe , Mon Révérend Père , à d'autres chofes fur lef- quelles les Démons font trés- fouvent confultez dans les In- des. Ceux de tous les difeurs d'Oracles en qui l'on a le plus i Millionnaires de la C.deJ, 77 de confiance , font fans con- tredit certains Devins qui fe méfient de découvrir les Vo- leurs dont les vols font focrets. Apres avoir tenté toutes les voyes ordinaires & naturelles, on a recours à celle-cy^^ par malheur pour ces pauvres Ido- lâtres , le Démon ne \qs fort que trop bien à leur gré. Il s'eft pailé de mon temps des cliofes étonnantes fur ce fii- jet: En voicy une fur laquelle vous pouvez compter. On avoir fi fubtilement& fi fécrétement volé Aqs bijoux précieux au Général d'armée de Maduré , que celuy qui en eftoit coupable fembloit eftre hors d'atteinte de tout foup- çon. Auflî quelque recherche qu'on fift du Voleur , on ne put jamais en avoir la moin- dre connoifi^ance. On confulta D ijj jS Lettres de quelques à Ticherapali un jeune hom- me , qui eftoic un des plus fa- meux Devins du Pais. Après avoir évoqué le Démon , il dé- peignit fi bien l'Auteur du vol, qu'on n'euft pas de peine à le reconnoijftre. Le Malheureux qu'on n'avoit pas mefme foup- çonrié , tant on eftoit efloigné de jetter les yeux fur luy , ne put tenir contre TOracle^ Il avolia fon crime, & protefta qu il n'y avoit rien de naturel dans la manière dont ion vol avoit efté découvert. Quand plufîeurs Perfonnes deviennent fufpedes d'un vol, & qu'on ne peut en convain- cre aucune en particulier h voi- cy le biais qu'on prend pour le fe déterminer. On écrit les noms de tous ceux qu'on fbup- çonne fur des billets particu- liers , êc on \qs difpofe en for- MiMonnaires de la C, de J. 79 me de cercle : On évoque enfuite le Démon avec les cé- rémonies accoLiftumées , 6^ on fè retire après avoir fermé 2c couvert le cercle de manière que perfonne ne puifle y tou- cher. On revient quelque temps après , on découvre le cercle , ôc celuy dont le nom fe trouve hors de rang eft cen- fe le ieul coupable : Cette es- pèce d*Oracle a iî fouvent 2c il conftamment fervy aux In- des à découvrir avec certitude un Criminel entre plufieurs In- nocens , que cette unique preu- ve fuffit pour faire le prôcez à un homme. Il y a encore une autre ma- niére par laquelle les Démons ont couftume de s'expliquer aux Indes, Se de rendre les ré- --ponfès qu'on leur demande 5 c'eft durant la nuit & par le D iiij s o Lettres de quelques moyen des fonges. Il eft vray que cette manière m'a paru plus fujette à la fourberie^ mais après tout ^ il s'y rencontre quelquefois des choies fî fur- prenantes , & des circonftan- ces fî finguliéres , qu'on ne peut douter que les Démons n'y ayent bonne part, & qu'ils n'inftruifent en effet par cette voye les Preflres des Idoles qui ont foin de les évoquer.* Je vous rapporte peu d'e- xemples de tout ce que j'a- vance , non pas qu'ils foient rares aux Indes , & qu'il ne s'y en- trouve fort fouvent d'in- contefbables • mais la chofe eft fî fort hors de doute dans le Païs , qu'on ne penfe pas mef- me à les recueillir. Si néan^ moins vous fouhaittez un plus grand détail, je nemanqueray pas de vous fatisfaire , dés que J^ldionnaîres de la C. dej. Si Dieu m'aura fait la grâce de me rendre à ma Chreftienté de Maduré , après laquelle je Ibupire avec une ardeur que je ne puis vous exprimer. Mais après tout. Mon Ré- vérend Père , quelle raifon au- roit-on de douter que les Dé- mons rendent des oracles aux Indes , tandis que nous avons des preuves fi convaincantes qu'ils y font une infinité de cho- ies qui fontfort audeflusdu pou- voir des hommes? On voit par exemple ^ ceux qui évoquent \qs Démons , fouftenir fèuls 6c fans appuy un berceau de bran- ches d'arbres coupées , & qui ne font attachées enftmblepar aucun endroit : D'autres élè- vent en l'air une efpéce de grand linceul , qui fe tient étendu dans toute ia largeur j ils prouvent par-là que le Dé- D V Si Lettres de quelques mon s'eft véritablement com- muniqué à eux. Quelques-uns boivent à la veuë de tout le monde, de grands vafes rem- plis de fang , qui contiennent plufieurs pmtes de Paris , fans en recevoir la moindre incom- modité. Je fçay de plus, par le té- moignage d'un homme digne de foy, ôc fur lequel on peut s'appuyer folidement, qu'il s'eft trouvé par hazard dans une afTemblée , où il fut témoin du fait que je vais vous racon- ter. On avoir attache dans un endroit d'une petite chambre un corps folide de la hauteur d'un homme , &: on l'avoit tel- lement joint à la muraille qu'on ne pouvoir l'en féparer qu'avec de grands efForts r ce- pendant fans qu'on y touchaft, & mefme fans qu'on s'en ap- MiffîonnaÎYes de la C. de J. 83' prochaft , on le vit fè déta- cher de luy-merme, & s'avan- cer aflez loin hors de Tendroit où il avoic efté placé. Ajouf- tez à cela que le Démon ièm- blable à luy-mefme dans tous les lieux 6c dans tous les temps, exige fouvent de ceux qui l'é- voquent les Sacrifices les plus abominables , & les plus capa- bles d'infpirer de Thorreur aux hommes, mais en mefîne temps les plus propres à fatisfaire fa malignité. Que diroient enfin nos pré- tendus Efprits forts d'Europe, c'eft-à-dire, ces Gens qu'une Critique outrée rend incrédu- les fur les chofes les plus avé- rées, quand ils ont intéreftde ne les pas croire3 que diroient- ils, dis -je, s'ils eftoient com- me nous les témoins de la cruelle tyrannie que les Dé- D vj S4 Lettres de quelques mons exercent fur les Idolâ- tres des Indes ? Ces malins Ef- f)riti) leur mettent quelquefois a tefte fi bas , Se leur font plier les bras 6c les jambes par derrière de telle forte , que leur corps refifemble à une bou- le 5 ce qui leur caufe les plus cuifantes douleurs. En vain les forte-t-on aux Temples des doles pour y recevoir quel - que foulagement 3 ce n'eft pas- là qu'ils doivent s'attendre à le trouver 3 Nos Eglifes & nos Chrefliens font le feu! fecours qu'ils puiflent oppofer à une tyrannie fi cruelle 5 & ce re- mède , comme vous le verrez dans la fuite , prouve d'une manière invincible quels font \qs véritables Autheurs des douleurs inconcevables que c)ss malheureux ont à foufFrir. Vous voyez , Mon Révérend MiMonnairei de la C. de J. 8 j Père , que je me fuis un peu écarté de la matière des Ora- cles qui fait le principal fiijec de ma Lettre : Je ne croy pas cependant que cette digreffion vous paroifle tout - à- fait inu- tile. Quand on fera bien con- vaincu que les Démons ont fur les Idolâtres un pouvoir qu'on ne peut leur contefter , on en fera plus difpofé à croire ce que j'ay déjà eu Thonneur de vous dire fur les Oracles que les mefmes Démons ren- dent parmy les Indiens 3 & je fuis perfuadé qu'un homme dont la foy eft bien faine fur Texiftence des Démons, ne doit guéres avoir de peine fur le der- nier article. Au refte il ne s'agit pas icy de cavernes ôc de lieux foufter- rains, ny de fournir aux Pref- très des Idoles les trompettes 26 Lettres de quelques du Chevalier Morland pour groffir leur voix, ou pour en multiplier le fon. Ce n'eft pas que les Preftres Indiens ne foient alTez trompeurs pour avoir imaginé tous les moyens capables defurprendre les Peu- ples , & pour luppofer de faux Oracles au défaut de ceux que les Démons leur auroient re- fufez : Mais ils ne fe trouvent pas à cette peine , &: je vous ay déjà fait remarquer que les Démons ne leur font que trop fidèles. Autant qu*il eft vray que ces malins efprits rendent des Oracles aux Indes, autant feroit-il ridicule de fuppofer en ce païs-cy, comme on Ta fait par rapport aux fiécles pailez , que ces Oracles fe ren- diflent par la bouche des Sta- tues. Vous avez démontré le peu de fondement de cette Midionnaires de la C. dej. 87 conjedure par les témoigna- ges de rantiquité , ôc par le ridicule mefme qui en eft in- féparable 3 mais par rapport aux Indes , on a autant de té- moins du contraire qu'il y a dldolâtres & mefme de Chre- ftiens dans tout le Pais. Il eft certain que depuis tant d'an- nées que je demeure parmy ces Peuples, je n'ay jamais entendu dire qu'aucune Idole ait parlé: cependant je n'ay rien épar- gné pour m'inftruire à fonds de tout ce qui regarde les Idoles &: ceux qui les adorent. Ce qu'il y a de plus convain- cant , c'eft que rien n'auroic efté fi aifé que d'imaginer cet expédient , fi les Démons n'euflent point eux - mefmes rendu les Oracles par la bou- che des hommes. On voit dans les Indes des Statues énormes s s Lettres de quelques par leur grolTeur & par leur hauteur qui font toutes creu- ks en dedans: ce font celles qui font à l'entrée des Tem- f)les des Payens. Il femble qu'el- es foient faites exprés pour favorifer Timporture des Pref- ftres des Idoles , s'ils avoienc eu befoin d'y avoir recours. Mais en vérité cet appas fe- roit bien groffier, & j'ay peine à croire qu'aucun Indien s'y laiflaft tromper. Voicy quel- ques exemples qui vous ap - prendront dequoy font capa- bles les Prellres des Indiens en matière d'impofture, mais qui vous convaincront en mef- me temps, qu'ils ont affaire à des Gens qui ne font pas aifé- ment les dupes de leur fuper- cherie. Vous jugerez par- là que puifque c'eft une opinion il confiante ôc fî univerfèlle MiUionnaites de la C. dej. 85 aux Indes, que les Démons y rendent des Oracles , elle n'efl: certainement point établie fîir la fourberie de quelques Par- ticuliers, ny lur la trop gran- de crédulité du commun du Peuple. Il y a quelques années qu'un Roy de TanjaouY fort affec- tionné aux Idoles , fentit peu à peu refroidir fon ancienne dévotion. Il eftoit avant ce temps-là trés-régulier à vifiter tous les mois un Temple fa- meux qu'on nomme Manar- coviL II y faifoit de groflès au- moines aux Preftres de ce Temple , 6c vous pouvez juger qu'une dévotion fi libérale ne pouvoit manquer d'eftre fort de leur gouft. Mais quelle dé- flation pour eux, quand ils s'apperçurent que le Prince abandonnoit leur Temple • Je 9 o 1 e tires de quelques m'imagine qu'ils fe feroient confolez plus aifément de fa défertion, fi du moins il avoir envoyé les fommes qu'il avoic couftume de leur diftribuer : Le mal fut qu'ils fe virent pri. vez tout à la fois , bc de l'hon- neur de voir le Prince , ôc du profit qu'ils tiroient de ks vi- fites. Sur cela les Brames s'aC femblérent, &: comme la cho« fe eftoit de la dernière impor- tance pour eux , ils délibérè- rent long-temps enfemble fiir le party qu'ils avoient à prendre. La queftion eftoit d'engager le Prince à vifiter félon fon an- cienne couftume le Temple de Manarcovil: S'ils eftoient aflez heureux que d'y réiillîr , ils ne doutoient point que les libé- ralitez ne fe fiflènt a l'ordi- naire. Voicy donc le ftratagéme MiHîonnaiïcs de la C. dej. 91 qu'ils imaginèrent , &: dont ils convinrent de fe fervir : Ils fi- rent courir le bruit par tout le Royaume, que Manar^ ( c'eft le nom de l'Idole , ) eftoit ex- trêmement afRigé , qu'on luy voyoit répandre de grofTes lar- mes , & qu'il eftoit important que le Roy en fuft inftruit. L'afflidion de leur Dieu ve* noit, difoient - ils , du mépris que le Prince fembloit faire de luy : que Manar l'avoit tou- jours aimé & protégé 3 qu'il fe trouvoit cependant réduit à la trifte néceilîté de le punir de l'outrage qu'il en recevoit ^ ôc qu'un refte de tendreiTe luy arrachoit ces larmes ,, qu'on luy voyoit répandre en abon- dance. Le Roy de Tanjaour , bon Payen ôc fuperftitieux à l'ex- cez 5 fut eiFrayé de cette nou- 5)1 lettres de quelques velle. Il fè crut perdu fans reffource, s'il n'efTayoit de cal- mer au pluftoft la colère du Dieu Manar, Il alla donc au Temple faivy d'une grande fouie de les Courtifans 5 il k profterna devant l'Idole , & voyant qu'eiFeclivement elle verfoit des pleurs, il conjura le Dieu de luy pardonner fon oubly , & luy promit de répa- rer avec ufure le tort que fa négligence pouvoit avoir fait à ion culte dans Tefprit de ks ilijets. Pour accomplir fa pa* rôle , il s'y prit de la manière du monde la plus capable de fatisfaire les Brames 5 car il leur fît diftribuer fur le champ mille écus qu'il avoir appor- tez à cette intention. Le pau- vre Prince ne s'avifoit pas mef me de foupçonner la moindre fourberie de la part des Bra- MiUîonnaires de U C. de J. 95 mes 5 la Statue eftoit entière- ment féparée de la muraille , & placée fur un pie - d'eftal : c'eftoit pour le Prince une dé- monftration de la vérité de ce prodige, & félon luy les Bra- mes eftoient les plus honneftes Gens du monde. 1.QS Officiers qui eftoient à la fuite du Prince , ne furent pas tout-à-fait fi crédules. Un entr 'autres s'approcha du Roy comme il fortoit du Temple, & luy dit qu'ilyavoit quelque chofe de fi extraordinaire dans cet événement, qu'il y foup- çonnoit de la fupercherie. Le Prince s'emporta d'abord con- tre l'Officier , & regarda un pareil doute comme une im- piété déteftable. Cependant à force de luy répéter lamefmç chofe, l'Officier obtint la per- miflîon qu'il demandoit avec 54 Xettres de quelques inftance, d'examiner de prés la Statue. II rentre furie champ dans le Temple , il place des Gardes à la porte , & prend avec luy quelques Soldats de confiance. Il fait donc enlever la Statue d'une eipéce d'Autel fur lequel elle eftoit placée , il l'examine avec foin de tous coftez , mais il fut étrange- ment furpris de ne trouver rien qui appuyaft (ts conjedu- res : Il s'eftoit imaginé qu'il y avoit un petit canal de plomb qui pafibit de deiTus l'Autel dans le corps de la Statue , & que par ce moyen on y fèrin- guoit de l'eau, qui couloit en- fuitte par les yeux. Il ne trou- va rien dé femblable , mais comme il s'eftoit fi fort avan- cé , il fit de nouvelles recher- ches 5 6c découvrit enfin par une petite ligne prefque im- Mifùonnaires de U C. de J, 9 j perceptible l'union de la par- tie fupërieure de la tefte avec la partie inférieure : Il fépara avec violence ces deux mor- ceaux , & trouva dans la ca- pacité du crâne un peu de co- ton trempé dans de l'eau, qui tomboit goutte à goutte dans les yeux de l'Idole. Quelle joye pour l'Officier d'avoir enfin rencontré ce qu'il cherchoit t Mais quelle furpri- fc pour le Prince, quand on luy fit voir de fes propres yeux rimpofture des Brames qui l'a- voient ainfi trompé : Il entra dans la plus furieufe colère, &c chaftia à Tinftant ces Fourbes. Il commença par fe faire ren- dre la fomme qu'il avoir don- née , & condamna les Brames a mille écus d'amende. Il fau- droit. connoiftre combien ces fortes de Gens font attachez à 9 6 Zettres de quelques Targent , pour bien juger delà grandeur de cette peine. Une û groffe amende leur fut fans comparaifon plus infupporta- ble que les plus rigoureux fiip- plices. Slmaginera- 1- on aifément que des Gens capables d'une fourberie de cette nature,n'euf- iènt point inventé le fecret de parler par la bouche de leurs Idoles, la chofteftant auffi fa- cile que je vous l'ay montré, s*ils avoient cru pouvoir pren- dre d ce piège les Gentils qui confultent les Oracles 3 ou fî ces Oracles ne fe rendoient pas conftamment aux Indes , non par Torgane des Statues, mais par la bouche desPreftres, que le Démon fait entrer dans une elpéce de fureur & d*en- thoufiafme, ou mefme par la bouche de quelqu'un de ceux qui Mifftonnaïrei de la CJe J. 97 qui affiftenc au Sacrifice, ^ qui le trouvent quelquefois , mal- gré qu'ils en ayent , beaucoup plus habiles dans Tart de de- viner, qu'ils ne fouhaitteroienc de Teftre. Ce que je vous dis fur la manière dont les Oracles ic rendent aux Indes , eft iî con- fiant dans le Pais , que dés qu'un Oracle eft prononcé par quelqu'autre voye que ce puit fe eftre , deflors on y fbuDçon- ne de la fraude & de la iiiper- cherie. Deux Marchands , racon- tent nos Indiens , avoient en- terré de concert dans un en- droit fort caché un thréfor qui leur eftoit commun 5 le thréfor fut cependant enlevé: celuy des deux qui avoit fait le coup, eftoit le plus hardi à iè déclarer innocent , & à trait- 98 Lettres de quelques ter fon afiocié d'infidelle & de voleur. Il alla mefme jufqu'i protefter qu'il prouveroit fon innocence par l'Oracle d'un Dieu célèbre , que les Indiens adorent fous un certain arbre. Au jour dont on eftoit con^ venu , on fit les évocations ac- couftumées , & l'on s'attendoit que quelqu'un de l'aflemblée feroit faifi du Dieu ou du Démon auquel on s'adreiToit. Mais on fut bien furpris, lors qu'on entendit fortir de l'ar- bre une voix , qui déclaroit in- nocent du vol celuy qui en eftoit l'autheur , & qui en chargeoit au contraire l'infor- tuné Marchand qui n'en avoit pas mefme eu la penfée. Mais parce que c'eft une choie inoùie aux Indes , que les Oracles fe rendent de cette manière , ceux qui eftoient dé- Millionnaires de la C, dej, 99 putez de la Cour pour affiftcr à cette cérémonie , ordonnè- rent qu'avant que de procé- der contre l'accufé , on exa- mineroit avec foin s'il n'y avoit point lieu de fe défier de ce nouvel Oracle. L'arbre eftoit pourri en dedans j &: fur cela fans autre recherche on jetta de la paille dans un trou de l'arbre , enfuitte on y mit le feu , afin que la fumée , ou l'ardeur de la flamme obli- geaffènt l'Oracle à parler un autre langage ^ fuppofé , com- me on s'en doutoit , qu'il y euft quelqu'un de caché dans le tronc de l'arbre. L'expé - dient réiiffit : Le malheureux qui ne s'eftoit pas attendu à cette épreuve , ne jugea pas à propos de fe laiiTer bruller j il cria de toute fa force qu'il al- loit tout déclarer , & qu'on Eij ïoo Lettres de quelques retiraft le feu qui commen- çoit déjà à fe faire vivement fentir : on eut pitié de luy , 6c ia fourberie fut ainfî décou. verte. Encore une fois, Mon Ré- vérend Père , c'eft une chofe inconteftable parmy les In- diens , que les arbres & les Statues ne icavent ny pleurer îiy parler. Ce qui peut bien arriver quelquefois, c'eft que les Démons faflènt mouvoir de f>etites Idoles , quand les Ido- âcres le fouliaictent avec em- prefTement, & que , pour l'ob- tenir, ils employenc les moyens nécelTaires. Voicy ce que les Chreftiens , qui ont eu autre- fois de grandes habitudes avec Jes Idolâtres , m'ont raconté fur cette efpéce de prodige opéré par le Démon. Certains Pénitens foiit^es Millionnaire sde laC.deJ, îôt Sacrifices fur le bord de Peau avec beaucoup d'appareil : ils décrivent un cercle d'une ou de deux coudées de diamè- tre : autour de ce cercle ils placent leurs Idoles , en forte que leur fituation répond aux huitrumbs de vent. LesPayens croyent que huitDivinitez in- férieures préfident à ces huit endroits du monde également éloignez les uns des autres. Ils invoquent ces faufles Divini- tez, & il arrive de temps en temps que quelqu'une de ces Statues iè remue à la vue de tous les affiftans 3 & tourne dans l'endroit mefme où elle eft: placée , fans que perfonne s'en approche. Cela fe fait cer- tainement de manière qu'on ne peut attribuer ce mouve- ment, qu'à l'opération invifî- ble du malin eiprit. E iij ICI Lettres de quelques Les Indiens qui font z^^ fortes de Sacrifices , placent auffi quelquefois au centre du cercle dont je vous parle , la Statue de Tldole à laquelle ils veulent facrifier. Ils fe croyenc favorifèz de leurs Dieux d'une façon toute finguiiére , fi cette petite Statue vient à fe mou- voir d'elle - meihie. Souvent après qu'ils ont employé tou- tes les oraifons facrileges de- ftinées à cette opération fu- perftitieu/è , les Statues demeu^ rent immobiles ^ 6c c'eft alors un très -mauvais augure. Ce qui efl: certain, c'eft qu'elles s'agitent quelquefois , & fe mettent dans un afiez grand mouvement. Je fçais encore ce fait de Perfonnes , qu'on ne peut accufer d'eftre trop cré^ dules en cette matière , £c qui par-là n'en font que plus dignes de foy. Mî^f/ionnaires de la C. de J. loy Voilà au refte jufqu où s'é- tend le pouvoir des Démons fur cet article. Il eft inouï que jamais l'Eiprit malin ait parlé parla bouche d'une Idole , ny qu'un Preftre des Indiens ait mis en œuvre un pareil artifi- ce. On n'en trouve aucune tra- ce dans leurs Livres3 du moins puis- je aflurerque je n'y ay ja- jamais rien lu de fèmblable, quelque application que j'aye apportée a m'inftruire de tout ce qui regarde le culte des Idoles. Je finis cette Lettre ;, Mon Révérend Père , par ce qu'il y a, dans la matière que je trai- te , de plus intéreilànt & de plus glorieux à notre iainte Re- ligion. Je parle du filence mi- raculeux des Oracles dans les Indes , à mefure que Jésus- Christ y eft reconnu &: E iiij 104 Lettres de quelques adoré. Je dis plus encore , & puifque nous parlons du pou- voir des Démons, & de la victoire qu'à remportée fur eux la Croix de J e s u s-C h ri st, j'ajoûteray que cette adorable Croix noivfeulement ferme la bouche à ces Oracles trom- peurs, mais qu'elle eft encore dans ces Païs infidelles le feul rempart qu'on puilîe oppofèr avec fuccez, à la cruelle ty- rannie que ces Maiftres im - périeux exercent fur leurs Ef- claves. Je ne prétends pas dire, que ^u moment que TEtendart de la Croix fut levé dans les In» des par les premiers Miffion- naires qui y ont planté la foy, on ait vu tout- à- coup ceiTer tous les Oracles dans toutes les parties de Tlnde Idolâtre^ & que les Démons depuis ce TAiJJîonnaires de la C. de J, i oy moment n*ayenc plus confer- vé aucun pouvoir fur les In- fidelles qui demeuroient dans leur infidélité : c'eft en réfu- tant une fuppofition pareille de Monfieur Van - Dale ^ que vous avez juftifié à Monfieur de Fonteneîle l'opinion des an- ciens Pères de TEglife fur la cefl^tion des Oracles. Vous luy avez fait voir que les Oracles du Paganifine n*ont ceflTé qu'à niefure que la doctrine falu- taire de l'Evangile s'eft répan- due dans le monde j que cet événement miraculeux pour n'eftre pas arrivé tout-a^coup &c en un inftant, n'en doit pas eflre moins attribué à la force toute -puifTante de Jésus- C H R I s T ^ & que le filence des Démons^ aufiî-bien que la deftrudion de leur tyrannie y n'en ell pas moins un effet de E V î o 6 L et très de quelques rauthoritë qu*il a donnée aux Chreftiens de les chaflèr en fon nom. C'eft de ce pouvoir abfolu de Jesus-Christ crucifié 5 & de ceux qui font profeffion de Tadorer , que je prétends vous donner une preuve fubfiftante , par la fîm^ pie expofition des merveilles dont nous avons le bonheur d'eftre témoins. En effet , quand il arrive que quelques Chreftiens fe trou- vent par hazard dans ces af- femblées tumultueufes , où le Démon parle par la bouche de ceux dont il fè faifit, il garde alors un profond iîlen- ce, fans que les Prières, les Evocations , les Sacrifices réi- térez foient capables de le luy faire rompre. Ce qui eft lî commun dans les endroits de la Miffion de Maduré où nous Miffijnnaires de la C. de 7. 107 avons des habitations , que les Idolâtres , avant que de commencer leurs cérémonies facriléges , ont grand foin d'e- xaminer fi quelque Chreftien ne fe feroit point meflé parmy eux : tant ils font perfuadez qu'un feul Chrellien confondu dans la foule , rendroit leur Démon muet ^impuiflant. En voicy quelques exemples. Il y a peu d'années que dans une Proceffion folemnelle oii l'on portoit en triomphe une des Idoles de Maduré, le Dé- mon s'empara d'un des fpeda- teurs. Dés qu'on eut apperçii dans luy les fignes qui mar- quoienc la préfence du Dé- mon , on s'approcha de luy en foule ^pour eft re à portée d'en - tendre les oracles qu'il pro- nonceroit . Un Chreftien pafla par hazard dans cet endroit: JE vj io8 Lettres de quelques Il n'en fallut pas davantage pour impofcr iilence au Dé* mon: Il cefTa fur le champ de répondre à ceux qui l'interro- geoient fur le fuccez des cho- {^s à venir. Comme on vit que le Démon s'obftinoit à ne plus parler, quelqu'un de la troupe ditqu'infiilliblement il y avoic un Chrefticn dans Taflemblée} on fe mit en devoir de le cher- cher, mais celuy-cy s'échappa, êc vint en hafte fe retirer à noftre Eglife. Un de nos Miflîonnaires al- lant dans une Bourgade , s'ar- refta dans une de ces fallesqui font fiir les chemins pour la commodité des Paflans. Le Père s*eftoit retiré dans un coin de la iàlle : m^s un des Chreftiens qui Taccompa-. gnoient , s'apperçut que dans ia rue voilîne les Habitans eiv 'jMiffîonnaires de la C. de J, i o ^ vironnoient un homme obfé- dë par le Démon , ôc que cha- cun interrogeoic TOracle, pour fçavoir de luy plufieurs chofes fecrectes. Le Chreftien fe mefla dans la foule , âc le fie fi adroi- tement, qu'il ne fat point ap- perçu de ceux mefme dont ri s'approcha le plus prés . H efboit abfolument impoffible qu'il eujft efté reconnu de ce- luydont le Démon s'eftoit fai- fi: maisle Démon luy -mefme reflentit bien-toft le pouvoir de ce nouveau venu : Il cefla dés le moment mefme de par- ler; on eut beau luy promet- tre des Sacrifices, on n'en put tirer une feule parole. Cepen- dant le Chreftien fe retira à peu prés auffi fécrétement qu'il eftoit venu. Le Démon alors délivré de la préfence d'un plus puiffant que luy , fe mit II o lettres de quelques auffi - tofl: à parler comme aiu paravanc , & commença par déclarer à TAflemblée , que ion filence avoic efté caufé par la prëfence d'un Chre- ftien , dont on ne s'eftoïc pomt apperçu , ôc qui pour- tant s'eftoit trouvé meilé par- my eux. Je ne fînirois point , Mon Révérend Père , fi je voulois vous raconter tout ce que je fçay d'événemens (emblables: Ils confirment tous d'une ma- nière invincible que le pou- voir des Efprits de ténèbres ne peut tenir contre la puif- fance vidorieufe que Jésus- Christ communique aux Enfans de lumière , qui fe font \qs Difciples & les Adorateurs de fa Croix. Je puis dire feu- lement en général , conformé- ment à une de vos rem.ar- Mifjîonn aires de la C.deJ. 1 1 r qiies, que quelques-uns de nos Chreftiens des Indes fembla- bles en ce point comme en bien d'autres à ceux de la pri- mitive Eglife, pourroient ap- peller en deffi fur cet article, & mettre à cette épreuve les Indiens \qs plus enteftez de leurs Oracles , & de toutes les fuperftitions du Paganifme. Mais ce n*eft pas ièulement en impofànt filence aux Ora- cles , que iè manifefte le pou- voir de la Croix fur Tempire des Démons ^ c'efl encore du moins avec autant d'éclat , par la vertu miraculeufe qu'elle a de forcer cqs Tyrans d'aban- donner les malheureux dont ils s'emparent , & qu'ils tour- mentent de la manière la plus cruelle. C'efl-là un fécond ar- ticle dont les Idolâtres & les jChreftiens conyiennent fan^s ÎÎ2 Lettres de quelques difficulté j &: le bruit eft gé. néralement répandu dans tout le Pais, que le moyen feur de chafler les Démons &: d*en eftre délivré, c'eft d'embraffér JaLoy de Jésus-Christ. L'expérience nous confirme tous les jours cette vérité d'u- ne manière bien confolante pour nous, & bien glorieufe à noftre fainte Religion. En ef- fet, Qts hommes fi maltraitez par le Démon , n'ont pas plu- îloft commencé à le faire in- struire de nos faints Myftéres , qu'ils fè fentent foulagez 3 ôc enfin au bout de quinze jours, ou d'un mois tout au plus , ils ie trouvent entièrement dé- livrez , & jouilTent d'une par- faite fanté. Au refte, jugez combien il faut que cette opinion univer- felîe loit bien fondée ^ car riect TidiUïonnairei de la C. de J, 1 13 autre choie qu'une certitude infaillible de leur guérifon , n'engageroic ces malheureux à avoir recours à un tel remède. Ce ne font point icy de ces cvénemens qu'on puifTe expli- quer à fon gré, en fûppofant de la mauvaife foy dans-ceux qui fe difent tourmentez , 6c guéris enfuitte par la vertu toute - puiiTante de noftre fainte Reli-^ gion. Quand on eft foy. met me de bonne foy , & qu on connoift le génie des Indiens, on n*eft guéres tenté de re- courir à de pareilles fuppofi- tions. Les Idolâtres , êc fur tout ceux qui font les plus dé> vots envers leurs Idoles , &: qui par la mefine raifon font plus fujets aux infultes du Dé- mon, ont d'étranges préjugez contre la Religion Chreftien^ ne. Ils n*ont aucun avantage 114 Lettres de quelques à efpérer d'une fourberie de cette nature ^ ils n'ont rien à craindre des Chreftiens , & ils ont tout à redouter des Infî- delles ^ ils s'expofent à perdre leurs biens, à eftre méprifez dans leurs Caftes ou Tribus , à eftre mis en prifon , à eftre maltraitez de leurs Compa- triotes. Mais ces obftacles font encore plus terribles à l'égard de ceux qui font de Caftes où il y a peu de Chreftiens ^ & où par confequent il leur feroit difficile ôc prefque impoffible après cette démarche, de trou- ver des Perfonnes qui vouluf- fent s'allier à eux. Cette dernière reflexion me paroift la plus confidérable 5 mais il n'y a que ceux qui vi- vent parmy ces Peuples , qui puifl^ent en comprendre toute la force. Pour la concevoir MifJionnaires de la C.deJ. 115 en quelque manière , il faut fuppofèr, ce qui effc tres-cer- tain , qu'il n'y a point de na- tion où les Parens ayent un attachement fî violent pour leurs Enfans : la tendrefle des Pères & des Mères paiîe à cet égard tout ce que nous en pouvons imaginer. Elle confî- fte fur tout à les établir, 6c à les marier avec avantage^ mais il n'eft point permis de con- trader aucune alliance hors de fa Cafte particulière. Ainfi em- brafler le Chriftianifme quand on eft d'une Cafte où il y a peu de Chreftiens , c'eft renon- cer en quelque forte à Téta- bliflèment de fa famille , & combattre par conféquent les fentimens les plus vifs & les plus naturels. Cependant les tourmens que le Démon fait foujïrir à ces malheureux font îi6 Lettres de quelques {i violens, qu'ils fe trouvent for- cez de pafler par deiTus ces confîdérations ; ils viennent à nos Eglifes , comme je vous Tay dit , ôc ils y trouvent leur foulagement 6c leur guérifon. Ce motif de crédibilité joint aux autres qu'on a grand foin de leur expliquer , & plus que tout cela la grâce victorieufe de J E s u s-Q H R I s T les dé- tache peu à peu de leurs an- ciennes fuperftitions , 6c leur fait embrafîer cette Loy fain- te, qui leur procure de fi grands avantages dés cette vie , ôc qui leur en promet d'infini- nient plus grands pour l'Eter- Bité. Ce ne font point-là encore une fois, de ces événemens ra^ res & dont on ne voye que peu d'exemples 5 c'eft un mi- racle prefque continuel , & qui Mifjîonnaireî de Ut C.deJ. 117 k renouvelle tous les jours, J'ay baptiië une fois dans Tet pace d'un mois quatre cens Idolâtres, dont deux cens au •moins avoient efté tourmen^ tez par le Démon , Se avoienc efté délivrez de fa perfécu- tion , en fe faifant inftruire de la dôdrine Chreftienne. Nous ferions étonnez s'il ne venoic înceffamment quelqu'un de ces malheureux chercher du Re- cours dans nos Eglifes ^ & je f>uis aftùrer en mon particu- ier avec toute forte de fin- cérité 5 qu'il y en a prefque toujours quelqu'un à Aour^ qui eft une de nos principales Eglifes , & où j'ay demeuré plufieurs années. C'eft - là , & j'en ay efté fouvent le té- moin , que les Chreftiens de tout âge , de tout fèxe , de coûte condition chaflènc les 1 1 s Lett Tes de quelques Démons, &: délivrent le^PojC fédez par la feule invocation du nom de J e s u s-C h r i st, par le iîgne de la Croix, par l'Eau - bénite , & par les au- tres faintes pratiques qu'auto- rife la Religion Chreftienne , & dont nos bons Indiens font certainement un meilleur ufa- ge, que ne font communément nos Chreftiens d'Europe ^ juf- ques - là mefme qu'ils contrai* gnent fouvent les Démons de rendre malgré eux témoigna- ge à la force toute - puiflante de Jesus-Christj 6c qu'on voit tous les jours ces malheureux Eiprits avouer qu'ils font cruellement tour- mentez dans les Enfers , que le mefme fort attend tous ceux qui les confultent , qu'en- fin la feule voye d'éviter de fi grands tourmens , eft d'eni- Mi.^cnnairesdelaCJeJ, 119 braffer ^ de fuivre la Loy que prefchent les Gouroux * des Chreftiens. Auiîî nos Néophites ont-ils un foiiverain mépris pour les Démons ^ fur lefquels la qua- lité feule de Chreftien leur donne une fi grande autorité. Ils leur infultent en préfence des Payens , & les défient avec une généreufe confiance de rien attenter fur leur per- fonne , quand une fois ils ie font armez du figne de noftre Rédemption. Néanmoins ce font fouvent cts mefmes In- diens qui ont efté le plus cruellement maltraitez par les malins Efprits , Se qui les re- doutoient le plus tandis qu'ils vivoient dans les ténèbres du Paganifme. * C*cft ainfi que les Indiens appellent Icuc Do^eui ou leur Père fpirituel ï 2 o Lettres de quelques J*a^ fouvent interrogé les plus fervens de nos Chref- tiens , qui avoient efté dans leur jeunefTe les victimes de la fureur du Démon , ^ qui luy avoient fervi d'inftrumenc pour rendre fes Oracles. Ils m'ont avoué que le Démon les maltraittoit avec tant de furie , qu'ils s'étonnoient de ce qu'ils n'en eftoient pas morts. Ils n'ont jamais pti me rendre compte des réponfes que le Démon a rendu par leur bouche , ni de la ma- nière dont les chofes fe paC foient lorfqu'il eftoit en pof- lèflîon de leur corps. Alors ils eftoient tellement hors d'eux-mefmes, qu'ils n'avoienc aucun ufage libre de leur rai- Ion ni de leurs fens , & ils n'avoient aucune part à ce que le Démon prononçoit & opé- roit par eux. Peut= Mifiionnaires de la C. de J. lit Peut - eftre que des Efprits prévenus ou incrédules, ne ju- geront pas à propos d'ajouter grande foy au témoignage de ces bons Indiens : Mais moy qui connois à fond leur in- iiocenceôcleur fîncérité, moy qui fuis le témoin & le dépo- fîtaire de leurs vertus , ôc qui ne puis les connoiftre ians les comparer aux Fidelles des pre- miers fiécles , je me ferois un grand fcrupule de douter un fèul moment de la validité des témoignages qu'ils me ren- dent. Ils croiroient faire un grand péché s'ils trampoient leur Gourou ou leur Père fpi- rituel , & certainement ceux que j'ay interrogez font d'une confcience fi délicate, que la feule apparence du péché les jette dans des inquiétudes que lA^.Rec. F 122 Z et très de quclqu es nous avons quelquefois bien de la peine à calmer. N'eft-il pas bien confolanc pour nous , Mon Révérend Pè- re, de voir renouveller fous nos yeux non-feulement la fer- veur , mais encore les mira- cles de la primitive Eglife ? Quel fujet de joye pour les Perfonnes zélées, qui slntëref. fent à Tentretien des Miffion- naires &: des fervens Chref- tiens qui nous aident dans nos travaux Apoftoliques , d'ap - prendre que la gloire de la Religion à laquelle ils contri- buent par leurs libéralitez , fe répand avec tant d'éclat dans les païs infidelles? Je fuis feur que perfonne n'y prend plus d'intéreft que vous , Mon Ré- vérend Père , & que vous me fçaûrez gré de vous avoir fait Mi^ionnaires de la CdeJ, 123 Je récit des vidoires que noftre fainte Religion remporte dans \qs Indes lur les puiilances de l'Enfer. Vous avez trop lieu- reufement travaillé à alTurer ce triomphe à la Croix de J E s u s-C H R I s T 5 pour n*e- ïtre pas fenfîble à ce que j'ay rhonneur de vous en mander. Ce n'eft - là cependant qu'un eflay que je perfedionneray fi vous le fouhaittez , quand je fèray de retour aux Indes. Je fuis avec beaucoup de reiped, Mon Révérend Perf, Voiîfc trcs-liumble & tr es-obcïffaiit Tcrviteur en N* S. J. V. BoucHET Miflîonnairc de là Compagnie de ] £ S U S. f ij IlA PREMIERE LE T T R E DU PERE MARTIN, Miffiionnaire de la Compa- gnie de J E s u s aux Indes; Au Père de Villette de la mefme Compagnie. OnrevekendPere, p. c. L'intërefl: que vous prenez aux bénédidions que Dieu ré," MiJJîonnaiYes de la C.deJ, 125 pand fur nos travaux , mérite bien que de noftre coftë nous prenions le foin de vous en in- ftruire, & je me fais un de- voir de féconder là-deflus voftre inclination. Il me fem- ble que je vous parlay dans ma dernière Lettre du voyage que j'avois fart à la Cofte de Co roman del , 6c c'eft-là, fi je ne me trompe , que finit ma Relation. Il faut vous rendre compte maintenant de ce qui s'eft pafl^é de plus fingulier de- puis ce temps-là. Ce fut la veille du Mercre- dy des Gendres que je partis de Coromandel pour retourner dans la Mifiîon qu'on m'a de- flinée. Il eftoit environ minuit quand je me trouvay avec mes Difciples fiir le bord d'une rivière qu'il fallut traverfer. L'obfcurité nous engagea dans F iij ii6 Zeiires de quelques un paiTage (\ profond , que Teau nous venoit jufqu'au col^ nous ne nous en ferions ja- mais tirez fans une protection particulière de Dieu. C'eft une néceflîté de prendre le temps de la nuit pour s'éloigner des coftes habitées par les Européans^ car il nous eftions apperçûs des Gentils , ils ne manque - roient pas de nous reprocher <|ue nous fommes PranguiSy * & cette idée qu'ils auroient, nous rendroit méprifables à leurs yeux , & leur infpireroic pour la Religion une horreur qu'on ne pourroit jamais vain- cre. Apres avoir marché quel- que temps , je paflay le refte de la nuit dans une mazure * C'cft ainfi qu'ils appellent \ti Eure- pcans. MiJTionnaires delaC.deJ, 127 qui fe trouvoit à l'entrée d'un Village. Le froid qui m'avoie faifi au paflage de la Rivière me caufa la fièvre , ce qui al- larma fort les Chreftiens qui m'accompagnoient. J'aurois eu befoin d'un peu de feu, mais nous n'ofafÎTies en allumer, de crainte d'attirer les Gentils à noftre Cabane, carilsauroienc bien -toft conjeclurë d'où je veiiois. Ainfi je me remis en chemin deux heures avant le jour, ôc je fis encore une lon- gue traite , dont je fus extrê- mement fatigué. Le Seigneur avoir fès vues en m'infpirant de marcher à fi grandes journées. Sur le foir nous vifmes paroiftre à noftre droite quatre ou cinq perfon- nes, qui avançoient vers nous à grands pas dans le defl^einde nous joindre. Nous crufmes F iiij î 2 8 Zeitres de quelques d'abord que c*ëtoic des Vo- leurs , car toutes ces Campa- gnes en font infeftées 5 mais noftre crainte fe diffipa bien- toft : ces bonnes Gens eftoient des Chreftiens , qui ne fè pref- foient fi fort de m'atteindre, que pour me prier de venir préparer à la mort une fem- me Chreftienne qui eftoit à rextrémité. Je me détournay donc de mon chemin afin de les fuivre , ôc j*arrivay vers la fin du jour fur le bord d'un eftang fort écarté^ c'eft-là qu'ils avoient transporté la ma- lade , parce qu'il y auroit eu du danger à entrer dans le Village , dont les Habitans font prefque tous Idolâtres, & ennemis du nom Chreftien. Je fus extrêmement édifié des faintes difpofitions de cette mourante. Après l'avoir con- Mlffionnaires de la C. dej. 12 9 feflee &: diipofée à bien mou, rir , je continuay ma route vers Couttour, Il efloit environ midi quand j*y arrivay. J'y trouvay un Je- fuite Portugais nommé le Pè- re Bertholde,qui travaille dans cette Miffion avec un zélé qui eft bien au-deflus de i^t^ forces. Il m'apprit de quel danger la Providence venoit de le déli- vrer : il eftoit allé de grand matin à fon Confeffionnal 5 ( c'eft une Cabane couverte de paille où il y a un petit treil- lis qui répond à la cour de l'Eglife , bc où les Chreftiens fè rendent un à un pour fe con, feller. ) En iècoûant la peau de cerf fur laquelle nous avons couftume de nous aiîèoir , il en fortit un gros ferpent , de ceux qu*on appelle en Portu- gais Çobra^Ca^eL Le venin en F V 130 L eitres de quelques eft fort preTent , & le Père n'euft pas manqué d*en eflre mordu , s'il fe fuft affis fur cet- te peau fans l'avoir remuée auparavant. Les murailles de terre dont nos pauvres maifons font conftruites , nous attirent fou vent de femblables liofbes, bc nous expofènt à tout mo- ment à leurs morfures. J'en rapportay dans ma dernière Lettre quelques exemples af- fez finguliers : ils fuffifent pour vous faire connoiftre que c'eft-là un danger aiîez ordi- naire que nous courons dans la Miflîon de Maduré, L'eipéce de Serpent dont je parle, eft encore plus commu- ne dans cQs terres que dans les autres endroits de llnde , par- ce que les Gentils s'imaginant que ces ferpens font confa- crez à un de leurs Dieux , leur MiUiiomures de la C. de J, 13 1 rendent un certain culte , & ont fi grand foin de les conser- ver, qu'ils en nourriilènt à la porte des Temples 6c jufques dans leurs propres maifons. Ils donnent à cette eipéce de Ser- pent le nom de Nalla-PamboUy qui fîgnifie bon fèrpent3 car, diient-ils , il fait le bonheur des lieux qu'il habite. Cepen- dant tout bon qu'il eft , il ne laillè pas de porter la more dans le fein mefme de iès ado- rateurs. Le remède Spécifique con- tre la morfure de cqs ferpens & de quantité d'autres beftes venimeuies qu'on trouve aux Indes, fe nomme Veia-Maron- doUy c'eft-â-dire le remède au venin. Il eft plus en ufage par- my les Chreftiens que parmy \qs Gentils , parce que ceux-cy recourent auffi-toft aux invo- F vj 131 Z et très de quelques cations du Démon , & à uns infinité d*autres fuperftitions , dont ils font fort cnteftez 3 au lieu que les Clireftiens n*ont recours qu'aux remèdes natu- rels, entre lefquels celuy-cy tient le premier rang. On dit que c'eft un Jo<^hi , * qui com- muniqua ce fècret à un de nos premiers Miffionnaires , en re- connoiffance d'un fervice im- portant qu'il en avoit re<^û. Ce n'eft pas feulement con- tre la morfure des ferpens^ que les Idolâtres employent les pades fuperftitieux , c'eft pref- que dans toutes leurs ma- ladies. Une des chofès qui fait le plus de peine aux nouveaux Fidelles , qui font fi fort méf- iez parmy les Gentils , c'eft d'empefcher , quand ils font malades , que leurs Parens * Péniteat Geniili Millionnaires de la C, de J, 13 j Idolâtres n*employent de fem- blables moyens. Il arrive quel- quefois que , quand ils dor- ment , ou qu'ils tombent en défaillance , on leur attache au bras, au col, ou aux pieds des figures , & des écrits , qui font autant de fignes de quel- que pade fait avec le Démon. Dés que le malade revient à luy , ou qu'il s'éveille , il ne manque pas d'arracher ces ca- ractères infâmes , & il aime mieux mourir que de recou- vrer fa fanté par àQs voyes fi criminelles. On en voit qui ne veulent pas mefîiie recevoir les remèdes naturels de la main des Gentils ^ parce qu'ils y mef^ lent fouvent des cérémonies fuperftkieufes. Je ne m'arreftay^qu'un demi jour z Couttour^ & j'en partis dés le lendemain. Je repaflay 134 Lettres de quelques par la Peuplade où deux mois auparavant , dans mon voya - ge de Ponàichery , j'avois bap- tifë deux Enfans^êc un Adulte qui eftoit fur le point d'expi- rer. J'efpërois y recueillir des fruits abondans de la Semen- ce Evangelique que j'avois jet- tée à mon paflage j car j'avois appris que la fainte mort de cet homme nouvellement bap- tifë avoit touché plufieurs Gentils, & qu'ib n'attendoient qu'un Catéchifte pour fe faire inftruire ôc embrafler le Chri- ftianifme. Mais j'eus la dou- leur de me voir fruftré d'u - ne partie de mes efpérances. L'Ennemy du Père de Famille avoit femé la zizanie dans ce petit champ 3 la plufpart de leurs Parens s'eftoient foûle- vez contre eux , & en avoient féduit plufieurs 3 de trente - Mifiionnaires de la C. de J, 135 trois Perfonnes qui s'eftoienc déclarées pour Jesus-Christ, je n'en trouvay que dix-fèpt qui euilent réfifté à la perfécution de leurs Proches. A la vérité prefque touss'alîemblérent au- tour de nioy 3 mais à leur air 6c à leur contenance, je démet layfans peine ceux qui eftoienc demeurez conftans,(i*ayec ceux qui avoient efté infîdelles à la grâce 5 je reprocliay aux uns leur lafcheté , &: j*encourageay les autres. Quatre ou cinq des plus fervens m'accompagne* rent jufqu a une Peuplade voi- fîne appellée Kokeri, J'y trouvay le Père Antoine Dias fort occupe à entendre \qs Confeffionsdes Fidellesqui s'eftoient rendus en foule à fon Eglife. J'eus la confblation d'aider ce zélé Miffionnaire , 6c nous ne fufmes libres l'un 6c 13 (> lettres de quelques l'autre que bien avant dans la nuit. La première Perfonne que je confellay fut une Veuve âgée d'environ foixante ans. Sa Confeffion finie , elle me ti- ra un peu à l'écart, 6c déve- lopant un linge , elle y prit vingt Fanons * qu'elle mit a mes pieds : ( car c'eft la ma- nière relpedueufe dont les Chreftiens de cette nouvelle Eglife font leurs offrandes.) >5 Comme je n'ay plus guère de «temps à vivre, me dit-elle, je «vous prie de recevoir cette » fomme , afin de faire prier '5 Dieu pour moy après ma mort. Je luy répondis que nous adreffions continuellement à Dieu des prières pour la fanc- tification des Fidelles, &: que * C'eft environ deux écus dcnoftiemoix- fcoye. MiMonnaires de la C, de J. 137 quand quelqu'un venoit à mou- rir nous avions foin de redou- bler nos vœux , &: d'offrir le S. Sacrifice de TAutel pour fon falut j mais que nous ne pou- vions recevoir d'argent à cette intention. Je ne feray pas con-cc tente , reprit cette fainte Veu- ce ve 5 que vous n'acceptiez ce ce que je vous ofFre, ou du moins ce que vous ne déterminiez à ce quelle bonne œuvre je doisc< l'appliquer. Comme elle meci preflbit fort , je luy fis faire attention à la pauvreté extrê- me de l'Eglife où nous eftions. Ali! me dit-elle, toute tranflcc portée de joye, que vous me et faites plaifir • non-feulement je ce confacre les vingt Fanons à« l'embellillement de l'Eglife, ce mais j'y deftine encore tout ce ce que déformais je pourray re-ce cueillir de mon travail. Unew Î3 8 Lettres de quelques libéralité fi extraordinaire nous furprit, ^ elle doit fur- prendre tous ceux qui font in- ftruits comme nous de Tindi- gence de ces Peuples , ^(^s im« pbfts dont ils font accablez , & de rattachement naturel qu'ils ont à l'argent. Cette action me rappelle le fouvenir d'une autre qui n'eft pas moins édifiante. Dans un temps où l'on eftoit menacé d'une famine générale, un bon Néophyte vint trouver le Père Boucher , & mit à its pieds cinq Fanons *. Le Père re- fufa d'abord fon offrande, ap- portant pour raifon que , du- rant la cherté où l'on fe trou- voit, il eftoit difficile qu'il ne >5 fuft dans le befoin. Ileft vray, » mon Père , répondit ce fervent * C'eft environ trente fols de noArc moa- aoyc. 'l4iBonnaÎYes de la CJe J, 139 Néophyte , avec une foy di- ce giie des premiers fîécles : il eft « vray que ces cinq Fanons font et toutes mes richeiles , de que la « diiette qui augmente chaque « jour me réduit à la dernière « extrémité j mais c'eft pour cela « meiiTie que je fais préfènt à TE- et glife du peu que je pofledecu Dieu devient mon débiteur3u ne me payera- 1- il pas au cen- ec tuple ? Le Miflîonnaire ne put « retenir ks larmes à la vue d'une fi vive confiance en Dieu: 11 reçut fon aumofne de peur d*afFoiblir fa foy • mais ce ne fut qu'à condition qu'il vien- droit le trouver, dés qu'il man- queroit des chofes nécefi^aires à fa fubfiftance. Comme le temps me prefl foit de me rendre à Counam^ paty^ qui eftoit le heu de ma nouvelle Miflîon , je me fépa- î4o Zettres de quelques ray du Père Dias bien pluftofl que je ii'euiTe voulu : je fis tant de diligence que j*arrivay le lendemain d*aflez bonne keure fur les bords du Colo^ ran. C'eft en certains temps de Tannée un des plus gros fleuves 6c des plus rapides que Ton voye : mais en d'autres, à peine mérite-t-il le nom de rliiflèau. Lorfque je le pafTay^ on ne parloir que de la célè- bre vidoire que le Talavai * venoit de remporter fur les troupes du Roy de Tanjaour^ de qui penfa caufer la difgrace du premier iMiniftre de ce Prince, un des plus cruels per^ fécuteurs de noftre fainte Re- ligion. Voicy comme on me raconta la chofe. La manière dont ce Miniftre fe tira du * Prince ou Gouverneur Général de ri" Tidiffîomaîres âelaCdeJ, 141 danger où il eftoit vous fera connoiftrefoncaradére, &: ce que nous devons craindre d'un ennemy fi adroit. Le Talavai s'ëtoit campé fiir la rive fept entrionale du fleu- ve, pour mettre fon Royaume à couvert de Tarmée de Tanjaour^ qui faifoit de grands ravages dans tout le païs • mais quel- que effort qu'il fit, il ne put arrefter les incurfions d un En- nemi, dont la Cavalerie eftoit beaucoup plus nombreufe que la fienne. Il crut que le plus fèur pour luy eftoit de faire diverfion ^ fur le champ il prit le defi"ein de repaffer le fleuve qui avoit fort baifle , afin d'al- ler enfuite porter la confter- natîon jufques dans le Royau- me de Tanjaour. Il exécuta ce projet fi fecretement, que les ennemis ne s'apperçurent de ï4i Lettres de quelques fon paflàge , que lorfqu'ils vu rent (qs Troupes dépliées fur Tautre bord de la rivière, & preftes à pénétrer dans le cœur du Royaume qui eftoic refté fans défenfe. Ce paflage imprévu les déconcerta. Il ne leur reftoit d'autre reflburce que de palTer auflî la rivière pour venir au iecours de leur pais. Ce fut en effet le parti auquel ils fe déterminèrent 5 mais ils choifirent mal le guéj &: d'ailleurs les pluyes qui ré- cemment eftoient tombées fur les monta2:nes de Malabar où ce fleuve prend fa fource , le groffirent de telle forte au temps que ceux de Tanjaour tentoient le paifage, que plu- iîeurs Fantaffins ôc quelques Cavaliers furent emportez par le courant. Le Talavai qui s'apperçut de leur défordre:. Mi.dionnaîres de la CJe J, 145 vint fondre fur eux, & n*euc pas de peine à les rompre^ Ce fut moins un combat qu'une fuite, & la déroute fut géné- rale. Enfin une vidoire fî complète fut fuivie du ravage de la plus grande partie du Royaume de Tanjaour. Le Roy outré de fe voir vaincu par un Peuple accoufl tumé à recevoir ks loix , en- tra dans, de grands foupçons de Tinfidélite ou de la négli- gence de fon premier Mimftre JBalogi , ou comme d'autres rappellent, Va^op - Pandiden, Les Grands qui le haïflToient, & qui avoient conjuré fa per- te , appuyèrent fortement ce foupçon , & firent retomber fur luy le fuccés infortuné de cette guerre. Mais BaUgi fans s'effrayer des complots qui fe tramoient contre luy , alla fe* 144 ^ étires de quelques crétemenc trouver le Roy, «Prince, luy dit -il d'un ton j^afluré, je porteray moy-mef- « me ma tefte fur un échafaur, wfi dans huit jours je ne con- >3 dus la paix avec vos Enne- M mis. Le terme qu'il affignoic eftoit court , ôc le Roy le luy accorda. Cpt adroit Miniftre envoya âufli-toft k^ Secrétaires chez \qs principaux Marchands de la Ville &: des environs. Il or- donna à chacun d'eux de luy* prefter une fomme confidëra- ble fous peine de confifcatioh de tous leurs biens. Il tira tout ce qu'il put d'argent de jfes Parens & de ks Amis ^ il détourna mefme une grofle fomme du thréfor Royal3 ^^- fin en moins de quatre jours, il amalTa prés de cinq cent mille écuSjqu'àl'inftant il em- ploya Miponnaif es de laC.de J, 145 i fe concilier la Reine de 77- cherapaly , à corrompre la pIuC part de ceux qui compofoient fon Confeil , de fur tout à met- tre dans fon parti le père du Talavai , homme avide d'ar- gent au-de-là de tout ce qu'on peut imaginer. Il fit fi bien, qu'avant \ts huit jours expi- rez, {ans que le Talavai mefme en euft connoifl^ance , la paix fut conclue dans Ticherapaly avec le Roy de Tavjaour, C'eft ainfi que le Vaincu donna la loy au. Vidorieux , & que le Miniftre rentra dans les pre- mières faveurs de fon Prince. Son pouvoir devint plus abfb- luque jamais. Il n'en ufa dans la fuite que pour renverfer la fortune de prefque tous les Grands du Royaume , êc pour faire foufFrir aux Chrcftiens une cruelle perfécutioii dont JJC^ Keç. G 14^ Lettres de quelques je vous feray une autre fois le récit. Apres bien des fatigues j'ar- rivay enfin à Counampaty-^ c'ef. toit autrefois une des plus flo« riflantes Eglifes de la Miffion: mais elle a efté prefque tout-à- fait ruinée par les guerres con- tinuelles , & par les différens troubles furvenus entre les di- vers Seigneurs qui habitent ces bois. Il y a trois ans que le Père Simon Carvallio prend foin de cette Eglife, & malgré la foiblefle de ia fanté , il y a fait des fruits extraordinaires. La première année il bap- tifa plus de fept cens foixante perfonnes : la féconde , il en baptifa mille ^ & la troifiéme , il en baptifa douze cent qua- rante. hQs incommoditez prefque continuelles de ce fervent Mif Millionnaires de la CJe J. 147 fionnaire obligèrent enfin les Supérieurs à luy procurer du foulagement. Ils renvoyèrent à Aour^oxxT y aider le Père Bou- cher , que de longues fatigues avoient épuifé. Un travail ain- lî partagé ne fufiifoit pas à leur zélé. Le Père Carvallio , après de fortes inftances, ob- tint la permiflîon d^aller fon- der de nouvelles Eglifès dans la partie Occidentale du Royaume de Maduré , le long des montagnes qui féparent ce Royaume d'avec celuy de Maiffour, L'air y eft empefté , & Ton y manque prefque de toutes les chofes néceflaires a la vie , quelque dure que foit celle des Miffionnaires. Cepen- dant ce Père y a déjà fondé deux Eglifes • Tune dans la grande Peuplade nommée To-^ tiam) l'autre dans la Ville de Gij 14^ Lettres de quelquei Tourcour capitale des Eftats d'un Prince nommé Leretti, Ce fut vers la mi - carefme que je pris pofleflion de TE- glife de Counampaty. Quoyque cette Peuplade foit fort petite, les Seigneurs y font néan- moins tres-puilTans , 6c fe font rendus de tout temps redou- tables aux Princes d'alen- tour. Comme ils font voleurs de profeiTion , ils font des ex- curiîons noclurnes , & pillent tous les païs circonvoilins. Cependant quelque éloignez qu'ils foient du Royaume de Dieu par des engagemens H criminels, ils ne laillènt pas d'afFedionner les Miffionnai- J res. C'eft d'eux que nous te- nons ce terrain où l'Eglife eft baftie. La Peuplade ne peut guéres eftre infultée , parce (ju'çlle eft environnée d'un bois MLffionnaires de la C. de J. 149' trés-ëpais : il n'y a qu\ine ave- nue fort étroite, fermée par quatre ou cinq portes en for- me de clayes , qu'il feroit diffi- cile de forcer^ fi elles eftoienc défendues par à^ts Soldats. Ce- luy qui en cfb aujourd'liuy Sei- gneur, a perdu par fon peu de conduite & par {^s> débauches, la plus grande partie des biens que k^ Anceftres lu y ont laif fez j mais il a chèrement con- fèrvé le refped & Taffeclion qu'ils luy ont infpiré pour les Miffionnaires. Comme il faut traverfer quatre ou cinq lieues de bois pour venir à Counampaty ^ ce dangereux trajet fert quelque- fois aux Néophytes moins fer- vens de raifbn ou de prétexte pour fe difpenfer de fè rendre à TEglifè aux jours marquez. Et quoyque pour fe mettre à G iij î 5 o Z et très de quelques couvert de toute infulte, ils n*ont qua déclarer qu'ils vont faire leurs prières à TEglife du vray Dieu , &: rendre vifite aux Scuamis *5 le moindre acci- dent qui arrive à quelqu'un d'eux ^ fuffit pour jetter l'é- pouvante parniy les autres. C'eft ce qui a déterminé le Père Simon Carvalho à baftir une Eglife dans un lieu plus proche de Tanjaour ^ ou du moins d'un cofté qu'on puft y venir par un païs découvert^ qui ne fuft ni des dépendant ces de ce Prince, ni expofé aux irruptions des Voleurs. L'endroit qui luy a paru le plus propre à élever cette Eglife 5 eft au-de-là du fleuve, affez prés d'unePeuplade nom- mée ElacourrUhi ^ & à l'entrée * C*eft ainfî qu'ils appellent les Miflîon- naircs. Mifsionnaires de la C. de J, 1 5 f d'un bois qui appartient au Prince à'.Anèlouf , autrement dit Naynar, Le Père avoit déjà obtenu du Prince la perniiffion d'y fai- re défricher un certain efpace de bois 5 je fis continuer Pou- vrage dés le lendemain de mon arrivée, dans le deflein de m'y rendre après les Feftes dePaf- ques, àc d'y refter jufqu'à la lîii-Juin , qui eft le temps où la rivière commence à fe for- mer , & à grolîîr par les pluyes qui tombent alors fur les mon- tagnes de Malabar. Ainfi mon diftricT: eft compofé des terres de trois difFérens Princes, fça- voir, du Madurè ^ dQTanjaour^ & du JSfaynaf, L'on n'y comp- te guéres moins de trente mil- le Chreftiens. Comme l'éten- due en eft fort vafte, il eft ra- re qu'il ne s'y élève fouvent G iiij ï^i Lettre i de quelques des perfëcutions ; auflî quand je pris poflelîîon de cette Egli- fe , elle en avoit à foufFrir en deux endroits difFérens , 6c eftoit fort menacée dans un troifiéme. Le premier de ces deux en- droits eftoit la Province de Chondanarou : les principaux du païs animez contre les Fi- délies, dont ilsvoyoient croi- ftre le nombre chaque jour, conjurèrent leur perte : ils en prirent plufieurs , ils en baf- tonnérent quelques - uns , de s^engagërent tous par un écrie qu'ils fîgnérent , à ne plus fouf- frir qu'aucun de la Contrée embraflaft le Chriftianifme. Déplus, ils réglèrent que ceux qui Tavoient déjà embraffé, renonceroient à la foy , ou fe- roient chaflez des Peuplades. Ils fongeoient mefme à dé- Jvîiljîonnaires de la C. de J. 1 55 niolir l'Edife. Mais le Chef de la Peuplade qui eft Chreftien, s'oppolà fortement à une en- treprit qui tendoit à Tentiére deftruAion de cette Chreftien- té naiffante. Il employa fi à propos le crédit de iQs Pro- ches 6c de ks amis , de ceux mefme qui eftoient Idolâtres, qu'il ramena peu à peu les ei^ prits à des confeils modérez. Le Catéchifte du lieu qui avoit la réputation d'habile Médecin, & oui par-là s'eftoic rendu néceflaire à toute la Contrée, eut le courage d'al- ler luy-mefme trouver nos En- nemis, & de leur repréfènter vivement qu'il eftoit injufte de perfécuter une Loy dont les maximes eftoient fi faintes ôc fi conformes à la droite rai- fon : qu'elle enfeignoit à ne faire tort à perfonne , à faire dir G V 154 Lettres de quelques bien à tout le monde , mefme à ceux qui nous font du malj à reconnoiftre 6c à fervir le véritable Dieu , à obéir aux Princes , aux Parens , aux Maiftres, & à tous ceux qui font reveftus de quelque au- torité. Ces hommes incitez par la haine qu'ils portoient à no- tre fainte foy, luy firent une réponfe qui n'étoit peut-eftre jamais fortie de la bouche des Gentils les plus brutaux &: les « plus barbares. C'eft , dirent- 55 ils, parce que cette Loy eft «Sainte, que nous la haiffons >5 6c que nous voulons la dé- >3 truire. Si elle nous permettoit « de voler impunément 5 fi elle >3 nous diipenfoit de payer le tri- 55 but que le Roy exige 5 Ç\ elle 5jnous apprenoit à tirer ven- >5 geance de nos Ennemis , & â %jîffionnaires de la C. de J. i j j' fatisfaire nos paflîons, fans eftre « expofez aux fuittes de la dé- « bauclie , nous l'embraflerions « avec joye : mais puifqu'elle ce met un frein lî rigoureux à« nos defirs, c'eft pour cela mef « me que nous la rejetcons , &« que nous vous ordonnons , à ce vous Catéchifte , de fortir au ce pluftoft de la Province. J*enct ibrs , dit le Catéchifte, puiique ce vous m'y forcez, mais cher-c< chez un Médecin qui prenne c< foin de vous, & qui vous gué- ci rilTe de vos maladies , comme c» J€ Tay fait fi fouvent. « Cette perfécution s'étant élevée à l*infçu du Gouver- neur de la Province, je l'en- voyay auffi-toft vifiter par un de mes Catéchill:es ^ cette hon- nefteté fut fouftenuë de quel- ques préfens félon la couftu- me du païs. Le Catéchifte G vj 1 5 5 Lettres de quelques fçut il bien s'infînuer dans Tefl prit du Gouverneur, qu*il fut: ordonné fur le champ qu'on laiileroic à tous les Peuples la li- berté d'embralïèr une Loy, qui ne commandoit que des choies jufles 6c faintes. Quelque précis que fuiîent ces ordres , il n'y eut jamais moyen défaire cail fer TAde que nos Ennemis avoient paiTé entr'eux. On en demeura là de peur de les ai- grir, & nous nous contentai! mes d'avoir mis le Gouver- neur dans nos intérefts. Cette épreuve , au refte , n a fervi qu a faire éclater davan- tage la fermeté de nos Néo- phytes ^ un d'eux s'eil fignalé par une confiance & une gé-- néroiîté vrayement Chreftien- ne. On l'a fouetté à diverfès repriiés d'une manière cruelles on luy a ferré étroitement \^^ Miffionnaires de la C.deJ, 157 doigts avec des cordes , éc bruilé les bras en y appliquant des torches ardentes , fans que ces divers fupplices ayent pu le faire chanceler le moindre inftant dans fa foy. J'ay vu moy-mefme les cicatrices de tant de playes , que cet illuftre Néophyte a eu l'honneur de recevoir pour Jesus-Christ. Ce fut principalement fur un des plus anciens Chreftiens? que les Gentils déployèrent toute leur rage. Il eftoit ha- bile Sculpteur. Les Gentils Ta voient fouvent prefféde tra- vailler aux chars de triom- phe deftinez à porter leurs^ Idoles 3 mais ils ne purent vaincre fa réfiftance. Ils diffi- mulérent quelque temps , par- ce qu'ils avoient befoin de luy pour d'autres ouvrages». Enfin , la fureur Temportanc 1 5 8 Lettres de quelques fur toute autre confidération, ils le faifîrent , le maltraitè- rent, pillèrent fa maifon, ra- vagèrent ks terres, &: le chaf fèrenthonteufement de fa Peu- plade. Il en fortit plein de joye, trop heureux, difoit-il, de tout perdre & de tout fouf- frir pour Jesus-Christ. Il fe retira dans une Province voifine , où un homme riche, qui connoifibit fon habileté, le recueillit dans fa maifon , & Toccupa à divers ouvrages. Dans la fuitte , ceux mefme dont il avoit eftè fi indigne- ment traittè , le firent prier d'oublier les infultes panées, bi de retourner parmi fes Con- citoyens dont il ieroit reçu avec honneur. Je Tenvoyay chercher moy-mefine , & Tex- hortay à rentrer au plufiiofl: en polTeffion de (qs biens 5 mais MiHtonnairesdelaC.deJ. 159 je fus extraordinairement fur- pris bc encore plus édifié de îà réponfe. Nos Ennemis, me« dic-il , m'ont rendu fervice en et voulant me nuire. Si je fuffe" demeuré dans mon païs , peut- «^ eftre n'aurois - je pu me dé-, et fendre de travailler à leurs ce Idoles & à leurs chars de« triomphe. Hélas i il ne faut" qu*un inftant où Tempérance" du gain & la crainte des«c mauvais traitement* me fe-" roient céder à leurs inftances. u Maintenant je n'ay plus rien à« perdre , puifque je ne poflTéde ce rien. Je gagneray ma vie à la ce fueur de mon front : fi le c< Maiflireque je fers veut m'em- et ployer à des ouvrages défen- et dus , je puis me retirer ail- ce leurs j au lieu que fi je rentre ce dans les biens dont on m'a ci dépouillé 5 puis-je compter furet î^o Lettres de quelques >3 moy - mefme ? Que fçay-je fi «j'auray toujours le mefme 53 courage que je me fens à pré- «fent? La paix dont je joiiis, î^m'eft plus prétieufe que tout » ce que j'ay perdu. Un dëfintëreiTement fi par- fait détermina un lafche Chre-^ ftien qui en fut témoin , à fè déclarer plus ouvertement pour la Religion qu*il n'avoit fait jufqu*alors. C'étoit le chef d'un petit Village. Tous ceux qui y pofiedent quelque fonds de terre , luy payent tous les ans un certain droit. Ces re- devances l'obligent de fon co- fté à donner chaque année un feftin à fes Compatriottes. On accompagne ce feftin de cérémonies qui tiennent fort de la fuperftition Payenne. Il y en a une entr'autres auffi in- fâme qu'elle eft rifible. Celuy Mifftonnaires de U C.deJ, 1 5 r qui donne le feftin eft obligé fur la fin du repas de fe bar- bouiller tout le corps d'une manière bizarre , de prendre en main la peau du mouton qui a efté iervi , de courir après les Conviez , & de les frapper de cette peau en poufl fant des cris aigus , comme fe- roit un homme en fureur 6c agité d'un efprit étranger. Il doit enfuite parcourir toutes \qs maifons de la Peuplade , y faire mille geftes ridicules , êc y afFeder une infinité de po- flures lafcives & indécentes. Les femmes qui fè tiennent a leur porte pour eftre témoins de ce fpectacle , fouffrent fans nulle pudeur ces boufonneries infâmes 3 elles le faluent mef- me comme une Divinité , s'i- maginant qu'un de leurs Dieux s'empare de luy , Se le force à i6i Z et très de quelques faire toutes ces grimaces, & à prendre toutes ces poftures extravagantes. Telles font les cérémonies de ce repas fo- lemnel. Le Chreflien dont je parle n'eut jamais part à des adions fî efloignées de la retenue & de la modeftie Chreftienne, Il fe contentoit de donner le feftin où il ne fe gliflbit rien de fuperftitieux, aprés-quoyil fe retiroit pour ne pas parti- ciper aux criminelles folies des Idolâtres. Un autre eftoit fub- ftitué à fa place par TAlTem- blée, qui fe chargeoit de la conclufion du feftin , en fai- fant les cérémonies infenfées que je viens de décrire. Mais quelques Ennemis des Chre^ ftiens s'âviférent de lui inten- ter procès , prétendant qu*il eftoit déchu de fes droits. ItAiJJionnaîres de la C. de J. 1 6y puifqu'il n'accompliffoit pas les cérémonies inféparables dufe- ftin. Il eftoit à craindre qu'il ne fuccombaft à une tentation fî délicate» En effet , il s'efFor- ça de me perfuader qu'il n'y avoit point de mal à lé bar- bouiller, à courir çà & là ar- mé de la peau de mouton , à Î)arcourir Iqs maifons du Vil- age, à fe mettre dans quel- que pofture grotefque pourvu qu'il n'y meflaft rien d'indé- cent. Où eft le crime , pour- u fuivoit-il , il je déclare d'à- « bord que je fais toutes ces« chofès par pur divertillèment , c< que je ne fuis point animé de c< l'efprit de leur Dieu , & que je « renonce à toutes les révéren- c< ces & à tout le culte qu'on me c« rendra. u C'eft ainfi que ce pauvre homme cherchoit à s'abufer ï^4 Zettres de quelques luy-mefme -, mais je le détrom- pay : je luy fis fentir qu'il de- viendroit véritablement Tau- theur de tous les ades d'Ido- lâtrie que les Gentils commet- tr oient à ion égard ^ qu'il Te rendroit coupable de toutes les fuperftitions aufquelles il donneroit lieu par fes bou fon- deries affectées ^ enfin que s'il n'y avoir point d'autre moyen de maintenir fes droits & ks prééminences dans le Village^ il devoir abfolument y renon- cer 3 qu'autrement je ne le re- connoiiTois plus pour enfant de Dieu, ni pour mon Dif- ciple. Je m'apperçus à fon air que mes raifons &; mes menacer n'auroient fait qu'une légère impreffion fur ion efprit , iî elles n'avoient efté fouftenuës de l'exemple du fervent Chre- Mi.ffionnaires de la C de J. 1 6^ ftien dont j'ay parlé plus haut. Il rougit enfin de fa lafcheté. Après avoir combattu les di* vers mouvemens qui s*éle- voient au fond de îbn cœur, il fe jetta à mes pieds, il les embraiîa avec larmes, il pro- tefta à haute voix que quand rnefme les Gentils voudroient Je difpenfer de cqs cérémo- nies fi contraires à la foy & aux bonnes mœurs , il renon^ çoit dés maintenant à tous \qs droits & à tous les avantages qu'il avoit poffédez jufqu'a- lors. Il faut connoiftre quel eft l'attachement de ces Peu- ples pour ces fortes de droits, afin de bien juger de la vio- lence que ce Chreftien a dli fe faire en cette rencontre. Ce fut le Gouverneur d'u- ne Peuplade quon nomme Chitrakuri , qui excita la fe- ï66 Lettres de quelques conde perfëcution que fbuf- froïc cecre autre partie du di- ftrict qu'on m'a confié. Il y avoir peu d'années que Je Clinflianirme s'y eftoit établi d'une façon aflez extraordi- naire. La femme d'un Orfè- vre nommée Mouttai * , qui s'eftoit convertie à la foy , avoit auilî converti fon mari. Ils s'animoient l'un l'autre à augmenter le nombre des Fi- dèles, luy parmi les hommes, &elle parmi les femmes: leur exemple & leurs difcours en avoient déjà gagné à Jesus- Chkist plus de quarante en moins de deux ans. La femme fur tout donnoit des marques d'un zélé qui égaloit celuy de nos Catéchiftes. Elle avoit en- . gagé fon mari à tranfcrire les prières qui fe récitent tous les * Ce mot fignifie, Marguerite, MiJJîormaires de la C. de J, i Gy Dimanches dans nos Eglifes^ cette petite Chreftienté s'afi icmblok dans la maifan de l*Orfévre,.où. Ton avoit drefle une Chapelle : ils y faifoient leurs prières, & écoutoient at- tentivement les inftrudions de ce fervent Chreftien. Mouttai avoit trouvé en- trée dans prefque toutes les Hiaifons de la Peuplade par le moyen de certains remèdes qu'elle diftribuoit aux mala^ des avec un fuccés ^ qui cer-* tainement ne venoit ni defoû habileté ni de fon expériencei Elle s'attachoit par-là tous les cœurs , & faifoit goufter à des familles entières les véritez feintes de noitre Religion. Un jour ayant engagé plufîeurs de ces familles à le convertir 4 Jesus-Christ, & leur ayant;, enièigné elle-mefme les prié- G* tes Lettres de quelqnéi Tes des Ghreftiens, elle fîr ve- nir un Catéchifte nommé HaïaPen * pour les inftruire parfaitement de nos myftéresi Ce Catéchifte s'acquitta d'a- bord de fes fondions avec plus et zélé que de prudence. Le Gouverneur informé de ce qui k paiîbit , envoya chercher ^aïapen , & luy demanda tout en colère , pourquoy il venoit féduire les Peuples , & leur en- feigner fans fa permiflîon une Religion étrangère. Je ne me fouviens point quelle fut fa ré- ponfe , mais elle déplut aii Gouverneur, & il fit %ne à fès Gens de maltraiter le Ca- téchifte. On luy donna d'abord queL <]ues coups qu^il fouffrit avec »ne patience invincible : n:ais comme on vouloir luyofter le * C*cû â dire , Pierrei JMiffïomaires de la C. de J, i C^ Toupeti , ( c'eft une pièce de toile dont les Indiens s'entou- rent le milieu du corps. ) Il f)ou{ra fi rudement celui qui ui vouloir faire cet outra - ee, qu'il le mit par terre. A rinllant les Soldats fèjettérenc fur lui avec fureur , le dé- pouillèrent de fes habits, le chargèrent de coups, le traif. lièrent par les cheveux hors de la Peuplade , 2c Ty laillcrenc tout meurtri &: nageant dans fon lang, avec defenle fous pei- ne de la vie de paroiftre ja- mais dans la Peuplade. Ce mauvais traitement fait au Catëchifte cftoit , ce fem- ble, le prélude des maux qui eftoient prefts de fondre fur le rcfte des Chreftiens. Néan- moins on vie bien-toft renaif. tre le calme, &: le Gouver. neur ne pouiTa pas plus loin /^. Kec. H X70 Lettres de quelques {ts violences. Je crus pourtant devoir prévenir les fuites que pouvoir avoir cette infulte : je m'adrefTay pour cela au Gou- verneur général de la Pro- vince, homme modéré & af- fedionné aux Chreftiens. La vifîte que je luy fis rendre , 6c les petits prefens que je lui en- voyay, eurent tout le fuccés que j'en pouvois attendre. Le Gouverneur de la Peuplade reçut ordre de ne plus inquié- ter ni le Catéchifte , ni les Néophytes. Un temps confidérable s'et toit écoulé depuis Téxil de Raïapen jufqua fon rappel, ôc je craignois fort que cette Chreftienté encore naiffante, n'eftant plus cultivée par ks foins, ne vinft à chanceler dans lafoy. Mais la vertueufe Mout-^ tai avoit pris le foin de forti- Mifiicnmûres de la C. de J. 1 7 r fier ces NcopKyresparfon zé- lé 6c par fou afiîduiteàlec infl truire. Elle m*amena treize Ca- téchunienes au commence^ ment du Carefme ^ je les joi- gnis à plulîeurs autres , & après \qs avoir difpofèz à la grâce du Baptefme par de fréquentes inftrudions , le jour de Paf- ques, je leur conférày à tous ce Sacrement de noftre régé- nération en Jesus-Christ. Parmi le grand nombre de Baptefmes que j^adminiftray en ce faint temps , il y en a deux ou trois qui ont quelque chofe de lîngulier. Le premier fut celui d'une Dame de la Cour nommée Minakchia - mal. Elevée dans le Palais dés fon bas âge, elle eftoit en- trée fort avant dans la confi- dence de la Reine-mere, qui l'avoit eftablie comme la Pref^ Hij j 7i Lettres de quelques trèfle de fes Idoles : fon mî- j^ifl-érc eltoic de les laver, de les parfumer , de les ranger proprement chacune félon ion rang & fa qualité au temps du Sacrifice. C*eftoit à elle d'of- frir les fleurs, les fruits, le ris, le heure a chacune des Idoles^ elle devoir eftre alors fort at- tentive à n'en oublier aucune, de peur que celle qu'on auroit nef^li2:ée ne fufl: mécontente, ôc ne fift tomber fa malédic- tion fur la famille Royale. On lui avoir fait époufer un Grand du Royaume qui avoit l'intendance générale de la maifon du Prince. Ce mariage donnoit la liberté à Minak^ chiamal de for tir de temps en temps , oc de s'mftruire de ce qui fe paflbit hors du Palais. Elle entendit parler de la loy ides Chrelliens , & elle eut Mi^onnaires de la C. de J, 1 73 la curioiîcé de les connoiftre. Une femme Chreftienne, avec qui elle avoir à^s liaifons ef^ troices , luy procura peu à peu la connoiilànce d*un Ca- téchifte pieux ôc habile. Ce zélé ièrviteur de J £ s u s - Christ rentrecmt fouvenc de la grandeur du Dieu que nous adorons, & luy infpira par fes difcours une iiaure idée de noftre fàinte Religion. Il arriva niefine que dans les di, vers entretiens qu'ils eurent en* femble, ils reconnurent qu'ils eftoient parens aflTez proches. La proximité du fang redou- bla i'eftime & la confiance. Cependant bien qu'elle con- nuft la fainteté de la loy Chreftienne , elle ne parloit pas encore de l'embrafler. Une difgrace inopinée fraya le chemin i la lumière qui vinr H ijj 1 74 ^ cHres de quelques réclairer. Son mari accufé de malverfation dans Tadmini- ftration de fa charge , fut con- damné à une groffe amande. Mindkchiamal reffentit vive- ment un malheur qui desho- noroit fa maifon. Elle fe vit ré- duite à vendre quantité de fes bijoux êc de ks perles , pour ti- rer fon mari d'un fi mauvais pas 3 êc le chagrin qu'elle en conçut , mina peu à peu fa fanté , éc luy caufa une m.ala- die violente. D'ailleurs le Dé- mon la tourmentoit fouvent \ en reconnoiifance des Sacrifia ces qu'elle luy offroit chaque jour 3 &; ce n'eftoit que parmi les Chreftiens qu'elle trouvoic de l'adouciffement à i^s maux, & une force extraordinaire contre les attaques du malin E/prit. Mais cela ne fuffifoit pas I Miffionnaîres de la C, de J, ly^ pour brifer tout - à - fait les chaifnes qui la retenoient en* core captive. Une féconde dit grâce acheva ce que la pre- mière n'avoit fait qu'ébau- cher. Son mari qui lui avoic obhgation de fa délivrance ôc de {on récabhflemenc , ne paya ce bienfait que d'ingra- titude. Comme il n'avoit point d'enfans & qu'il defefpéroic d'en avoir, il paffa à de fé- condes noces, fans cependant dépouiller Mmahhuimal du titre & des prérogatives de première femme. Ce coup im- prévu luy fut plus fenfîble que tous les autres ^ Dieu en mef. me temps répandit dans fon ame les plus vives lumières 5 elle fut parfaitement convain- cue de la vérité de noftre Re- ligion , & prit enfin la réfolu- Jution de TembralTer. H iiij î 7 ^ L € tires de quelques Il ne reftoic plus qu*un lien aC fez difficile à rompre^ Toffice de Tûujari^oM de Preftreifle de la Reine^ mère , eftoic incompati- ble avec le titre de fervanre du Seigneur. Il y avoit du rifquc à déclarer qu'elle vouloit quit- ter cet employ pour fe faire Chreftienne -, car quoy-que dans l'occafion elle entretinft la Reine de ce qu'elle avoic appris de noftre Religion, el- le ne luy faifoic pas apperce- voir quel efloic îà-dellus [on à^Sizin. Le parti qu'elle prit, fut de reprefenter à cette Princeffe , que ks infîrniitez ne lui permettant plus d'avoir foin des Idoles , ni de fe rendre aux Sacrifices, elle la prioit inftamment de confier cet employ à une autre. La JReine écouta ks raifons, en luy ordonnant néanmoins de M'idionnaîres de la CJeJ. i^-j venir au Palais de deux en deux jours comme à Tordi- naire. Ainfî Minakchiamalcon- tinuoic d'eftre à la /iiitte de Ja Reine, mais elle ne parti- cipoic plus aux œuvres des Payens, & n'avoit plus Tiru tendance des Sacrifices. Dés qu'elle fe vit libre, ion unique paffion fut d'eftre ad- mife au rang des Fidèles. Dans l'impatience qu'elle avoit de porter le caradëre des enfans de Dieu , elle demanda per- miffion à la Reine de s'abfen- ter du Palais pour quatre ou cinq jours j & l'ayant obte- nue , elle ie mit auffi - toft en chemin pour venir me trouver à Counampaty, Son mari vou- loir qu'elle prift un Palanquin^ voiture ordinaire des Gens de qualité , & qu'elle fe fift iui- vre par un grand nombre de H Y lyS Lettres de quelques domeftiques. Mais elle s'ob- ftina toujours à faire le voya- >3 ge à pied. La grâce après la- » quelle je foûpire, difoit-elle, >3 mérite bien que j'aye un peu w de peine à l'obtenir. Elle vint donc à pied fuivie d'une feule femme Payenne qu'elle avoir à demi gagnée à Jésus- C H R I s T , ôc accompagnée de trois Catéchiftes qui lui fer- voient de guide. Comme cette manière de voyager lui eftoit nouvelle, {^.s^ pieds s'enflèrent extraordinai- rement3 mais l'infigne faveur qu'elle eftoit fur le point de recevoir, occupoit toute fon at- tention j à peine mefine s'ap- f>erçut-elle qu'elle fouffroit. Je ni conféray le Baptefme avec le plus de folemnité qu'il me fut poiTible , & elle le reçut avec des fencimens de joye qui Miflîormdres de laC.de J. 179 ne fe peuvent exprimer. Je lui fis préfenc d'un CJiapelet de jais dont ces Peuples font grand cas, de quelques Mé- dailles , 6c d'un Aendent à leur cou, 6c qu'elles aillent tomber fur leur poi- trine. ) Noilre couftume eft de ne recevoir que rarement le::^ H vj. 1 8 o Z et très de quelcjucs dons mefmes que les nouveaux Fidèles veulent faire à TEgli- fe , afin de les bien convaincre de noftre dëlîntcreflèment. Je fis donc difficulté d'accepter ce qu'elle m'ofrroit. Je luy re- prcientay qu'un fi riche orne- ment réveilleroit l'avidité des Gentils , ôc deviendroit la fburce de quelque perfécution nouvelle. Mais m'appercevanc que ma rcfiftance Taffligeoic, je crus devoir me relafclier un peu de ma fëvériré. Je pris une partie des bijoux qu'elle me préfèntoit, ôc je fis venir un Orfèvre pour les mettre en œuvre félon i^^ intentions. Ma prédidion ne fut que trop vraye 5 peu après il s'éleva une perfécution, la maifon de l'Or- fèvre fut pillée, ôc les libèra- litez de Mmakchiamal devm- rent la proye du Soldât GeOr Midiotmaires de la C. de J, i tt til. Nous efpërons que cette géncreufe Chreftienne confèr- vera fafoy pure dans leféjour de rimpieté 3 àc qu^au milieu d'une Cour Idolâtre, elle fera Je fouftien de la Religion , àc Tappuy des Chreftiens perfé- cutez. Ce fut elle qui m'apprit les railons qu'on avoit de crain- dre une troifiëme perfëcution à TuyijaouY, Elle me raconta que plufieurs Poètes. ayant ré- cité des vers en l'honneur des faux Dieux devant le Roy qui fe pique d'entendre la poëfie, un Poëtc inconnu fe leva au milieu de l'alîèmblée, & pre- nant la parole. Vous prodi- «* guez , leur dit - il , voftre en- «t cens & vos éloges à des Divi- « iiitez chimériques j elles ne mé- « rirent point les louanges dont « vous les comblez. Le feul Eflre « ï ^2 Lettres de quelques «fouverain doit eftre reconnu «pour vray Dieu, lui feul më- »3 rite vos hommages & vos ado- w rations. Ce difcours révolta Torgueil des autres Poètes, ôc ils de- mandèrent juftice au Prince de i'infulte qu'on faifoitàleurs Dieux. Le Roy leur répondit, que quand la fefte feroit paf- fée, il feroit venir le Poëte in- connu , âc qu'il examineroit les raifons qu'il avoit eues d'avan- cer une propofition fi hardie. Quand les Chreftiens appri- rent ce qui venoit de fe paffer au Palais, la confternation fut générale : on ne doutoit point que dans la perfuafion où l'on eftoit , que ce i^oëte avoit efté apofté par les Fidèles pour dé- crier les Dieux du païs , la per- {icwtiow ne duft eftre des plus fanglantes. Il faiioit donc cher- MifjîonnaîrcsdslaC.isJ. 185 cher quelque moyen d'écarter l'orage qui fe formoic. Le Pè- re Simon Carvallio qui gou- vernoit alors cette Eg:life , fon- geoit a le ménager un entre- tien avec le Poète , afin de fon-v der fes véritables fentimens. Il efpéroit, ouïe gagnera Jésus- Christ, ou découvrir du moins le motif qui l'avoit por- té a fe déclarer fi hautement pour le vray Dieu dans une Cour Payenne. Mais il n'y eut jamais moyen de l'attirer au- près du Miffionnaire. Tout ce que purent fçavoir les Caté- chiftes, c'eft qu'il eftoit Brame^. & du nombre de ceux qu'on appelle Nianigueuls ^ c'eft- à- dire , Spirituels, qui ont appris dans leurs anciens livres à ne reconnoiftre qu'un Eftrefouve- rain, & à méprifer cette fou- î 8 4 ^ et ire s de quelques le de Dieux que révèrent les Gentils. Ce fut un nouveau fujet d'inquiétude pour le Million- naire. Il avoit raifon de crain- dre que, {i le Poète venoit à eftre cité en préfence du Roy, il ne puft foudre les diflicuL tez que lui oppoferoient les Docteurs Idolâtres^ il prit donc le delîèin de fournir des ar- mes à ce nouvel athlète , &: pour cela il lui fît propofer de lire la première partie de l'In- troduction à la foy , compofée par le Père de Nobilibus, cet illuftre Fondateur de la MiC iîon de Maduré. Ce Livre eft écrit dans toute la pureté de la Langue 5 car ce Père en connoiffbit toutes les délica- tefles. L'unité de Dieu y eft démontrée par des raifons fî jÂlHiormaireiâclaCdeJ. \%^ claires , fi fenfibles, & en met me temps fi convaincantes, qu'il n*eft point d'efprit rai- fonnabie qui puiffè y refifter. Maib le Brame enflé d*orgueil &: plein de mépris pour la loy Chrejftiennc , regarda comme un outrage le fecours quon lui ofFroit. On peut juger de Tembar- ras où fe trouva le Père Car- vâlho. Il lui vint à Pefprit d'al- ler trouver le Roy , ic de lui repréfenter qu'il feroit injufte de condamner noftre loy fiir \^s> preuves infuffifantes qu'ap- porteroit un homme peu éclai- ré , que le Brame eilioit plus enteflé qu'habile, qu'il n'avoir pas la première idée des rai- fons fondamentales fur lef- quelles eft appuyée la vérité d'un feul Eftre fouverain : qu'il s'offroic lui-mefmc de foufte- 1^6 lettres de quelques nir cette vérité contre tous les Docteurs Gentils, &: qu'il fe condamnoit par avance au chaftiment le plus févére, s'il ne la mettoit dans une évi- dence à laquelle il n'y auroic point de reponfe. Ce Millionnaire avoit tout le zélé 6c toute la capacité néceirairc pour exécuter ce grojet avec fuccés : il eft ha- lle Théologien , & fçait par- faitement la langue du païs. Cependant après quelques ré- flexions, il jugea que cette dé- marche feroit plus préjudicia- ble qu'utile à la Religion , que fa préfénce fortifieroit l'opi- nion dont on eftoit prévenu, que le Poëte n'avoit déclamé contre les Dieux qu'à l'infti- gation des Chreftiens-, qu'en- fin l'indignation du Prince en deviendroit plus grande, ôc la "Millionnaires de la C. de J. îîy perfécution qu'on craignoit jplus certaine. Un autre incident confirma le Père dans fa penfée. L'ef- prit du Roy eftoit fort aigri par d'autres vers injurieux aux Divinitez Payennes , dont un de nos Clireftiens eftoit l'Au- teur. Ce Néophyte excelloit dans la Poefie Indienne : il avoit fait un ouvrage en ce genre , lorfqu'il eftoit Gentil, qui mérita les applaudifîemens mefme du Prince. Depuis fa converfion il n'employoit fon talent qu'aux éloges de la Religion faintc qu'il profefîe. Un des jeunes Gens de la Vil- le, à qui il avoit autrefois en- feigne la Poëlie, s'avifa un jour de luy demander des vers qu'il pût reciter à la fefte d'un des Dieux du pais. Le Chreftien y confentit de bonne grâce ^ il I s 8 Lettres de qttelqueS compofa fur le champ une pié^ ceaircz longue qu'il écrivit fur des feuilles de palmier fauva- ge. Il racontoic encre autres cho{ês,les infâmes 6c ridicules avantures qu'on attribue à ce Dieu , & il concluoit cette ef- pëce d'Ode par ces paroles. Quiconque a commis toutes cei abominations , peut - il efire un Di(U ? Le jeune homme lut d'a- bord ces vers ivec complai- fance ^ mais la fia de Touvrage luy fît bien toit lèntir le ridi- cule dont on lecouvroit lui & fon Dieu prétendu. De colcrç il va trouver un Poëce Idolâ- tre , qui d'intime ami de no. ftre Néophyte eftoic devenu fon ennemi irréconciliable ^ jufqu'à fe vanter de le faire périr par l'épée d'un boureau. Une haine û outrée venoit de Mi'dionnairesdelaC.deJ. 189 ce que dans une difpute pu- blique fur la Religion , le nou- veau Chreftien a voit confon- du le Poète Gentil, & Ta voit réduit à un honteux fîlence. Il coiifervoit toujours dans le cœur le fouvenir de cet af- front j & ravi d'avoir en main dequoy perdre le Néophyte, il fe donna tant de mouve- menS;, qu'enfin il fit tomber les vers entre les mains du Prin- ce, qu'il fçavoit eftre fort ja- loux de l'honneur de fes Dieux. Telle eftoit la fituation de la Chreftienté de Tarjjaour , quand je fuccéday au Père Carvalho. Il fe répandoit tous les jours de nouveaux bruits qui me jettoient dans de nou- velles allarmes. Selon ces bruits Tefprit du Prince s'aigriiloic de plus en plus, &: le feu de la perfécution alloit s'allumer 1 9 o L et très de quelques de toutes parts. Je voulus fça- voir ce qu'il y avoit de réel dans tout ce c[ui ie publioit. Je m'adreilay pour cela à un des principaux OfSciers de la Cour nommé Chitahara^ qui eft fort avant dans la confît dence du Roy, êc qui protège les Chreftiens. Je fis partir quatre de mes Catéchiftes avec des préfens qu'ils dévoient lui donner j ( car ces fortes de vi- Ç\x,ç.s ne fe rendent jamais les mains vuides ) &; je le fuppliay de m'informer des fentimens du Prince à noftre égard, fans me déguifer ce que nous avions à craindre ou à eipérer. Un autre que Chitabara^ té^ moin de nos allarmes , nous eue fait acheter chèrement fa ré- ponfe. Mais ce Seigneur eft d'une droiture & d'un défin- téreflemenc qu'on ne trouve lAllJîonnAiTei de la C. dej, 19 1 point parmi ceux de fà Nation. Il nous ralîura de nos craintes, 6c nous fît dire que le Roy ne Eenfoit plus ni à Tinfulte pu- lique que le Brame avoir fai- te aux Dieux , ni à la fatire adroite du Néophyte^ que des affaires importantes occu- poient toute fon attention j que mefme des Courtifans s'eftant ëchapez jufqu'à dire qu'un Prince ne doit tolérer aucune des Religions étran- gères , le Roy faifant peu de cas de cet avis , avoit répondu qu'il ne vouloit contraindre perfonne ; & que cette répon- le avoit fermé la bouche aux mal intentionnez. Les Caté- chiftes vinrent tout triom- Ehans m'apporter cette agréa^ le nouvelle, qui rendit le caL meôcla tranquillité à tous le$ cœurs* 1 î^i Lettres de quelques Cependant la foule des Chreiticns augmcntoic déplus en plus , &: li ne fe paiFoic gueres de jours, que j-^ ne bap- tizalFe quelque Catéchumène. Parmi le grand nombre de per- fonnes qui reçurent la grâce du Baptefme , il y en a une que je ne puis omettre. C*cft la femme d'un Pocte du Cho^ rev-mandciluTï. Elle eftoit depuis long- temps fort tourmentée du Démon: quelquefois il lui prenoit des accès d'une folie qui n'avoit rien de naturel 3 quelquefois cette folie fe chan- geoit dans les tranfports de la plus violente fureur : d'autres fois elle perdoit tout à coup Tufage dé la parole , ou bien elle devenoit paralitique de la moitié du corps. Son mari qui Taimoit ten- drement 5 n avoit rien épar- gné Millionnaires de la CdeJ, 193 gné pour fa délivrance 3 il Ta- voit promenée dans tous les Temples les plus célèbres, il avoit fait une infinité de vers en l'honneur de ks Dieux , il avoit chargé leurs autels d'of- frandes & de préfens , il avoic niefme diftribué de grofles fom- mes aux Gouroux * Gentils qui paflToient pour avoir de l'em- pire fur les Démons : tant de dépenfes Tavoient prefque ré- duit à la mendicité 3 cependant la malade loin d'eftre fbulagée, empiroit tous les jours. Six ans fc paflerent ainfi en vœux , en pèlerinages , ôc en offrandes inutiles. Les Chreftiens luy con- seillèrent d'avoir recours au Dieu qu'ils adorent, ôcTaflil- rerent que fa femmedevoiten attendre une guérifon parfaite, * C*eft ainfi qucle$ ludicns appellsot Iqjra poseurs. Î94 Lettres de quelques i\ elle promettoic d'un cœur fîncere d'embrafTer fa loy. Le Poète qui avoit le ChriftianiC me en horreur, rejetta dabord un confeil fi falutaire : mais comme une difo-race continuée ouvre peu-à-peu les yeux des plus opiniaftres i l'inutilité àç.^ remèdes qu'il avoit employez luy fit faire à^s^ attentions fé- rieufes , fon enteftement cefia , & il fe détermina enfin à me- ner fa femme à l'Eglife de Tan* jaour gouvernée alors par le Père Carvalho. Mais on fut bien furpris de trouver dans la femme encore plus de réfifi:ance , que n'en avoit fait paroiftre le mari. Ce qui parut extraordinaire, c'eft que {q,s jambes fe roidirent tout à coup , &: ie collèrent ix fortement contre les cuifi^es, qu'on fit de vains efforts pour MiJIionnams delà CJe J. 195 Iqs en détacher. Le Poëte ne fè rebuta point , il crût au con- traire que Teiprit malin ne fai- foit naiftre cet obftacle, que parce qu'il fentoit déjà la force du Dieu qu'on fe mettoit en devoir d'implorer. Il fit mettre fa femme dans un Bouli , ( c'eft une voiture moins honorable que le palanquin , ) 6c il la fit tranfporter à l'Eglife. Dés que le père Carvalho la vit approcher , il fe difpofa à réciter iur elle quelques priè- res : il n'a voit pas encore com- mencé , qu'elle fe leva tout à coup de deflus Iq Douli , & mar- chant droit au Père qui eftoit aflez loin, elle fe jetta à fes pieds , fans pourtant prononcer aucune parole. Le mari qui la vit marcher d'un pas fi ferme & fi afiiiré , ne put retenir fes larmes : ilfe jetta comme elle lij J9 S Lettre^ de quelques aux pieds du ÎPere , ôc publia hautement la puillance du Dieu que nous invoquons. C'eftoic un fpedacle bien confolant {)our le Miflîonnaire , de voir e témoignage authentique que le Démon eftoit forcé de ren^ dre à la vérité denoftre fainte foy. Ilfitfurellelesexorcifmes de TEglife, & le Démon ne donna plus aucun figne d'obfef- fîon. Dés lors elle fe fentit com- me déchargée d'un pefant far- deau , elle avoua mefme qu'elle n*avoit jamais éprouvé une joye aufîî pure que celle qu'ellç goûtoit. Ne pouvant réfifter à une conviclion fî forte de la vérité de noftre Religion, elle prelTa extrêmement le Père de l'ad- mettre au rang des fidèles. Mais le Miflîonnaire ne croyant pas devoir fe rendre fî toft à fes emprellemens , luy répon- %iilJionnaire5 de la CJe J, 197 die qu'il ne falloir rien préci- piter dans une affaire de cette conféquence 3 qu'elle devoit au- paravant fe faire inftruire , 6c que fi dans deux ou trois mois elle perfévéroit dans fa réiblu- tion , il luy accorderoit la grâce qu'elle demandoit avec tant d'inftance. En mefme temps il luy donna quelques Médailles , en TalTurant qu'elle n'avoit rien à craindre des attaques du Dé- mon, pourvu qu'elle perfiftaft dans les bons fentimens où il la laiflbit. Cette réponfé la dé* fola 5 elle obéît pourtant , & s'en retourna dans fa Peuplade le cœur ferré de la plus vive douleur. Quelques mois après , fon ma- ri jugeant à (qs manières que le Démon ne l'avoit pas tout à fait abandonnée , me l'amena à Counam^atyo\i]'Q{\.o'\s. Jel'éxa- iiij î 9 s ^ litres de quelques minay de nouveau , 2c je I^ trouvay inébranlable dans fes premiers lentimens. Cepen* dant à fon air interdit ôc efFaré y je reconnus qu'elle eftoit enco- re agitée de troubles intérieurs. Aufli m'avoùa-t-elle , qu'à la vérité depuis la première fois qu'elle eftoit venue à l'Eglife ^ elle n'efboit plus inquiétée de ces horribles phantômes, qui auparavant la tourmentoient prefque à toute heure j mais qu'elle fe fèntoit de temps en temps faifie de certaines fray- eurs fubites dont elle ignoroic la caufe : qu^outre cela a^s fon- ges afFreux troubloient fon fom- meil prefque toutes les nuits , 6c qu'elle en demeuroit étonnée le jour fuivant ^ mais qu^enfîn elle efperoit eftre entièrement délivrée par le Baptefhie de tous ces reftes de l'Efclavagc Mi.lJîonnairesdeldCdeJ, 199 du Démon. Comme elle eftoit parfaite- ment inftruite de nos myfteres , je ne difFeray pas davantage à luy accorder la grâce après la- quelle elle foupiroit depuis tanc de mois. Il arriva une chofe afîèz extraordinaire, tandis que je faifois fur elle les exorcifiiies & les autres cérémonies du Bap- tefme. Il luy prit tout à coup un balancement de tefte à peu prés fèmblable à celuy de la Pendule d'une horloge qui eft en mouvement. Je lui jettay aufl fîtoft de l'Eau bénite , &: tout à coup ces balancemens cefle- rent, & elle revint à fa première fîtuation. J^achevay en repos le refte des cérémonies, & la Néo . phyte donna des marques du- rables d'une grande tranquilli- té d'efprit. La multitude des Confeffions* I iiij lOO Lettres de quelques àc à^s autres affaires infépa- rables d'une grande Miffion , ne me permirent pas de don- ner à fon mari tout le temps que j*aurois fouhaitcé , pour luy bien inculquer nos véritez faintes. Je le màs entre les mains des Catéchiftes , qui s'appli- quèrent avec beaucoup dezële à Tinftruire durant les quatre jours qu'il demeura à Counam- faty. Dans les divers entretiens qu'il eut avec eux,il leur avoiia, qu'outre la force qu'il recon- noiflbit évidemment dans noC tre fainte Religion par l'entière délivrance de fa femme, deux chofes le convainquoient mieux encore de fa vérité. La premiè- re eftoit la vie auftere & défin- terefiëe des Miflionnaires. Je » m'imaginois , difoit-il , que vos M Docteurs eftoient femblables »3 aux noftres 3 qu'ils fauvoient les Miffionnaires de la C. de J, 201 dehors , mais qu'au fond ils s'a- « bandoniioienc à toutes fortes « de vices. J'ay voulu fatisfaircci ma curiofité 3 & après une re- ce cherche exacte de leurs mœurs, et j'ay efté extrêmement frappée* de la vie innocente 6c laborieufe ce qu'ils mènent. La féconde cho- c< fe qui le convainquoit de la vé- rité de la loy Chreftienne , et toit qu'elle eût la force de chan- ger les cœurs. Sur tout il ne pouvoit comprendre comment ceux de la Cafte des Voleurs, qui fe faifoient Chreftiens , renonçoientabfolument à leurs larcins & à leurs brigandages. Ainfî cette feule marque de la Religion , que le Prophète donna autrefois pour une des plus inconteftables preuves de fa fainteté , Lex Domini conveu tens animas , fît une telle impref- lîon fur ce Gentil , qu'il ne fon- I V loi L ettres de quelques gea plus qu'à s'inftruire de nof faintes veritez. Il fît tranfcrire avec foin l'Abrégé de la Doc- trine que nous enfeignons , iiir tout les iix preuves que nous donnons de la Divinité, & l'ex- plication des dix Commande^ mens de Dieu. Il prit enfuite congé de moy avec fa femme ^ & ils me promirent tous deux de venir me trouver de temps en temps 5 ce qu'ils ont fait , 6c ce qu'ils font encore avec une exactitude qui me charme. Ce fut environ ce temps là qu'un autre Gentil vint à mon Eglife , & y trouva tout à la fois la fanté de l'ame & du corps. Depuis quatre ans il fe croyoic tourmenté du Démon ^ le mau- vais Efprit 5 à ce qu'il difoit^ luv fucçoit tout lefang, à def- iêin d'arracher eniiiite fon ame fi irritée qu'on fe le figuroit ; plein d'une faintç confiance il prit le defiéin de 5'aller prefenter au Prince,pour luy demander la délivrance du Père Bertholde,qu'on détenoit dans une rude prifon. Il crut pourtant devoir en avertir le frère cadet du Prince, ennemi fecret du Pradani , & protec- teur déclaré des Miflîonnaires. Ce Seigneur de concert avec fa fixur qui a beaucoup de cré- dita JaCour, engagea le Prin- ce à faire un bon accueil au Docleur étranger, & à réparer par quelques marques d'hon- neur , la démarche qu'il avoic faite par le confeil de fon Mi^ uiftre, Millionnaires de la C. de J. 217 niflre , 6c qui avoît flétri la gloi^ re qucluy 6c fcs Anceftres ont toujours eue de lèrvir d*afile aux Etrangers. Le Prince gagné par de fi puiflantes intcrcellîons , promit de faire juftice à Tinnocence de ces Etrangers 3 6c ayant ap- ce pelle le Pradani ^ il faut, luyu dic-il en colère, ou cjue vouscc foyez bien imprudent d'avoir « cru fi légèrement les rapports « qui vous ont été faits de Topu- « lence des Santas , ou que vous « ayez un grand fonds de ma-cc lignite, de leur avoir fufciré une « perfecution Ci cruelle 6c fi pré- « judiciable à ma réputation. Le« JFradani ^ pour fe juftifîer, eut recours aux accufations ordi- naires : ce font, dit- il, des Pran- « gtéis ^ qui fous prétexte d'enfei-ci gner leur Religion, tafchent de « répandre l*e/prit de révolte « 21 s Lettres de quelques T5 parmi vos fujets pour livrer le » païs aux Européans qui habi- M cent les côtes. Ces calomnies ne firent nulle impreflîon fur l'efprit du Prin- ce : il fçait que depuis prés de cent ans que la Religion ChreC tienne s'eft introduite dans ces divers Etats de l'Inde Méridio- nale, les Millionnaires ont tou- jours infpiré aux Peuples toute la foumiffion ôc la fidélité qu'ils doivent à leurs Souverains. « Voila , répondit le Prince , voi- «la les chimères dont vous au- 53 très Miniftres vous nous repait >3 fez fans cefife , pour nous animer « contre cette nouvelle loy ^ ce 55n'eft pas là dequoy il s'agit » maintenant : je prétens que w quand le Sanias viendra à TAu- M dience , non feulement vous M vous abfteniez de tout repro- » che j mais que vous luy donniez Millionnaires de la CdeJ. 219 encore les plus grandes mar- « ques de voftre relped. C'eftoit « un coup de foudre pour le Pra^ dani ^ homme fier Ôc hautain , comme le font tous les Noirs dés qu'ils ont quelque autho- rite. Quelques jours après le Prin- ce permit au Père Jofeph Car- valho de paroiftre en fa pré- fence , & il le fit aiïeoir fiir un fiége couvert d'un tapis , hon- neur qu'il n'accorde à aucun de ks Sujets. Voici à-peu-prés le difcours que tint le Mifiion- naire. L'accueil favorable dont « vous m'honorez , dit-il au Prin- « ce , prouve afTez que vous n'a- « vez aucune part aux traitte- €< mens indignes qu'on a faits au « Dofteur de Couttour mon frère ^ et j'en connois les autheurs , je ne « les accufe point de l'avoir char- « Kij 110 Lettres de quelques n gé d'opprobres, d'avoir dëchî- >> ré ks vétemens , ravagé fa pau* *3 vre cabane , profané fon Egli- »> fe , malrraitcé fes Difciples. Je » ne me plains pas mefme de ce >3 qu'on Je tient encore reflerré M dans une étroite prifon, corn- M me fî c'eftoit un Rebelle , ou >3 un Voleur public ^ mais je me » plains de ce qu'on ne m'a pas 3> fait Ip mefme honneur. J'enfei- « gne comme luy la loy du vray 53 Dieu, (5c je m'eftimerois heii- >5 reux de foufFrir pour une fi juC M te caufc. Nous fommes venus »> de plus de fix mille lieues pour « inftruire les Peuples des gran- di deurs infinies du fouverain M maiftre du Ciel & de la Terre : » nous avons préveu les diverfes 33 contradidions que nous fouf- » frons maintenant , & ce font w ces contradictions là mefmejqui MiJJîonnaires delaCdeJ. tiV nous ont attiré dans des Ré- €« gions fi éloignées de noftre Pâ- c< trie. Nous nous croyons bien « payez de nos peines, quand > qu'a fait mon Miniftre, eft com- >3 me un nuage qui a obfcurci pour 53 quelques inftans la lumière que )3 vous répandez dans mes Etats ; » mais ce nuage mefme n'a fervi » qu'à me faire mieux connoiftre «la fainteté de voftre loy, 6c la Mifsionnaires de la C, de J. i l'Ç pureté de vos mœurs. Défor-cc mais je donneray de fi bons<« ordres^ qu'aucun de mes Of-u ficiers n'aura Taudace de vous et manquer de refpecT:. « Là-deflus il le Qt apporter une belle pièce de toile peinte cju'il donna au Miffionnaire comme un gage de fon amitié : il luy fitpréfent d'une autre à- peu-prés femblable pour le Père qui eftoit prifonnier à CouttouY : il n'y eut pas jufqu'aux Catéchiftes qui eurent part aux libéralitez du Prince : non feu- lement il leur donna de beaux Toupetis * , il voulut encore qu'on les fift monter fur des Eléphans richement enfiarna- cliez , & qu'on les promenaft en triomphe par toute la Ville, afin que perfi^nne n'ignoraft, * Pièce de toile donc les Indiens fc couvrent.' K iiij 1 14 LettYes de quelques qu*il les prenoit eux & le refte des Chreftiens fous fa protec- tion. Tout cela fut exécute le jour mefme j on reftitua au Miffionnaire tout ce qui avoit efté pillé à Couttouf, Les orne- mens d'or ce de coral qui ap- partenoient aux Fidèles , eu- rent un peu plus de peine à fortir des mains du Pradani-^ mais enfin après quelques fom- mations , tout ou prefque tout fut rendu. C*eft ainfi , Mon Révérend Père , qu'à la gloire de noftre fainte foy , &: à la confolation à^s fidèles, la perfécution de CouttourctS^ bien pluftoft , que nous * n'avions ofé' Tefperer. Trouvez bon que je mette fin auffi à cette Lettre qui n'eft déjà que trop longue. Je con- tinuëray dans la fuite de vous Miffîonnaires de la C, dej, 2 1 y faire un récit fidèle de tout ce qui pourra contribuer à voftre édification. Je fiiis avec beau- coup de reipecT:, Mon Révérend Perf^ Vôftrc trcs-liumble & tres-obcïiïaût fcrvitcur en N- S. p. Martin Miffionnairc de la- Compagnie de JESUS. K ▼ SECONDE LETTRE DU PERE MARTI N, Miflionnaire de la Compa- gnie de J £ s u s aux Indes : Au Père de Villette de la me [me Compagnie. On REVEREND PeRE^ P, C. La perfécution rufcitée con- tre \^s CJireftiens de Cauttour Mifsionnaires de la C. de J\ i ï J me retenoit à Counampaty , ainfi que je vous Tay mandé dans ma Lettre précédente. L'afflu- ence des Peuples qui s'y ren- dirent pour célébrer laFefte de Pafques , fut fi grande , que je défeiperois d'y pouvoir fuffire : & certainement il y auroit eu déquoy occuper plufieursMiC fionnaires. Dieu me donna la force de réfifter à cette fatigue. Je tiroisdes Catéchiftes tout le ïecours que je pouvois i les uns eftoient chargez de difpo-. fer les Catéchumènes au Bap- tefme , les autres de faire en divers endroits de la cour des inftruclions aux nouveaux Fi- dèles 3 car Ci on ne leur fait fou vent des explications de nos myfteres, ils en perdent bien- roft le fouvenir. Je faifois lire chaque jour rhiftoire de la PafTioa de î e s u ^-C h r i s t : K vj 11 8 Lettres de quelques j*y ajoûtois diverfès médita' tions fort touchantes , qu'an ancien Miflîcnnaire compolà autrefois fur ce myllere. Ces méditations font à la portée de nos Indiens ^ ôc il les écou- tent avec toute Tattention ôc toutes les marques d'un cœur attendri. Au lever de Taurore , vers le foir 5 &: à cinq différentes heures du jour, nous faifions des efpéces de ftations , où nous chantions à genoux fur des airs lugubres , les tourmens particuliers que le Sauveur a foufïerts à chacune de ces heu- res. A la fin de chaque ftation nous avions foin de prier pour \ts différentes néceilitez de la MiiTion 3 fur tout nous recom- mandions à Dieu les Eghfes de Coraly dc de Couttour ^ défblées dans un temps iî iaint 5 & je Mijjîonnatrci de la C. de J. 229 ne doute point que les vœux ardens de tant de Néophytes , n^ayent beaucoup contribué à faire cefler la perlëcution. Il y en avoit qui affligeoient leur corps par toute lorte d'aufté- ritez : les ceintures de fer, les di/cipiines, & les autres inftru- mens propres à macérer la chair ^ ne iont point inconnus à ces nouveaux Fidèles, Quoy- que les Ibuverains Pontites l^s difpenfent de beaucoup de jeûnes à caufe à^s ardeurs du climat , &: de la légèreté de leurs ahmens, on en voit pour- tant qui paifent tout le temps du Caiéme , en ne mangeant qu'une fois le jour du Ris 6c des herbes mal affaifonnées : j'en fc^ay qui durant la Semai- ne fainte demeuroient jufqu'i deux jours entiers fans prendre de nourriture, J'ay foin de leur î}0 Lettres de quelques défendre une abflinence fi ri- goureufe, parce qu'elle les fait tomber dans des défaillances , dont ils ont bien de la peine à fe remettre : mais je ne fuis pas toujours le maiftre de mo- dérer leur ferveur. Ceux qui fontà leur aife font Taumofne chaque jour du Ca- rême à un certain nombre cie Pauvres : les uns à cinq , en l'honneur des cinq playes de Ncftre 'Seigneur : les autres i trente-trois, en Thonneur des années qu'à duré la vie mortel- le deJESUS-CHRIST^ d'autres à quarante , en mé- moire des q.uarante jours qu'il pafla dans le défert. Cts au- mofnes confiftent en du Ris ôc des herbes cuites , dont ils rem- pliiTent de -grands baffins, & qu'ils diftribuent eux-mefmes avec beaucoup de piété.. MiJJîonnaites de la C. de J, 23 r C'eft par de Ci faints exerci- ces que les Chreftiens fe pré- paroient à célébrer la Fcfte de Pafques. Mais comme il s'agit principalement de les mettre en eftat de faire une bonne con- feffioa 6c d'approcher fainte- ment de la Table Eucharifti- que , on n'omet rien de tout ce qui peut \qs y bien difpo{cr. Il eft incroyable jufqu'oii va la feniîbilité de ces Peuples, qitfnd on eft obligé de leur dif- férer TA bfblutio.n. Il fauteftre bien fiir fes gardes , pour ne pas fe laiffer fléchir à leurs prières & à leurs importunitez. S'ils ne peuvent rien gagner fur nous,ils ne rougilîent point de s'adrefler au Catéchifte, &: de luy décou- vrir les fautes fecrettes pour leC quelles ils ont été différez. En vain avertiflbns-nous les Caté- chiftes, de renvoyer les Néo- ijfi Lettres de quelques phytes qui viennent ainfi s'ou- vrir à eux j il s'en trouve tou- jours quelqu'un qui fe fait hon- neur d'intercéder pour ces for- tes de Pénitens. Rien ne fait plus de peine aux Miffionnaires, lur tout quand ces ouvertures ie font à des Catéchiftes peu difcrets , ôc qui ne fentent pas aflez l'obligation étroite que le fceau de la Confeffion impofe. La limpliciré des Indiens va quelquefois plus loin : ce qu'on m'en a raconté eft afles lîngu- lier. Une Chreftienne à qui le Wiffionnaire avoir différé l'Ab- folution pour de bonnes rai- ions , ufa d'abord de toute for- te d'artifices pour émouvoir fa pitié, & extorquer de luy ce qu*il refufoit avec fermeté , mais cependant avec douceur. Voyant qu'elle ne pouvoit rien gagner ^ elle fc leva brufque^ I Mi.f/ionnaires de la C de J, 13 3 ment du Confeffionnal , & ie tournant du cofté des autres Pënitens , n'eft-ce pas une cho- ie plaifante, dit-elle ^ ce Soua-a my * me renvoyé ians m'abfou- « dre, parce que j'ofFenfe Dieuu depuis tant de mois 3 iî je n'of- « fenfoispas le Seigneur, aurois-c< je befoin de me préfenter au « faint Tribunal ? Ne nous en» a feigne- t-on pas que c'eft pour a les Coupables que ce Sacre- c< ment eft inftitué ? LePererou. ce giffoit pour elle , & eut bien voulu mettre fon honneur à couvert 5 mais la crainte de trahir en quelque forte un fè- cret auffi inviolable que celuy de la Confeflîon , Tobligea àfè tenir dans le filence. Ce feul exemple fait voir, quelle doit eftre la patience & la difcre- * C*eft ainfî que ces Peuples appellent les Miûioanaiic». Î34 lettres de quelques tion de ceux qui ont à traitter avec les Indiens j fi on trouve parmi eux des gens pleins d'ef- prit 6c de bon iens , on en trou- ve une infinité d'autres, donc rignorance &: la ftupidité four- niflent fouvent aux Miflîon- naires dequoy exercer leur vertu. Quelque défir qu'euflent les Chreftiens de participer aux facremens, il me futimpoffible malgré tous mes efforts de con- tenter la piété de plufieurs. Outre le temps qu'emportent les Confeffions , il faut encore baptifer les Catéchumènes, ap- paiier les difFérens qui naifitnt entre les Fidèles , prefcher les my/leres de la Paflîon & delà Réfurreclion , faire les céré« monies de la Semaine fainte , autant qu'elles peuvent fe pra- tiquer dans un pais Idolaftre j MiUionnairesdelct C. de'}, 135 car par exemple , on n'o/e gar- der le iaint Sacrement du Jeu- dy au Vendredy faint, com- me c'eft la coutume en Europe : le Père Boucliet eftle premier qui l'ait fait cette année à Aour^ parce que c'eft Tendroitleplus leur de la Miffion , mais je doute que d'autres ofent imiter en cela fon zélé. La nuit du Samedy au Di^ manche , je fis préparer un pe- tit char de triomphe , que nous ornafmes de pièces de foye , de fleurs , & de fruits, on y plaça l'Image du Sauveur refluicité , & le char fut con- duit en triomphe par trois fois autour de TEglife au fon de plufieurs inftrumens. Les il- luminations,les fufées volantes, \qs lances à feu , les girandoles , & divers^'autres feux d'artifice où les Indiens excellent, ren- 1^6 Lettres de quelcjues doient la fefte magnifique. Ce jfpedacle ne ceiFoit que pour laiflèr entendre des vers qui eftoient chantez ou déclamez par les Chreftiens , en l'hon- neur de Jésus triom- phant de la Mort & des En- fers. La cour qui règne autour de FEglife , pouvoit à-pein@ contenir la multitude non-feu- lement des Chreftiens , mais encore à^s Gentils qui y ef- toient accourus en foule. On les voyoit à la faveur des illu- minations, montez fur les bran- ches des arbres dont la cour eft environnée. C'eftoit com- me autant de Zachées que la curiofîté élevoit au-deflus de la foule 3 pour voir en figure , celuy que cet heureux Publi- cain mérita de recevoir en per- fonne dans fa maifon» Le Sei- Mifftonnaires de la C. de J. 25 7 gneur de la Peuplade avec tou- te fa famille , & le refte des Gentils qui affifterent à la Pro- ceffion , le profternerent par trois fois devant Tlmage de Jésus reffiifcicé , & l'adorerenc d'une manière qui les confon- doit heureufèment avec les Clireftiens les plus fervens. Je ne parie point d'un grand nombre de Baptefmes que j'ad- minijftray aux Catéchumènes. Parmi tant de converfions qu'il plût à Dieu d'opérer, une fur tout me fit goufter une joye bien pure. L'Oncle du Seig- neur de la Peuplade vint avec fà femme, me prier de les ad- mettre au rang des Fidèles. Ils me dirent les yeux baignez de larmes , qu'il y avoit long- temps qu'ils reconnoifloient la vérité de noftre fainte Reli^ gion , mais que le refpecl hu- 25 s Lettres de quelques main les avoit toujours retenus dans l'idoIâtrie:enfîn qu'à cette Fefte ils avoient ouvert les yeux à la lumière , & qu'ils ne pou- voient plus réfifter à la voix in- térieure qui les preflbit de fe rendre. Ce bon Vieillard m'ajouta une chofe qui marquoit fon bon fens , &: la forte réfolution où il eftoit de vivre en parfait ^5 Chreftien. Je croy , dit-il , que ^5 ce qui a porté le Seigneur à '^jetter fur moy des regards de '5 mifericorde , c'eft qu'il y a plus " de quinze ans qu'ayant oiii dire *5 aux Miffionnaires & aux Caté- " chiftes que le larcin déplaifoic " au vray Dieu , j'en ay demeu- » ré fi convaincu , que depuis " ce temps-là je n'ay commis au- « cun vol ni par moy ni par mes '5 Efclaves , comme font \^s per- " fonnes puilFantes de noftre Caf Mifsionnaires de la C. àe 7. 23 9 te. Je n'ay pas melme voulu ce participer aux larcins qu'ont u fait mes enfans, ou mes autres c< parens, quoy-que la coutume ce parmi nous foit de partager en ce commun ce que chacun a bu- c« tiné en particulier. On s'eftct fouvent mocqué de ma lîmpli-ct cité , mais j'ay toujours tenu ce ferme 5 & je croy encore une ce fois, que c'eft pour n'avoir pas ci voulu déplaire en cela au vray ce Dieu , quoyque je ne TadorafTe ce pas encore, que (a divine bonté ce an'ouvre aujourd'huy fon fein , ce pour m'y recevoir tout indigne ce que j'en fuis. L'air defincéricé,ce dont il accompagna ces paro- les, me charma 3 jeTembrailay tendrement , ôc je le mis au rang des Catéchumènes. Ce ne fut pas là le feul fruit que nous recueillifmes dans ces jours faints : tous les jours de 140 Lettres de quelques rOdave nous furent précieux, par le nombre des Gentils qui prenoient la place des Caté- chumènes que nous baptifions. Pour comble de joye nous ap- prifmes la paix ôc la tran quillité que le Seigneur venoit de ren- dre à l'Eglife de Couttour, Ce fut comme une féconde Paf. que pour les Chreftiens : ils fc rallemblerent dans l'Eglife , ôc rendirent à Dieu de folemnel- les actions de grâces pour un bienfait G. fîgnalé. Cependant l'Etang de Cou- nampaty eftant entièrement à fèc , je ne fongeay plus qu'à me rendre à Elacturnclv/, Je vou- lus auparavant aller à ^^our ^ pour y conférer avec les Mifl fîonnaires fur quelques points qui me faifoient de la peine dans ces commencemens. J'y trouvay les Pères Bouchet, éc Simon MifBonnaires de U CJe J. 241 Simon Carvalho épuifez du travail dont ils eftoient acca^ blez depuis yn mois. Jamais Fefte de Pafques ne s'eftoit cé- lébrée avec tant de magnifi- cence 5 ni avec un fi grand con- cours de peuples. Comme les Indiens font fort amateurs de la Poëfie , Je Père Bouchet avoit fait reprefenter en vers le triomphe de David fur Go- liath j c'eftoit une allégorie continuée de la victoire que Jésus- Christ a rempor- tée dans fà Refurredion fur les puillances de TEnfer. Tout y eftoit inftrudif & touchant. Parmi la foule des Peuples qui ctoient accourus detoutesparts il s*en trouva plufieurs d*unc Province voifine ennemis dé- clarez du Prince dont relevé la Peuplade d* AmrÀh eftoient ve- uus armez & avec grand cortège IX. Rec. L 241 Lettres de quelques Ce contre-temps & les ef- forts inutiles que ce Seigneur avoit faits pour tirer de l'ar- gent des Miflîonnaires , aigri- rent fon efprit déjà mal diipo- fé à regard des Chreftiens. Quelques Seigneurs des en- virons faiiîrent cette conjonc- ture pour ranimer encore da- vantage contre les Fidèles. Ils luy écrivirent mefme avec me- naces , &: n'omirent aucun des motifs les plus capables deTé- w branler. N eft-il pas honteux, »9 luy difoient-ils , que vous rete- M niez fur vos terres un étranger î3 qui n'a d'autre but que d'ané- >3antirle culte de nos Dieux : Il » n'épargne ni foins , ni dépenfcs, lï ni feftes pour élever fa Reli- »5 ^on fur les débris de la noftre. « Il femble vous faire la loy juf. « que chez vous par la mulcitu- » de des Difciples qu'il y attire 5 MiffionnaïresdelaCdeJ. 145 les Gentils mcfme luy font dé- « votiez : à la dernière fefte qu'il et a célébrée, il luy eft venu plus « de monde qu'il n'en faut pour m fubjuguer tout un Royaume. « Au relie leDodeur étranger a et fait un outrage manifefteà nos et Dieux : quoy de plus infultant « que d'expofer aux yeux d'une « multitude innombrable de Peu- « pies, un jeune enfant qui tran- « che la tefte à noftre Dieu Perçu- ce mal ? Ceux mefme de noftre « Religion font iî infatuez de « cet étranger, qu'ils luy applau- m diilent, & battent des mains « à la veuë de leurs propres « Dieux deshonorez. Si vous « avez la lâcheté de le fbuftenir « plus long-temps fur vos terres , pris aujourd'huy ôc fa part 6c >3 la mienne, donnez. moy de- „ quoy iubfifter. Il eftoit prefque toujours ceint d\ine méchante pièce de toille , afin d'engager ceux qui le voyoient à luy en fournir "une meilleure : quand iten avoitreceu par aumofue^ à-peine la portoit-il un ou deux Jours j- il en reveftoit auffi tofï le premier Pauvre qui fe pré- fentoit à luy , 6c alors il djfoit nLa dépouillé. Son humeur toujours égale TavoiC rendu comme inaccef fible à toutes les paffions. Il re- prenoit avec une lainte hardief- fe les fautes qu'il remarquoit, mais c'eftoit d'une manière fî MifJîomaires delaC. de J, lyi aimable , qu'on fe plaifoit mef- me à foufïrir {qs réprimandes-. Enfin fa vertu luy avoic attiré la vénération de Tamour de tous ceux qui le connoifToient. Si dans cette Miflîon il y avoic plus d'ouvriers , qui partageât fenc entre eux le travail qui accable un lî petit nombre de Miffionnaires , ils employe- roienr plus de temps à cul:i- ver chaque Fidèle , &c je fuis perfuadé que plufîeurs de ces Néophytes feroient les mefoies progrez dans la vertu. Je célébray la Fefte de VAC cenfion à .Elacourrichy avec grand appareil , & avec une foule de peuples la plus gran- de que j'aye encore veuë : le bois eftoit auffi fréquenté que les plus grandes Villes. Jebap- tifay prés de trois cens Caté- chumènes , les Confeffions fu- . M iiij %ji Z eîires de quelques rent en Ci grand nombre , que jenepouvoismoy feul écouter tous ceux qui fe préfèntoient. Plufieurs qui depuis long- temps n^avoient pu participer aux Sacremens faute d'une Eglife fituée dans un endroit commode , vinrent en foule s'acquitter des devoirs de vrais Fidèles , & commencèrent une vie plus fervente. Quelques autres que la crainte & le com- merce des Idolaftres avoient engagé dans des actions con- traires à la pureté de noftre fainte loy, vinrent fe profter- ner aux pieds des Autels , pleu- rer leurs égaremens , &: jurer au Seigneur une fidélité invio- lable. J'aurois infailliblement fuccombé fous le poids du tra- vail qu'il me fallut foutenir jour & nuit , fi une nouvelle allarme ne m'euit procuré deux Mi.Hionnaires de la C. de J, ijy. ou trois jours de repos. Le Nababe * du Carnate con- quis par le grand Mogol fon- geoit à fe faire payer par la force , le tribut que refufoit le Chilianèkan : le bruit fe répan- dit tout à coup que les troupes Mogoles eftoient déjà entrées dans les terres du Prince à'A- riélour , frère du Prince dont relevé Elacounichy : la peur fai- fit nos Chreftiens &c les difper- fa à Tinftant. Les Catéchiftes eurent pourtant la précaution de cacher cette nouvelle aux Catéchumènes que je baptifois. La cérémonie achevée , je for- tishorsderEglife,&jefus fort étonné de la folitude où je me voyois 5 j'en demanday la caufe au peu de Fidèles qui ne m'a- voient pas encore abandonné : * Général d*arméc & Gouverneur daBs une Proyince. . M V 274 Lettres de quelques ils me conjurèrent pour toute réponfe de fuir au plus vifte. Quielques-uns mefme , fans me rien dire , retiroient les orne- niens de TEglife, ôc les tranf^ portoient dans le fond du bois. Ceux qui venoient de recevoir le Bapcerme n'eurent pas le temps de m'miportuner, félon leur coutume, pour avoir des Médailles &: des Chapelcrs : chacun fuyoit en liafte dans la Peuplade. Pour-raoy je jwgcay que c'eC toit là de ces terreurs paniques, aufquelles nos Indiens fe \o,\ù fent aifément furprendre. Ce- pendant j'ordonnay à quatre ou cinq des moins timides de s'avancer du cofté de l'Oùeft d'où partoit Tallarme , afin de s'inftruire par eux-mefi"nes de la vérité de ces bruits. Ils par- tirent fur le champ. 3 mais a MiffionnairesdelaCdeJ, 275 leur contenance , on eut dit qu'à chaque pas ils eftoient fur le point de tomber parmi les lances & les fabres des Maures. Ils entrèrent dans piufieurs Vil- lages qu'ils croyoient réduits en cendre , & tout y eftoit cal- me & tranquille : ils deman- dèrent des nouvelles de l'en- nemi , ôc on leur demandoit à eux-mefmes de quel ennemi ils vouloient parler. Revenus de leur frayeur , ils ne jugèrent pas à propos d'aller plus avant ^ ils retournèrent fur leurs pas .bien confus d'avoir pris Tallar- me Çi légèrement. J'envoyai dés le lendemain raflùrer tous les Clireftiens qui s'eftoient ré- fugiez au delà du Coloran , & ils fe rendirent en foule à mon Eglife. • Les Feftes de la Pentecofte , de la trés-fainte Trinité , & M vj. 17 6 Lettres de quelques ■ du Saint- Sacrement furent fan^ tifîées par une fuite continuelle de Confeffions , de Commu- nions , 6c de BaptefÎTies : la confolation intérieure que je gouftois ne dura pas long- temps. J'appris que le Prince de CatalouY ^ dont j^ay déjà parlé, inquiétoitencorele Pè- re Bouchet dans fon Eglife à^Aour 5 que mefme les Caté- chiftes n ofoient plus parcourir les Villages de fes dépendan- ces, ni rendre vifite aux Fidè- les. L'unique moyen de le ra- mener à la raifon ,-eftoit de s'a- dreiîer au Talavai y ce feul nom le faifoit trembler d'ef- froy. On rapporte mefme qu'- un jour ayant réfoJu de voir la Capitale du Royaume, féjour ordinaire du Talavai ^ il jfemit en frais pour y paroiftre avec plus de diftindîon ; mais qu'ef- MiJJîonnairei de la C de"}, 27 7 tant afièz prés de la Ville, il n'eût jamais la hardiefle d'y en- trer. II s'imagina que tout fe difpofoit pour le mettre aux fers, & le dépouiller de fon petit Etat. La frayeur qui le laifit , fut fi grande , qu'il re- broufla chemin à l'inflant, êc regagna Catalour avec une cé- lérité qui furprit fes fujets. Il publia, pour fauver fon hon- neur, qu'une maladie l'avoit contraint à un retour fi préci- pité. Ce Prince fit reflexion que, fi le Père portoit ks plaintes au Talavai , ce Gouverneur qui Ta toujours comblé d'amitié , ne manqueroit pas de luy faire juftice de tant de vexations in- juftes. Il prit donc des mefu- res pour appaifer le Miffion- naire , quoyqu'il n'en fuft pas moins déterminé à inquiéter lyS Lettres de quelques les Chreftiens dans toutes les occafîons. Le Père qui ne fon- geoit qu a procurer la paix à fon Eglife , crut devoir luy té- moigner le peu de fonds qu'il 55 faifoit fur ks promellès. C'en 53 eft trop Seigneur , luy dit-il ^ 55 jufqulcy je n'ay rien omis pour 55 gagner voftre .affection : la 55 grande Peuplade que mapré- 55 fence a formée à Aour , a fore 55groffi vos revenus : vous tirez 55 des droits confidérables des 53 Marchands que le concours 55 des Chreftiens attire fur vos 53 terres. Chaque Fefte que je » célèbre eft marquée par les 53prefens que je vous envoyé: « c'eft peu de chofe , il eft vray 3 53 mais ce peu eft conforme à la î3 pauvreté dont je fais profeffion. ijQue pouvez- vous me repro- 55 cher ? N'ay-je pas foin d'entre- M tenir les Peuples dans Vohèiù MiOionnairesdelaCdeJ. 279 fance &: la foumiffion qu'ils vous « doivent ? Y en a t-ii un feulcc parmi les Chreftiens dont vous ce ayez fujet de vous plaindre , « êc dans l'occafion ne font - ce ce pas vos meilleurs Soldats ?ct Comment payez- vous tous cts et kïvicQs ? n*avez-vous pas cher- ce ché tous les moyens de me clia~ et <:riner ? (î vous me fouiFrez dans et vos Etats, n*eft-ce pas par in- ce téreft pluftoft que par afîec-et tion ? vous me forcez enfin d'é-ci dater : le Talavai eft équitable, c« il fçaura rendre juftice à qui ce elle eft due. - ce Cette réponfe déconcerta le Prince de Catalour : mais il fut défolc par une autre affaire qui ]uy furvint au mefme temps , bc qui eftoit capable de le perdre , fi le Talavai euft efté moins défintereffe , ou s'il euft trouvé dans le Père Boiichet i8o Lettres de quelques urr homme fufceptible des fen- timens de vengeance. A une lieuë de Ticherapaly s'élève une colline fur laquelle les Gentils ont conftruit un Temple, dont ils ont confié la garde à un célèbre Joghi, * Les dehors de fa vie auftére luy ont afTocié un grand nombre d'au- tres Joghis qui vivent fous fa conduite. Quoyqu'on ait affig- né pour leur entretien une vaf- te étendue de Païs , &: un grand nombre de Villages , le Chef de ces Pénitens loin de partager avec eux ce qui eft deftiné à la fubfîftance com- mune, les envoyé dans toutes les contrées voifînes amaffer des aumofnes , & les obhge à luy apporter chaque mois une certaine fomme qu'il confacre à l'Idole. Ce font de vrais * Péniccm GcntiL Miponnàîres de laC.deJ, i f r brigands qui portent la défola- tion dans tous les Villages , & qui s'enrichiflent des extor- fions & du pillage qu'ils font fur le peuple. Deux de ces Jo^his. entrèrent fiir .les terres du Prince de Ca-. talouY : un foldat dont ils vou- laient tirer quelque aumofne par force , appella à fon fe- cours d'autres foldats de {^s voifins. Tous fe jetterent fur les deux Mandians, &les ren- voyèrent à leur montagne meurtris de coups. Le premier Joghi fe croyant infulté luy- mefîne dans la perfonne de {^% Pénitens , prit le deflein d'en tirer une promte vengeance. Sur le champ il fit arborer un drapeau au haut du Temple y qui fè découvroit de tous les Païs d'alentour. A ce fignal ^ tous les Jo<^hi$ de fa dépendant fiSl Zettres de quelques ce s'attroupèrent au nombre de plus de mille , & fè ran- gèrent autour de TEtendart. Ils fè préparoient déjà à fon* dre fur les terres de Catalour^ pour y mettre tout à feu ôc à fang. La Reine de Ticherapaly qui de fon Palais avoit apperçu TEtendart levé , voulut îcavoir dequoy il s'agifToit. Dés qu*el. le en fut inftruite , elle dépef^ cha des Soldats vers le Prin- ce^ &iuy donna ordre de ve- nir inceifamment à la Cour pour y rendre compte de Tat- tentat commis contre des hom- mes confacrez au culte de k^ Dieux. Cet ordre de la Reine & les fureurs des Joghis jette- rent le Prince de Catalour dans une grande confternation. Il eftoit perdu fans reflburce , fi le Père Bouchet n'euft travail- Mif/ionnaires de la C. de J. i §3 lé à le tirer de cette mauvaife afFaire. Le Miffionnaire fe tranfporra à la Cour , il adou- cie dabord refprit de la Reine ,. cnfuitte il expofa le fait dans toutes les circonftances en pré- fence du Talavai , & il rendit un fi bon rémoienag-e de Tin-^ nocence du Prince, qu'il fut pleinement juftifîé. La vérité ainfi éclâircie , le Prince en fut quitte pour quelques préfens qu il fallut faire à la Reine & au Jo^hî montagnard ^ 5^ ces préfens achevèrent de conju- rer la tempefte. Il reffèntit les obligations qu*il avoit au Mif- fionnaire , ôc charmé d'une gé- nérofité dont il n'avoit point veu d'exemple , il luy promit avec ferment de ne plus le trou- bler dans l'exercice de fcs fonclions. La paix rendue à PEglifc 284 Zettres de quelques d^ Août donna le loifîr au Père Bouchet d'employer fon zélé à appaiièr d'autres troubles excitez contre les Chreftiens de Chitangam. Un Temple cé- lèbre érigé au Démon , rend cette Ifle fameufe parmi les Idolaftres. Le Père Bouchet avoir fait élever une Eglife dans le mefme lieu : c'eftoic infulter au Prince des ténèbres jufques fur (on Throne. On eftoit furpris que cette Eglifè put fubfifter parmi tant d'en- nemis qui conjuroient fa ruine j elle fubfîftoit pourtant , & le nombre des Fidèles qui croif. foit chaque jour, faifoit efpé-- rer de voir bientoftle Chriftia- nifme triompher de l'Idolâtrie jufques dans (qs plus forts re-^ tranchemens. Le Gouverneur de Chiran-^ ymi animé par les Preftres des MîiJijnnaîres de la C, de 7. 285 Idoles , réfolut d'éclater contre \qs Néophytes. Un jour qu'ils ^ftoient aflemblez dans TEglife pour y faire leurs prières & écouter rinftrucT:ion du Caté- chifte , les Soldats & les Habi- tans de l'Ifle, fondirent pefle mefle fur \qs> ferviteurs de J E s u s - C H R I s T , & les trainerent hors de TEglife en vomiflant mille blaiphemes ■contre le vray Dieu. On enle- va tout ce qu'ils avoient, juf. qu'aux images & aux chapelets que ces Néophytes confervent précieufement. Un jeune hom- me qui ne put foufFrir l'outra- ge qu'on faifoit à la Religion , -eut le courage de reprocher vivement aux Gentils les im- piétez qu'ils venoient de com- mettre. Il reçut à Tinftant la ré- compenfe de fon zélé. Ces fu* rieux fe jetterent fur luy ^ le 2, s é lettres de quelques trainerent par toutes les rues , le chargèrent de coups , & luy procurèrent la gloire de verfer beaucoup de fang pour la foy. Le Père Bouchet averti de Topprefiion où eftoit la Chref- tienté de Chirangam , porta ik^ plaintes à la Cour. Le Gouver- neur y fut cité à Tniftant, & après bien des reproches qu'on luy fit de fon avarice 6c de fa cruauté , il eut ordre de ren- dre au pluftoft aux Néophytes tout ce qui leur avoit efté pris. Rien n'eft plus difficile que de tirer des Indiens les chofes dont ils fe trouvent une fois faifis. Le Gouverneur ne put fe réfoudré à voir fortir de ks mains ce qu'il pofTedoit par des voyes fi iniques : Il comptoit fur la clémence du Taluvai^ perfuadé qu'il n'en viendroic jamais aux extrémitez de ri- MlUionnaircs de la C. de J. 287 gueur que méritoit fon obftina, tion à ne pas obéir. Dieu fit voir alors qu'il ven- geoit les inrérefts de cette Egli^ le défolëe. Le Miniftre impie qui avoit prophanë le lieu fainr, & nialtraicte les Fidèles , fut doublement puni. Sa fidélité par rapport au maniment des deniers publics devint fufpecte , & on luy demanda Çqs comptes. Mais parce que parmi ces Peu- ples , eftre recherché fur cette matière, & eftre condamné, n'eft qu'une mefme chofe , il fut taxé à cinq mille écus qu'il devoit porter incefTamment au thréfor. Comme il difFéroic toujours, ks délais furent fui^ vis d'un chaftiment dont il luy fallut dévorer toute la honte. Un jour qu'il s'y attendoit le moins , des foldats armez en- trèrent de grand matin dans 2? 8 Lettres de quelques {a maifon , le faifirent, le con- duifirent au Palais : là on mit fur [qs épaules une pierre d'une pefanteur énonTie,qu*il fut con- traint de porter jufqu a ce qu'il euft fatisfait au payement. Ce coup humilia fon efprit fuper- be , mais il ne changea pas fon mauvais cœur. Peu de jours après il luy ar- riva une autre avanture qui flé- trit à jamais fa réputation. Il ^eftoit Brame , & venoit d'épou- ier une Bramine : la Bramine avoir efté mariée dés fon bas âge à un autre Brame quicou- roit le monde &: dont on n'en- tendoit* plus parler. Le jour niefme qu'on luy amena fon Epoufe, de qu'il eftoit le plus occupé de la fefle , le premier mari arriva à Tichcr^^paly, Sur la nouvelle que fa femme avoit pafTé en d'autres mains, il court Mîffionnaircs de la C. de 7. 2 8 9 à la maifon du nouvel Epoux , &: luy reproche publiquement l'opprobre &: Tinfamie donc il venoit de Te couvrir ; car l'en- Icvement d'une Bramine eft parmi ces Peuples un crime impardonnable. L'indignation qu'on conçue d'une adion fi infamante atterra le Gouver- neur : il vit bien que fa perte eftoit certaine, fi fon ennemi demandoit juftice 5 il n'omit rien pour le fléchir : larmes , prières, offres, tout fut mis en œuvre. Enfin on parla d'acco- modement : il fallut remettre la Bramine entre les mains du premier mari , êc payer ce jour là mefme au Brame, la fbmmede cinq cens écus dont ils ertoient convenus enfemble. ' Le Brame n'eut pas pkiftoft l'argent qu'il alla porter fa plainte au TaUvai : ôc afin que IX. Kec. N i^O Lettres de quelques M vous ne doutiez pas , Seigneur, wluy dit- il , qull eft coupable »5 du crime énorme dont je Tac- " cufè 3 voicy la fomme qu'il m'a » mife en main pour appaifèr ma » jufte indignation. Le Talavai qui eft Brame luy-mefme rell fentit toute la douleur d*une adion qui deshonoroit fa Cad te : il aflembla les principaux Brames de la Cour, & cita le coupable en leur prëfence. Le crime eftoit trop bien prouvé p'our que Taccuiation pût eftre rendue fufpede : ainfî ce mal- heureux Seigneur ne fongea plus qu*à implorer la miferi- corde de Tes Juges. Il parut au milieu du Confeil couvert d'un vieux haillon , les cheveux épars , fe roulant fur le pavé ^ & pouffant les plus hauts cris. II eut à foutenir de fanglans reproches d'une adion , donc Mijsionnaires de la C. de J, 25 1 îa honte retomboit iur route la Cafte des Brames 3 &: Ton ne doutoit point qu'après une pa- reille flétriflure , il ne fe bannit luy-mefme de fon païs pour cacher fa confufion dans les ré- gions les plus éloignées , & y traîner les reftes d'une vie obll cure. Mais le Talavai bien plus porté à l'indulgence qu'à la îevérité, le fit revenir au Pa- lais , &: luy parla d'une maniè- re propre à le confoler de fa douleur. Les hommes ne font « pas impeccables, luy dit-il, « voftre faute eft fans remède , « ne fongez plus qu'à contenter « le Brame, & à réparer défor- « mais par une conduite fage & « modérée , le fcandale que vous «« avez donné à tout le Royaume. « Ces paroles rendirent la vie au Gouverneur ^ il s'accomo^ da avec le Brame , il remplit NJj t^i Lettres de quelques les dures conditions qui luy furent impofées , 6c rentra ainlî 1 dans l'exercice de fa charge. La nouvelle humiliation d'un perfécuteur fî déclaré des Chreftiens fervit d'apologie à leur innocence : il n'y eut pas jufqu'aux Gentils qui reconnu- rent que la main du vray Dieu s'eftoit appefantie fur luy. Les Fidèles intéreiTez dans le pil- lage de Chiranq^am ne laiflèrenc pas d'en fouffrir , il s'excufa toujours de rendre aux Néo- phytes ce qu'il leur avoit ravi , fur ce que tout fon bien avoit efté employé à terminer fa malheureule affaire. 11 n'en de- meura pas là 3 il fe prévalut dans la fuite de quelques trou- bles qui arrivèrent, pour chaC fer tour-à-fait les Chreftiens de leur Eghfe. Il ufa pour cela d'un artifice qui luy réuiïït : il MiHïonnaires de la C de J. 1 93 fit mettre dans le faint lieu 11- dole qu'on nomme PouUear^ convaincu que les Fidèles n'a- feroient plus s'y aflembler. Il ne fe trompoit pas : la propha- nation du Temple faint porta la plus vive douleur dans le cœur des Néophytes ^ le par- ti qu'ils prirent, fut de rafèr tout-à-fait TEglife , à l'exem- ple de ces pieux Ifraëlites qui détruifirent l'Autel , que \ts> Gentils avoient prophané par leurs facrifices , & par l'idolô qu'ils y avoient placée. Pendant les deux mois que j'ay demeuré à Elacourrichy ^']'^y eu beaucoup plus d'occupation que ne m'en auroient pii four- nir les plus grandes Villes. Il me falloir chaque jour admi- niftrer les Sacremens , foula- ger les malades qu'on appor- toit à ma Cabane , inftruire les N iij 294 Lettres de quelques Catéchumènes , recevoir 'les vifites des Gentils , faire à cha- cun quelque difcours fur la Re- ligion, répondre auxqueftions qu'ils me propofoient , fans néanmoins entrer avec eux en difpute. L'expérience nous a appris que ces forces de difpu- tes , où ils ont toujours le deflbus , ne fervent qu'à les ai- grir, & qu*à les aliéner denofl tre fainte Religion. Il faut fe faire à foy-mefme les objedions qux)n voit qu'ils peuvent faire ^ & y donner auffi-toft la folu- tion : ils la trouvent toujours bonne , quand ils n'ont pas propofé eux-mciîiies les diffî- cultez aufquelles on répond. Sur tout il faut leur donner une grande idée du Dieu que nous adorons 3 leur demander de temps- en- temps fi les per- fections que nous luy atcri- Midionnairesdela C.deJ. 195 buons , ne font pas dignes du vray Dieu , bc s'il peut y en avoir un qui ne poflede pas ces qualitez auguftes j fans entrer dans le détail des chimères & des infamies qu'ils racontent de leurs Divinitez. Ce ionr des confëquences qu'il faut leur laifler tirer d'eux-mefmes , & qu'ils tirent en effet , avoiianc fou vent fans qu'on les en preife, que C(^s perfecT;ions iî admira- bles ne iè trouvent point dans \qs Dieux qu'ils adorent. Quand mefme leur orgueil les empefcheroit de faire cet aveu ^ il faut bien fe donner de garde de l'exiger par la force de la difpute 3 il nous doit fuffire de les renvoyer dans cette perfua- fion , que nous adorons un Dieu unique , éternel , tout- puiifant , fbuverainement par- fait , & qui ne peut ni conv N iiij 2^6 Lettres de quelques mettre , ni foufFrir le vice. Ils fe retirent pleins de la grandeur de noftre Dieu , pleins d'eftime pour ceux qui Tadorent , & de refped pour ceux qui enieig- nent à ladorer. Outre tous ces exercices du miniftere Apcftolique , il faut encore fe précautionner contre la haine des Idolaftres, entrer malgré qu'on en ait dans les affaires temporelles des Néo- phytes , ôc accommoder la pluC {)art de leurs difFérens, afin de es empefcher d'avoir recours aux Juges Gentils. Ce feul em- barras auroit dequoy occuper un Miffionnaire tout entier : auflî pour n'y point perdre trop de temps, je renvoyé la difcuC iîon de leurs procès à des Chrefbiens habiles , dont je les fais convenir auparavant , 6c au jugement defquels ils pro- Millionnaires de la CdeJ, 297 mettent de s'en rapporter. J'eftois encore à Elacourrichy vers la mi- May, qui eft la fai- fon où les vents commencent à foLiffler avec impétuoiîté : ils fe déchaifnent alors avec tant de fureur , & ils élèvent en Tair ÀQs nuées de pouffiére {\ épaifl i^s , qu'elles obfcurciilent le Soleil , enforte qu'on eft quel- quefois quatre à cinq jours fans Tappercevoir. Cette pouC iîére pénétre par-tout , elle fai- fît le gofier , & caufe fur les yeux des fluxions fi violentes , qu'on en devient fouvent aveu- gle. Il eft alors prefque impof Jîble de marcher du cofté de l'oueft d'où vient la tempefte. \.^s> Indiens y font plus faits que lesEuropéans 3 cependant ils en fouffrent beaucoup,^: c'eft pour plufieurs une railon légi- time de s'abfenter de l'Egliiè. N v îc)S Lettres de quelques Ces grands vents font les avant - coureurs des pluyes abondantes qui tombent dans la cofte occidentale de Tlnde &;(urles montagnes de Mala- bar^ d*où fe forme le Coloran qui porte la fertilité dans les Royaumes de Maiffour , de M a duré ^ du Tanjaour , & du Choren-Mandalam^ Les peuples de rinde attendent ces pluyes avec la mefme impatience que ceux d'Egypte foupirent après Tinondation du Nil. On croyoit que la rivière groffiroit cette année avant la faifon ordinaire , parce que les vents avoient commencé à fouf- fler bien pluftofl: que les années précédentes. Mon defTein ef- toit de partir àiElacourrichy , dés que les eaux paroiftroienr dans la rivière , afin de péné- trer du cofté du midi dans une Mijsionnaires de la C. de J, 299 Province où Ton n'a jamais vu ni Miffionnaire ni Catécliifte. Mais les vents eurent beau fouf- fler , le Fleuve demeuroit tou- jours à fec, & l'on eftoit dëja- dans Tapprehenfion d'une fa- mine générale. Cependant les pluyes eftoient tombées dans leur temps , 6c les eaux qui defcendent avec rapidité des montagnes , fe- roient entrées dans Je Coloran pluftoft mefme qu'à l'ordinaire,, fî le Roy de MaijfournQn avoit arrefté le cours par une digue énorme qu'il avoit fait conf- truire, Scquioccupoit toute la largeur du Canal. Son delîeia eftoit de détourner les eaux par cette digue , afin que fe répandant dans les canaux qu'il avoit pratiqués , elles vinffeut arrofer fes campagnes, N vi 3 o o Lettres de quelques Mais en mefme temps qu'il fongeoic à fertilifer ks terres , & à augmenter ks revenus, il riiinoit les deux Royaumes voi- sins, celuy de Madurè ^ &c ce- luy de Tanjaour, Les eaux n'au- roient commencé à y paroiftre que fur la fin de Juillet , &: le canal euft efté tari dés la mi- Septembre. Les deux Princes attentifs au bien de leurs Royaumes, fu- rent irritez de cette entreprife: ils fe liguèrent contre l'Enne- mi commun,âfinde le contrain- dre par la force des armes à rompre une digue fi préjudi- ciable à leurs Etats. Ilsfaifoienc déjà de grands préparatifs, lorfque le fleuve Coloran ven- gea par luy-mefme ( comme on s'exprimoit icy ) TafFront que k R.oy faifoit à jfes eaux en les Mifiîonnalres de la C de J. 301 retenant captives. Tandis que \qs pluyes furent médiocres fur les Montagnes , la digue fub- fîfta , ôc les eaux coulèrent len- tement dans les canaux pré- parez : mais dés-que ces pluyes tombèrent en abondance, le fleuve s'enfla de telle forte qu'il entrouvrit la digue, la ren- verfa , & Tentraifna par la ra- pidité de fon cours, Ainfî le Prince de Maiffour après bien des dépenfes inutiles , fe vit frufl:ré tout-à-coup des richef- ks immenfes qu'il s'eftoit pro- mifes. Le canal ne' fut pas long- temps à fe remplir, & la joye fut d'autant plus grande par- mi Qts Peuples , qu'ils s'atterï- doient déjà à une flierilité pro- chaine. On les voy oit transpor- tés hors d'eux- mefmes courir 3 o 1 Lettres de quelques enfouie vers la Rivière afin de s'y laver ^ dans la perfuafion ridicule où ils font que ces pre- mières eaux purifient de tous les crimes , de mefiiie qu^elles nettoyent le canal de toutes les immondices. Comme l^Coloran eftoit en- core guëable, je le traverfay au pluftoftafin de me rendre à Counampaty ^ &C d'y attendre une occafion favorable de me tran/porter à Tanjaour, C'elt dans ce Royaume que la foy eft cruellement perfécutée, &: c'eft de cette perfecution que je vous entretiendray dans mes premières Lettres. Vous jugez afles parce que j'ay llionneur de vous écrire , que fi nos travaux font méfiés de bien des amertumes , Dieu prend foin de nous en dédommager Miffîonnaires de la C. de J, 3 05 par les fruits abondans qu'il nous fait recueillir. Je fuis avec bien du reiped , dans l'unioa de vos faints Sacrifices ^ Mon Révérend Pere^ Voftre très- humble & trcs-ofeciÏÏane fcrviteur en N- S. p. Martin Mifîjonnairc de 1» Compagnie de JESUS. 304 LETTRE DU PERE D'ENTRECOLLES, Miflîonnaire de la Compa- gnie de Jésus A Monfeur le Marquis de BroiJJîa Sur la mort du P. Charles de Broiflîa fbn Frère. A J^o-tcheoH le 15. de Novembre 1704. ONSIEUR Lti Paix de noflre Seigneur Jefus-Chrifi. Si je connoiilbis moins voC tre vertu 6c la parfaite fournil^ I^iJ/tonnairesdelaC.deJ, 30J /îon que vous avez toujours eue aux ordres de la Providence, i'uferois de plus de ménage- ment que je ne fais, pour vous apprendre la perte affligeante que vient de faire noftre Mif- fîon 5 dans la perfonne de vofl tre cher Frère le Père Charles de Broiflîa. Je prévois ce qu'il vous en doit coufter pour faire à Dieu le facrifice qu'il exige de vous 3 j'en juge par la vive douleur que je reflens moy- mefme de la perte d'un fî par- fait ami. Cependant, Mpnfîeur, fai- tes réflexion que la vie toute fainte & la mort précieufe de celuy que vous regrettez , ne nous permettent pas de douter qu'il ne reçoive maintenant dans le ciel ia récompenfe de (qs travaux : ainfî vous avez lieu d'eipérer que ks prierez 3 0 6 Lettres de quelques pourront vous dédommager du plaifir que vous donnoit chaque année le récit de fes fuccés apoftoliques : comme nous efpérons de noftre cofté, qu'elles attireront fur cette Miffion des bénédictions abon- dantes 3 &: qu'au lieu que par fon habileté , par fa fageffe , ôc fur tout par fon zélé & par fon éminente vertu il en eftoit un des plus excellens ouvriers ^ il en fera déformais dans le Ciel un des plus fermes appuis par les fecours qu'il aura foin de nous procurer. Avant que de fe confacrer à la Miffion de la Chine, il s'ef toit engagé par vœu à faire tout ce qu'il fçauroit eftre de la plus grande gloire de Dieu. Comme nous n'avions rien de caché l'un pour l'autre , & qu^il me découvroit avec /implicite ce qui iè paflbit de plus fecret Mi^onnaires de la C. de ?. 507 au fond de fon cœur , je puis vous affiirer que fa fidélité a efté auffi inviolable, que fon engagement eftoit héroïque, Tou)ours recueilli, il eftoit at- tentif à it^ moindres devoirs^^ toujours uni à Dieu, il ne per- dit jamais de veuë fa préfence au milieu de tous les embarras que luy donnèrent fix établit femens nouveaux qu'il a faits dans ce vafte Empire, & les autres foins attachés à l'em- ploy de Miffîonnaire. J'admi- rois fur tout ion égalité d'ame parmi les continuelles traver- ks , & les fâcheux contretemps que Dieu fembloit luy ména- ger pour épurer davantage fa vertu. Il eftoit fi dur à luy-mef me que ks^ fuperieurs furent obligez de modérer fa ferveur & de luy interdire une partie de ks> auftérités. Il eftoit ac- eouftumé depuis long-temps à 3o8 Zeitres de quelques vaincre fes inclinations : pour ne manquer à rien , il a voit foin de marquer en détail tou- tes les chofes en quoy il pou- voir prefque à chaque moment fe renoncer luy-mefiTie. Par cette continuelle attention fur toutes fes démarches, il s'eftoit rendu le maiftre abfolu de fès paffions , &: il avoir acquis une douceur fî parfaite, que bien qu'il fuft de fon naturel très vif &; plein de feu , on euft ju- gé qu'il eftoit d'une comple- xion mélancolique. Sa patience i'avoit rendu en quelque forte infenfible à tout ce qui pouvoir luy arriver de pénible 6c d'hu^ miliant. Comme il avoit beau- coup de pénétration , il décou- vroit dés la première veuë tous \qs artifices que les Chinois mettent en ufage quand il s'a- git de leurs intérefls ; cepen- Miffionnaires de la C.deJ. 309 dant il les fupportoic avec une douceur & une modération dont ils efloient édifiés. Je me fouviens qu'il me difoit fou- vent : nous avons obligation au^c chinois de nous avoir aidé à ac^ quérir la patience. Les jfeules in- clinations de ks fupérieurs ejC toient pourluy des ordres pré- cis 3 il obéïiToit à Taveugle dans les chofes les plus oppo- fées à ks penchans , fans meC me repréfenter les obftacles que fon peu de fanté pouvqic apportera ce qu'on demandoit de {on obéïflance. Il eftoit pçrfu^dé que toutes les vertus doivent céder en quelque forte à la charité 6c au zèle des âmes , & qu'un homme occupé aux fonctions Evangéliques , doit fe faire touc à-tous au fens de TApoftre S. Paul. Ainli comme la crainte 3 1 o L ettres de quelques des perfecutioiis ne put jamais Tarrefter dans la pourfuittede fes entreprifes • l'huiTiilité , dont il eut toujours la prati- que extrêmement à cœur , ne Tempefclia pas de s'accommo- der à certains ufages du païs , qui pour donner du crédit à la Religion , & iious faire écouter des Grands , nous obligent à ne pas refufer certains hon- neurs qu'on rend icy aux fça- vans. 11 n'ignoroit pas les ma- lignes interprétations qu'on a donné fi fouvent en Europe à cette conduite 3 mais il diioit, que de fçavoir fe laiflTer juger éc condamner fans fiijet, eft une des principales vertus d'un homme Apoftolique. Quoy-qu'il vécuft d'une ma- nière très pauvre & très aufte- re , il prétendoit poufler bien plus loin la pratique de lamor- Miffionnaires de la C. de J. 31 1 tification chreftienne : dans refperance qu'il avoir de ie trouver feul un jour, il s'eftoit tracé un plan de vie , qui ne difFéroit prefque en rien pour Tauftërité , de celle des anciens Pères du Défère. Son application à Teftude des Livres Chinois eftoic infa- tigable, ôc il y avoit déjà fait de grands progrés : Patrrait particulier qu'il avoir pour l'O- raifon ne le détourna jamais d'un travail fi pénible & ii re- butant 3 il eftoit convaincu que pour plaire à Dieu il ne de- I voit rien négliger de tout cç qui pouvoir le rendre plus utile aux Peuples aufquels il eftoic envoyé. Ilavoitune dévotion tendre envers l'adorable Sacrement de nos Autels : c'eft ce qui en- tretenoit cette union fi intime 312 L e tires de quelques qu'il avoit avec le Sauveur. Ses lettres eftoient pleines des fen- timens les plus propres à aug- menter le nombre des fervens adorateurs du /acre cœur de Jésus. Son amour pour le Sauveur le rendoit ingénieux à inventer mille moyens pour le faire aimer des autres, & il ne trouvoit rien de difficile quand il s'agiflbit de luy gagner une feule ame. Ilfeperfiiadoit mefme que la pratique du vœu qu'il avoit fait , pouvoit deve- nir commune parmi les Fidè- les , tant il la croyoit jufte ôc raifonnable. C'eftoit fa couftume d'attri- buer à ks péchez & à ks infî- délitez les évenemens &; les contradidions , qui empeC choient ou qui retardoient l'œuvre de Dieu. Alors il fè puniilbit luy -mefme par de longs MîJIton n aires de la C. de J. 313 longs jeufnes au Ris &à Teau, ou bien il faifoit quelques jours de retraite 5 afin , diloit-il , de fe purifier devant Dieu , 6c de pouvoir enfuite luy oflFrir des prières capables de fléchir /a colère. Dieu a fouvent faic connoiftre combien cette con- duite luy eftoit agréable 5 c'eft ce qui parut finguliérement dans rétabliflement de Nimpo, Des gens mal - intentionnés avoient déféré au grand Tri- bunal des Rites , le deffein que nous avions de baflir dans cet- te Ville une maifonôc une Egli- fe : on attendoit en tremblant la réponfe de ce Tribunal, dans la jufte crainte qu'on avoit qu'elle ne fuft pas favorable à la Religion. Le Pcre fe miten retraite précifcment au temps que cette affaire devoir s*exa^ miner, ôc le troifiéme jour de lAT.Rec. O 314 Lettres de quelques fa retraite , TArreft fut porté en noftre faveur , & dans toutes \ts formes que nous pouvions fouhaitter. L'appréhenfion qu'il avoit de prendre mal fon parti dans les affaires qui concernoienc l'avancement de la Religion, eftoit une de ks croix les plus pénibles : fon zélé ôc la déli^ cateiTe de fa confcience le jet- toient alors dans des inquiétu- des qui le faifoient extrême- ment fouffrir. Iln'entreprenoit rien qu'il n'euft recours au jeufne & à la prière 3 cepen- dant malgré cette fage & fainte précaution, il voyoit fouvent îés projets renverfés par des contre-temps aufquels il eftoit très fenfible : Dieu le confoloit fouvent en luy faifant connoif tre que ces difgraces apparen^ tes eftoient néceflaires pour MiJJionnaires de la C.deJ. 315 la rëûflîte de ks entreprifes. Si j'écrivoisàun homme du fîecle qui n'eiift qu'une probité mondaine, il feroit peut-eftre peu touché de ce que j'ay Phon-. neur de vous marquer des ver- tus &: des faintes difpofîtions du Père de Broiflîa : mais ]'qù tois trop de (qs amis , Monfieur, pour n'avoir pas fçû de luy ce que vouseftes, 6c Ja grâce que Dieu vous a fait d'eftre dai>s le monde & au miheu des hon- neurs du monde, fans cepen- dant vous régler fur les idées & furies maximes corrompues du monde. Ainfî j'efpere qu'ef tant rempli comme vous Teftes des fentimens du Chriflianif. me , vous bénirez le Seigneur avec nous , de ce qu'il avoit communiqué à un frère, qui vous eftoit fi cher, tout l'efprit & tout le zélé des hommes Oij 5î5 Lettres de quelques Apoftoliques5 ôcje m'affurc que vous adorerez comme nous les ordres fouverains qui nous ont enlevé ce zélé Miflîonnaire , lors qu'il pouvoir rendre de fl grands fervices à cette Miffion. Je fcay peu de particularitez de fa mort j elle arriva le i8. de Septembre de cette année , à deux journées de Pékin, après fept jours d'une fièvre maligne : je ne Tappris que la veille de S. Charles Boromée fon illuftre Patron , dont il a fi parfaite- ment imité le zélé & les autres vertus. Le R. P. Pofateri de noftre Compagnie, que le Saint Siège a honoré du titre de Vi- caire Apoftohque dans le Chanfi ^ i'avoit demandé pour eftre le compagnon de fes tra- vaux : félon les apparences il le deftinoit à eftre un jour fon Tuccefleur. Ils dévoient aller MiJJionnaires de la CJe J. ii'J enfcmble à la Cour avant que de fe rendre dans la Province confiée à leurs foins : le mal qui le faifît en chemin fut d'à- bord fi violent , qu'on n'ofa rifquer de le tranfporter hors delà barque où la fièvre Tavoit pris. Il reçut les Sacremens de TEgHiè avec les fentimens de piété & de confiance, qu'on de* voit attendre d'une ame fi pu* re & fi étroitement unie à Ion Dieu. Son corps a efte porté à Pékin , pour eftre mis dans le lieu de la fépulture de nos Pè- res : leR. P. Gerbillon noftre Supérieur général alla le re- cevoir à deux lieues de cette grande Ville 5 il me mande qu'il ver fa bien des larmes fur le cercueil de ce cher défund , & qu'il reflfentira long- temps la perte que la Chine a fait d'un fi iaint éc fi fervent Miffionnaire, O il} 3i8 Lettres de quelques Voila, Monfieur, une lettre bien différente de celles que vous aviez la confolation de re- cevoir, lorfqu'il vous rendoit compte chaque année des fruits que produifent icy vos libéralités. Je puis vous afTii- rer qu'il ne s'en regardoit que comme Tœconome , mais œco- nome fi fcrupuleux , que des Voleurs luy ayant enlevé Tan- née paiTée quelques-unes de vos aumofnes , il me manda qu'il \qs avoit remplacées en ven- dant plufieurs chofes qui eil toient à fon ufage , afin que les Pauvres n'en foufFriflent point , & que la perte retombaft uni- quement fur luy. Ce qu'il me laida en partant d'icy des cha^ rites qu'il avoit receu de vous cette année , a déjà contribué depuis quelques mois à la con. verfion de vingt - cinq perfon- nés. I MjJîonnaires de la C.deJ, 319 Il eft à croire qu'il en a con- verti un bien plus grand nom- • bre dans les couriès qu'il s'eft viî obligé de faire. 11 fèmble qu'il euft un prefTen- timenc de fa fin prochaine , car V il y a quelque temps qu'il m'é- crivit qu'en cas de mort il avoir permiffion du R. P. Supérieur de me laillèr le petit fonds qu'il avoit amaflé par voftre moyen , afin de l'employer en de bon- nes œuvres. Comme je fuis convaincu , Monfieur , que dans le bien que vous faifiez à voftre cher frère, vous aviez encore plus en veuë la gloire de Dieu éc le falut des âmes , que le plaifir de luy donner des marques de voftre affection , j'efpére que fa mort n'arreftera pas l'effet de vos bontez pour cette Million : je me donneray riionneiir de O iiij 320 Lettres de quelques vous écrire tous les ans comme luy, Tufage que nous aurons fait de ce que vous voudrez bien Gonfacrer à la converiîon des Chinois. Permettez-moy de prefen- ter mes refpeds à toute voftre fainte & illuftre famille 3 & s'il m'eft permis de prendre encore icy la place de celuy que je pleure avec eux , j*ofe leur re- commander ce que je' fçay qu'if leur recommandoit dans toutes (qs lettres , en leur fai- fant le récit des converfions que Dieu opéroit par fon moyen : il leur marquoit l'o- bligation où ils eftoient de tra- vailler eux mefmes à leur pro- pre falut oc à leur fandifîcation. Permettez-moy de leur rap- peller le fouvenir de tout ce qu'il leur a écrit d'édifiant fur ce fujet : rien ne doit élire MiHionnaires de UC.deJ. 321 plus efficace pour les engager à la pratique de toutes les ver- tus propres de leur eftat. Tout pafle , Monfieur , & tout pafîè làns retour. Heureux ceux qui à Texemple du Père Broflîa, travaillent à amafler icy-bas des threfors pour Téternité, Je fuis avec un zèle plein de refped & de reconnoiifance ^ Mo NS I EU R > Voftw trcs-tumUc & tïcs-obcï^aût ferviceur en N. S. Ïrançois-Xavisr DxNTRBc OLLES MKHonnaîiCr de la Compagnie de JESUS. Oy LETTRE DU PERE DE CHAVAGNAC, Miffionnaire de la Compa- gnie de J ES u s à la Chine Au Père Le Gobien de la mejhie Compagnie, A Foutcheou-fou le lo» de Février 1705. ON Révérend pere^ P. C. Ce fut le premier jour àc Mars de Tannée dernière que Millionnaires de la C. de J. 3 23 je partis de Nantchang^fou ^ pour me rendre auprès du Père Foucquet dans cette Ville, d'où j'ay Tlionneur de vous écrire. Il s*en faut bien que toute la Chine réponde à l'idée que je m'en eftois formé d'a- bord. Je n*avois encore veu qu'une partie de la Province de Canton, quand je vous en fis une defcription fî magnifi- que. A- peine eus-je fait quatre journées de chemin dans les terres , que je ne vis plus que des montagnes efcarpées , 6c d'afFreux déferts rempHs de Tigres &: d'autres belles fé- roces. Mais quoy-que cette partie de la Chine, foit fort différente de la plufpart des autres Provinces , on y trouve cependant quelques Villes af- fés belles , &: un ailes grand nombre de Villages. O w\ 314 Lettres de quelques De Nanhiung qui eft la der- nière Ville de la Province de Canton , nous nous rendifmcs par terre à Nangan j c'eft la première Ville de la Province de Kiam^fi : elle eft grande comme Orléans, fort belle, êc fort peuplée. De Nangan à Cantchcou^fou^ ce ne font plus que des deferts. Cantcheou eft une Ville grande comme Rouen ^ elle eft fort marchan- de, & on y voit un grand nom- bre de Clireftiens. De Cantcheau à Nantcbang le Païs eft charmant, très peu- plé & très fertile. Une de nos barques penfa périr à une jour, née de cette Ville , dans un cou- rant très rapide qui a prés de vingt lieues de longueur : ce qui le rend encore plus dan- gereux, c'eft qu'il faut palTer au travers d'une infinité de Mifiionnaires de U C. de J. 315 rochers qui font à fleur d'eau, mais auffi quand on l'aune fois pafTé, on iè trouve dans une belle Rivière , fix fois, plus lar- ge que n'eft la Seine vis-à-vis de Rouen, & fi couverte de vaiffeaux , qu*à quelque heu- re du jour que vous jetriez les yeux aux environs , vous comp- tez plus de cinquante bafti- mens de charge à la voile. Ce grand nombre de vaid féaux ne doit point furprendre. Il eft vray que les Chinois ne commercent guère hors de leur païs ; mais en récompense le commerce , qu'ils font dans le fein meihie de l'Empire , eft fi grand, que celuy d'Europe ne mérite pas de luy eftre com- paré. L'Empire de la Chine a une très grande étendue , les Provinces font comme autant de Royaumes ^ l'une produit 326 Lettres de quelques du Ris, l'autre fournit des toi- les, chacune a des marclian- difcs qui liiy font propres 6c qu'on ne trouve point ailleurs : tout cela fe transporte non par terre , mais par eau , à caufe de la commodité des Rivières qui font en très grand nombre , bc fî belles , que l'Europe n'a rien qui en approche. Ce qui me remplit de con- folation, mon Révérend Père , ce fut de voir, dans toutes les Villes qui fe trouvèrent fur ma route y un grand nombre d'E- gliies érigées au vray Dieu , & une Chreftienté très fervente. La Religion fait icy chaque jour de nouveaux progrés 3 il femble mefme que le temps de la converfion de ce vafte Em- pire eft enfin arrivé 3 6c pour peu que nous foyons aidez des^ Fidèles d'Europe , qui ont da MifBomaires de la C. dej. 31 7 zélé pour la propagation de la foy , tout eft à elperer d'une Nation qui commence à goufl ter nos maximes làintes , éc qui eft touchée de tant d'exemples de vertu que donnent les nou- veaux Fidèles. Pour moy je vous avoue que je fuis frappé de leur innocen- ce & de leur ferveur. Plufieurs viennent tous les Dimanches de huit. à dix grandes lieues pour affifter aux faints Myfte- res : ils s'aflemblent en grand nombre tous les Vendredis dans TEglife , où ils récitent certaines prières en Thonneur delaPaffiondejEsus-CHRiSTi &: ils ne fe retirent qu'après s'eftre demandé pardon les uns aux autres du mauvais exemple qu'ils ont pu fe donner : leurs âufteritez 6c leurs pénitences feroient indifcretes, lî l'ona'a- 3 1 8 Lettres de quelques voit foin d'en modérer les excès. Nous avons icy un jeune enfant qui au milieu d'une fa- mille Idolaftre, ne manque ja- mais de faire tous les jours k% prières devant fon Crucifix, tandis que tous ks parens font proftemés devant leurs Idoles. Sa mère & (qs frères ont fait bien des efforts pour le perver- tir 3 mais fa confiance a eflé à répreuve de leurs menaces 6c de leurs mauvais traittemens : il leur a toujours répondu avec une fermeté méfiée de tant de douceur, qu'ils font eux-mef- mes fur le point d'embraflèr le Chriflianifme, Vous ne fçauriés croire tou- tes les induflries que le zélé fait imaginer aux nouveaux Chrefliens pour la converfîon àts Infidèles : j'en ay eflé mille 'XtiJIionnaires de la C. dej, 319 fois furpris. Il n*y a pas long- temps qu'un pauvre homme, aveugle, &quivitd'aumofnes, vint me prier de luy donner deux ou trois livres : je ne pouvois me figurer l'ufage qu'il en vouloit faire 5 c'efloic pour les donner à lire à douze Infi- dèles qu'il avoir à demi inftruits des Myfteres de noftre fainte Religion. J'ay vu des enfans venir nous demander comment il falloit répondre à certaines difficultez que leur faifoient leurs parens Idolaftres , &: il eft fouvent arrivé que le fils a con- verti ia mère , & tout le refte de fa famille. Cependant on ne peut difl convenir que les Miffiofinaires, qui travaillent à la converfion de ces Peuples , n'y trouvent des obftacles bien difficiles à furmonter. Le mépris que les 35 o Lettres de quelques Chinois ont pour toutes les autres Nations en eft un des Elus grands, mefme parmi le as Peuple. Enteftez de leur païs, de leurs mœurs 5 de leurs coutumes , & de leurs.maximes, ils ne peuvent fe perfuader que ce qui n'eft pas de la Chine mérite quelque attention. Quand nous leur avons mon- tré Textravagance de leur atta- chement aux Idoles 3 quand nous leur avons fait avouer que la Religion Chreftienne n'arien que de grand, de faint, de folide 3 on diroit qu'ils font prefts de Tembrafler : mais il s'en faut bien. Ils nous répon- » dent froidement ; voftre Reli- 5> gion n'eft point dans nos livres, >3 c'eil: une Religion étrangère : " y a-t-il quelque chofe de bon >3hors de la Chine, ôc quelque M chofe de vray que nos Sça- >3 vans ayent ignoré ? lAîJJîonnaïYes de la C.deJ, 551 Souvent ils nous demandent s'il y a des Villes, des Villages^ & des maifons en Europe. J*eus un jour le plaifir d'eftre témoin de leur furprife & de leur em^ bai-ras à la veuë d'une Map- pemonde. Neuf ou dix Let^ trez , qui m'a voient prié de la leur faire voir, y cherchèrent long-temps la Chine : enfin ils prirent pour leur païs un des deux Hémifphéres qui con- tient l'Europe, l'AfFrique, êc l'Afie : l'Amérique leur paroif- foit encore trop grande pour le refte de l'univers. Je les laiC iay quelque temps dans l'er- reur , jufqu'à ce qu'enfin un d'eux me demanda Pexplica- tion des lettres & des noms qui eftoient fur la carte. Vous voyez l'Europe , luy dis-je, l'AfFrique, &l'Afie ^ dans l'A- fie , voicy la Perfe , les Indes , 331 L étires de quelques la Tartarie. Où eft donc lâ Chine ? s'écrierent-ils tous : c'eft dans ce petit coin de terre ^ leur répondis- je , & en voicy les limites. Je ne fcjaurois vous exprimer quel fut leur ëtonne- ment : ils fe regardoient les uns les autres , & fe difoient c^s mots Chinois , Ciao te Kin ^ c*eft-à-dire , elle eft bien petite» Quoy-qu'ils foient bien éloig- nez d'atteindre à la perfedion où on a porté les arts ôc lesfcien* cQs en Europe , on ne gagnera jamais fur eux de rien faire à la manière Européane. L'auto- rité de l'Empereur a efté mefme nécefTaire pour obliger les Ar^ cbitecles Chinois, à baftirfur un modèle Européan noftre Eglife qui eft dans fon Palais. Encore fallut- il qu'il nommaft un Mandarin pour veiller à l'e- xécution de iQs ordres. Miffîonnaires de la C. de 7. 333 Leurs VaiiG^^ux font aflez mal conftruits : ils admirent la bafZ. tifle des noftrcs 5 mais quand on les exhorte à Timiter , ils font tout fiirpris qu'on leur en fafle mefme la propofition. C'eft laconftrudiondela Chi- ne, nous répondent-ils. Mais elle ne vaut rien, leur dit-on. N'importe , dés-là que c*eft celle de TEmpire , elle nous fuffit, ôc ce feroit un crime d'y rien changer. Pour ce qui eft de la langue du Païs , je puis vous alTurer qu'il n^y a que pour Dieu qu'on f)uifre fe donner la peine de 'apprendre. Voicy cinq grands mois que j'employe huit heures par jour à décrire des Didion- naires. Ce travail m'a mis en eftat d'apprendre enfin à lire, & il y a quinze jours que l'ay icy un Lettré , avec qui je pafle 334 Lettres de quelques trois heures le ijiatin , & trois heures le foir à examiner des caractères Chiiîois , & à les cpeler comme un enfant. L'al- phabet de ce païs-cy a environ quarante - cinq mille lettres: je parle à^s lettres d'ufage , car on en compte en tout jufqu'à foixante mille. Je ne lailfe pas d'en Içavoir afics pour pref- cher, catéchifer, & ccnfeflen La converfîon des. Grands & fur-tout des Mandarins eft encore plus difficile. Comme ils vivent la plus part d'exac- tions & d'injuftices , &: que d'ailleurs il leur eft permis d'a- voir autant de femmes qu'ils en peuvent nourrir ^ ce font comme autant de chaifnes qu'il ne leur eft pas aifé de rompre. Un feul exemple vous en con- vaincra. Il y a environ quarante-cinq I .lAiffîonnaïre s delaC.de J, 335 ans qu'un Mandarin lia amitié avec le Père Adam Schaal Je- fuite Bavarois. Ce Miffionnaire avoit fait tous fts efforts pour le convertir ^ mais ce fut inu- tilement. Enfin le Mandarin eftant fur le point d'aller en Province où la Cour Tenvoy oit, le Père luy donna quelques li- vres de noftre fainté Relig-ion , bL il les reçut fimplement par honnefteté : car loin de les lire , il fe livra plus que jamais aux Bonzes * : il en logea quelques uns chez luy , il Te fit une Bi- bliothèque de leurs livres , &: s'efforça par ces fortes de lec- ture d'effacer entièrement Tim- prefîîon que les difcours du Miffionnaire avoient fait fur fon efprit \ il en vint à bout. Mais quarante ans après eftanc tombé malade , il ie rappella * Prcflrcs des Idoles. 33 s Lettres de quelques le fouvenir de ce que le Père Schaal luy avoir dit tant de fois : il fe fit apporter les livres dont il luy avoit fait préfent, il les lut , & touché de Dieu il demanda le Baptefme. Avant que de le recevoir , il voulut inftruire luy-mefine toute (a famille : il commença par ks Concubines , à qui il apprit les Myfteres de noftre fainte Religion j & en mefme temps il leur affigna à chacune une penfion, afin qu'elles pufTenc vivre chreftiennement le refte de leurs jours. Il inftruifit en^ fuite tous ks enfans, ôc receut le faint Baptefme. J*ay eu la confolation, depuis que je fuis icy, de voir baptifer les fem- mes 6c les enfans de deux de ks fils. L'ufure qui règne parmi les Chinois, eft un autre obf- taclc MîJJîonnaires de Id C.de J, 337 tre obftacle bien difficile à vain- cre : lors qu'on leur dit qu'a- vant que de recevoir le Bap- tefme 5 ils doivent reftituer des biens acquis par ces voyes illi- cites , & ainfi ruiner en un jour •toute leur famille , vous m'a- voilerez qu'il faut un grand miracle de la grâce pour les y déterminer. Auflî eft-ce-là ce qui d'ordinaire les retient dans les ténèbres de l'infidélité. J'en eus il y a peu de jours ua exemple bien trifte. Un riche Marchand vint me voir & me demanda le Bap- tefme : je l'interrogeay fur le motif qui le portoit à fe faire Chreftien. Ma femme, me dit- c« il , fut baptifée l'année der- « niere , & depuis ce temps- là <« elle a vécu trés-faintement.w Peu de jours avant fa mort ellec< me prit en particulier, & mew I^. Rec. P 33 s Lettres de quelques >3 dit qu'à un tel jour & à une » telle heure elle devoir mourir • » & que Dieu le luy avoit fait » connoiftre , afin de me donner >3 par là une preuve de la vérité « de fa Religion. Elle eft morte »en effet à llieure, & de la ma- « niere qu'elle me lavoit prédit 5 >3 ainfi ne pouvant plus refîfter à )3la prière qu'elle m'a fait en » mourant de me convertir, je ï3 viens vous trouver à ce deflein , Ï3&: vous demander le faintBap,. tefme. De fî belles diipofitions ne iembloient- elles pas m'aiîu-. rer que j'aurois le bonheur de le baptiièr dans peu de jours > mais ces bons fentimens s'éva- nouirent bientoft : lors que dans l 'inftrucStion je vins à toucher l'article du bien d'autruy, & que je luy fis voir la néceffité ,indiipenfable de la reftitution, il commença à chancelier , &- Mi.ffîonnaires de la C. de J, 339 enfin il me déclara qu'il ne pou* voit s'y réfoudre. Les Chinois ne trouvent pas nionis d'oppofition au Chriftia- nifme dans la corruption & le dérèglement de leur cœur: pourvu que l'extérieur paroiiïe réglé , ils ne font nulle diffi- culté de s'abandonner en fecret aux crimes les plus honteux. Il y a environ quinze jours qu'un Bonze vint me prier de Tinftruire : il avoit , ce femble , la meilleure volonté du monde, & rien , difoit-il , ne devoit luy coufter. Mais à-peine luy eus- je expliqué quelle eft la pureté que Dieu demande d'un Chret tien : à-peine luy eus-je dit que fa loy eft fi fainte , qu'elle dé- fend jufqu'àla moindre penfée & au moindre défir contraire à cette vertu \ fi cela eft ^ me ré- pondit-il , /■/ n'y faut plus f enfer. p ij -340 Lettres de quelques .& là-deflus , tout convaincu .<]u*il eftoit de la vérité de nofl tre fainte Religion , il aban- donna le dçflëin de Tembrafler- Voicy maintenant , mon Ré- vérend Père, quelques couftu- mes par rapport aux Dames de la Chine , qui femblent leur fermer auflî toutes les voyes de converfion. Elles ne fortent ja- mais de la mailbn , ni ne reçoi- vent aucune vifk^ des hommes: c'eft une maxime fondamentale dans tout TEmpire, qu'une fem- me ne doit jamais paroiftre en public^ ni fe méfier des affaires à\x dehors. Bien plus, pour les mettre dans la néceffité de mieux obfèrver cette maxime , on a fçû leujT perfuader, que Ja beauté confîûe , non pas dans les* traits du vifage, mais dans la petiteffe des pieds : enforte que leur premier foin, eft de Mi^onriaires de la C de J. 34:^ ^oftér à elles-mefmes le pou- voir de marcher : un enfant d*un mois a le pied plus grand qu'une Dame de quarante ans. De là il arrive que les Mif- fionnaires ne peuvent inftruiré les Dames Chinoifes ni par eux-mefmes , ni par leurs Caté- chiftes. Il faut qu'ils commen- cent par convertir le mari, afin que le mari luy-mefme iîiftruife ià femme , ou qu'il per- mette à quelque bonrîe Chrefi tienne de venir dans fon appar- tement luy expliquer les Myf- teres de la R^Ugion; D'ailleurs quoy-qu'elles foient converties , elles ne peuvent fë trouver à l'Eglife avec les hom- mes. Tout ce qu'on a pu ob- tenir jufqu'icy, c'eft de les aC fembler fix ou fèpt fois l'année ou dans une Eglife particulière , ou dans la- maifoil de quelque P iij 54^ Lettres de quelques Clireflien , pour les y faire par- ticiper aux Sacremens. C'eft dans ces affemblees qu'on con- fère le Bapcefme à celles qui y font difpofées 5 j'en baptiie- ray quinze dans peu de jours. Ajouftez à cela que les Da- mes Chinoifes ne parlent que le jargon de leur Province : ain- iî elles ont bien de la peine à fe faire entendre des MifTion- naires , dont quelques-uns ne fçavent que la langue Manda- rine. On tafche autant qu'on peut ^ de remédier à cet incon- venient. Je me fouviens d'un expédient que trouva la fem« me d'un Mandarin peu de jours après mon arrivée dans cette Ville. Comme elle ne pouvoit eftre entendue du Miffionnaire à qui elle vouloitfe confefîer, elle fie venir fon Fils ai/hé , (5c elle luy découvrit (qs péchez ^ Mijjionnaires de la C de J, 543 afin qu'il en fift le détail au Confeireur & qu'il luy redift enfuice les avis & \qs inftruc- tions qu'elle en auroic receus. ♦Trouveroit-on en Europe ces exemples de fimplicicé 6c de ferveur ? Enfin la dépendance où ces Dames font de leurs maris, fait qu'on ne peut gueres comp- ter fur leur converfion, fur- tout fi le mari efl Idolaftre j en voicy un exemple bien trifte. Une femme infidèle qui avoit trouvé lefecret defe faire inf- truire de nos faintes véritez , pria fon mari , dans une gran- de maladie qu'elle eut , d'appel- 1er un Mifîîonnaire pour la baptifer. Le mari , qui l'aimoit tendrement , y confèntic de peur de la chagriner, Scdés le lendemain matin elle dévoie recevoir la grâce ap^éslaquel- P iiij 544 Zeîires de quelques le elle foupiroit avec tant d'ar- deur. Les Bonzes en furent avertis : ils vinrent auflî-toft trouver le mari 3 ils luy firent de grands reproches fur la foi- bleflè qu'il avoir eu d'accor- der fon confentement , & ils luy dirent cent extravagances des Miffionnaircs. Le lendemain comme Te Miflîonnaire fedifpofoit à aller baptifer cette femme mouran- te , le mari luy envoya dire qu'il le remercioit de ks peines;, & qu'il ne vouloit plus que fa femme fufl: baptifée. On n'o^ mit rien pour l'engager à per- mettre ce qu'il avoir accordé d'abord , & des Chreftiens de fês amis allerencle voirexprésj mais ils ne purent rien gagner : w je connois voftre finenè , leur 53 dit il, & celle dti Miflîonnaire : >3 il vient avec fon huile arracher MiMonnaires de la C. de J. 345^ les yeux des malades , pour en « faire des lunettes d'approche, a Non il ne mettra point le pied c« dans ma maifon , & je. veux « que ma femme foit enterrera avec {qs deux yeux. Quelque „ chofe qu'on fîft , on ne put ja- mais le détromper , & fa fem- me mourut iàns recevoir le Baptefme. Je ne puis finir cette Lettre,, mon révérend Père , fans vous rapporter un exemple de la foy de nos fervens Chreftiens : c'eft par leur moyen que j'ay eu le bonheur d'adminiftrer le faint Baptefme a plufieurs Idolaflres. Dans l'abfence du Père Foucquet , (jui eftoit allé à JSrantchang-fou , un Infidèle vint me prier d'aller fecourir une famille entière , qui eftoit cruel- lement tourmentée du Démon.. Il m'avoua qu'on avoit eure- P V 34^ Lettres de quelques cours aux Bonzes , & que du- rant crois mois , ils avoient fait plufîeurs facrifices 5 que ces moyens s'eftant trouvé inu- tiles , on s'eftoit adreiTé au Tchamiien- (fêe Général àQs Tao^Jpe 5 * quon avoit ^acheté de luy pour vingt francs de fauve- gardes contre leDémon^ dans lefquels il défendoit au malin efprit de molefter davan- tage cette fimille : qu'enfin on avoit invoqué tous les Dieux du Pais , 6c qu'on s'eftoir dé- voué à toutes les Pa^des : mais qu'après tant de peines & de dépenfes , la famille k trouvoit toujours dans le mef- me eflat , & qu'il eftoit bien trifte de voir fept perfonnes li- vrées à des accès de fureur fî violens, que fi l'on n'a voit pris la précaution de les lier, ilsfe ♦ Erpece de Bonze. Mijiionnaires de la C* dej, 347 feroient déjà mafTacrés les uns les autres. Je jugeay par Tex- pofé que ce pauvre homme me fit avec beaucoup d'ingénuité , qu'en effet il pouvoit y avoir en tout cela de l'opération du malin Efprit. Jeluy demanday d'abord quelle raifon le portoit à avoir recours à l'Esiliie : i'ay « appris , me répondit 11 , que^^ vous adorez le Créateur 6c le « Maiftre abfolu de toutes cho- «< ks , & que le Démon n'a au- « cun pouvoir fur les Chreftiens : « c'eft ce qui m'a déterminé à T crucifié 3 s'ils eftoient prefts de renoncer à tout ee qui pouvoit déplaire au vray Dieu 5 s'ils vouloienc obfèrver fes Commandemens , vivre ôc mourir dans la prati- que de faloy ? quand ils eurent répondus qu'ils eftoient dans ces fentimens , il leur fit faire à tous le fîgne de la Croix, il leur fit adorer le Crucifix , &c commença les Prières avec les autres Chreftiens. Tout le reC t^ du jour ils n'eurent aucun reflentiment de leur mal. Les Infidèles qui eftoient ac^ eourus enfouie, furent extrê- mement furpris de ce change- 354 -^ eîtres de quelques ment : les uns ratcribuoient à la toute-puiilance du Dieu des Clireftiens : les autres, & fur- tout le Bonze , difoient haute- ment que c'eftoit un pur effet du hazard. Dieu pour \qs détromper ^ permit que le lendemain les malades relTentiflent de nou- velles attaques de leur mal • le Bonze ôc i^^s Partifans en triom-^ phérent. Mais ils furent bien îlirpris de voir , qu'autant de fois qu'ils eftoient faifis de ces tranlports violens de fureur, autant de fois un peu d'Eau-bé- nite qu'on leur jettoit,un Chap- pelet qu'on leur mettoit au col, un ligne de Croix qu'on faifoit fur eux , le Nom de Jésus qu'on leur faifoit prononcer , les calmoit fur l'heure , & les mettoit dans une fituation tran- quille : & cela non pas peu-a- Mifft^nnaires de la C. de /. 3 y j peu, mais dans l'inftant 3 non pas une feule fois , mais à dix ou douze reprifes en un mefme jour. Ce prodige ferma la bouche aux Bonzes & aux Infidèles. : fîrefque tous convinrent que e Dieu des Chreftiens eftoic le feul véritable Dieu : il y en eut mefme plus de trente qui dés-lors fe convertirent. Le lendemain un de nos Chref- tiens plaça une Croix fort propre dans le lieu le plus ap- parent de la maifon ^ il mit auffi de TEau-bénite dans tou- tes les chambres , êc depuis ce temps- là toute cette famille n'a eu aucun reflentiment de fon mal , ^ elle jouit d^une fanté parfaite. Il y a trois mois que je fuis continuellement oc- cupé â inftruire ceux que ce miracle a convertis. 55^ Lettres de quelques Au refte pour ëternifer la mémoire d'une fi infigne fa- veur^ils ont mis dans ]a ialle de£^ tinée à recevoir les Eftranger^ une grande Image de Noftre- Seigneur , dont je leur ay fait prefent : au deflbus ils ont gra- vé cette infcription en gros ca- raderes : En telle année ^ tA mois cette famille fut affligée de tel mal : les Mom^s ^ les Dieux du Paï s furent inutilement em- floye^ les Chrefiiens vinrent tel jour 3 invoquèrent le vray Dieu y ^ Irmal cejfa à l* infiant, Cefi' four reconnoiftre ce bienfait que nous avons embraffè la fainte Loy > ^ malheur à celuy de nos Def- cendans y qui feroit affes ingrat four adorer d^autre Dieu que le Dieu des Chrefiiens, On y voit écrit enfuite le Symbo- le ôc les Commandemens de Dieu. Mi^onnaires de la CAeJ, 357 Depuis- ce temps-là j'ay toû- jp.urs eu environ quarante Ca- téchumènes à inftruire : à me- fure que j'en baptife quelques- uns , ils font remplacez aufll- toft par un plus grand nombre* Je ne fçay fi vous aurez ap- pris que deux Miffionnaires de de noftre Compagnie, ont eu 3'honneur de mourir dans la Cochinchine chargez de fers pour J E s u s-C H R I s T. Le Père le Royer me man- de du Tonquin que luyôc qua- tre autres Miffionnaires de noC tre Compagnie 5 ont eu auffi le bonheur de baptifer Tannée -dernière cinq mille cent foi- xante & fix Infidèles. Pour jnoy j'attends qu'on me donne ^unje Miffion fixe ^ on m'en pro- met une au premier jour , & on me fait efpérer qu'elle fera du- jre, pauvre , laborieufe, qu'il 3 5 s Z et très de quelques y aura beaucoup à foufFrir , & de grands fruits à recueillir : priez le Seigneur que je corref- ponde à toutes les grâces que je reçois de fa bonté , & donc je me reconnois très indigne. Je fuis avec beaucoup de réf. ped, Mon Révérend Père, Voftrc très- humble & trcs-obeïffant fcrvitcur en N- S. De Chavagnac Mifîîonnairc de la Compagnie de JESUS. LETTRE DU PERE DE B OURZES Miffionnaire de la Compa- gnie de Jésus aux Indes , j4u Père Fjiienne Souci et de la mefme Compagnie, On REVEREND PeRE P. C Lors que j*eftois fur le point de m'embarquer pour les In- 3^0 Lettres de quelques »des, jereceus une de vos Let- tres^ par laquelle vous me re- xommandiés de confacrer quel- ques momens à ce qui peut re- garder les fciences^ autant que me lepermettroient les occu- pations attachées à Temploy de Miffionnaire , ôc de vous communiquer en mefine temps les découvertes que j'aurois faites. Dans le vayage mefme , i'ay penfé à vous contenter. Mais je manquois d*inftrumens, & vous fçavez qu'ils font ab- folument nécefTaires quand on veut faire quelque chofe d*é- xad. C'eft pourquoy je n'ay fait que de ces obfervations 0U les yeux feuls fuffifent ^ fans qu'ils ayent befoin d'un fecours étranger. Je commenceray par une matière de Phyfique qui aura quelque chofe de nouveau pour ceux T^iJJîonnaires de la C. dej, 3 1^ i ceux qui n'ont jamais navigé, <& peuc-eftre niefme pour ceux qui ayant navigé ne lont pas obier vée avec beaucoup d'at- tention. Vous avës lu , mon Révérend Père, ce que dilent les Pliiio- ibphes fur les étincelles qui pa- roiflent durant la nuit lur Ja mer j mais peuteftre aurez- vous trouvé qu'ils paflènt fort légèrement fur ce phénom'éne 5 ou du moins qu'ils fe font plus appliquez à en rendre raifbn conformément à leurs princi- pes, qu'à le bien expofer tel qu'il eft. Il me femble pourtant qu'avant que de ie mettre à expliquer les merveilles de la nature , il faudroit s'efforcer d'en bien connoiftre toutes \qs particularitez. Voicy ce qui m'a paru le plus digne d'eftre re- marqué fur la matière préfente. /^. Rec. CL 3^1 Lettres de quelques I. Lors que le VaiflTeau fait bonne route, on voit fouvenc une grande lumière dans le fîllage , je veux dire , dans les eaux qu*il a fendues &: comme brifées à ion paflage. Ceux qui n'y regardent pas de fi prés , attribuent fouvent cette lumiè- re , ou à la Lune , ou aux Etoi- les , ou au fanal de la pouppe. C'eft en effet ce qui me vint d'abord dans l'efprit , la pre- mière fois que i'apperçus cette grande lumière. Mais comme j'avois une feneftre qui don- noit fur le fiUage mefme , je me détrompay bientoft ^ fur tout quand je vis que cette lu- mière paroilfoit bien davanta- ge , lors que la Lune eftoit fous rhorifon, que les étoiles ef toient couvertes de nuages, que le fanal eftoit éteint 5 en- lin lors qu'aucune lumière Milftonnaires de la C de J. 3 6^ étrangère ne pouvoit éclairer la furface de la mer. II. Cette lumière n'eft pas toujours égale : à certains jours il y en a peu , ou point du tout, quelquefois elle eft plus vive , quelquefois plus languiilante : il y a des temps où elle eft fort étendue , d'autres où elle Teft moins. IIL Pour ce qui eft de fà vivacité, vous ferez peut-eftre furpris quand je vous diray que j'ay lu lans peine à la lueur de ces filions, quoy qu'élevé de neuf ou dix pieds au defliis de la furface de Teau. J'ay remarqué les jours par curiofité 3 c'eftoit le 12. de Juin de Tannée 1704. & le dixième de Juillet de la jnefme année. Il faut pourtant vous ajouter que je ne pouvois lire que le titre de mon livre qui eftoit en lettres majufcules. 3 64 Lettres de quelques Cependant ce fait a paru in- croyable à ceux à qui je Tay raconté : mais vous pouvez m'en croire , bc je vous afTure qu'il eft très certain. I V. Pour ce qui regarde Té- tendue de cette lumière, quel- quefois tout le fillage paroift lu- mineux à trente ou quarante pieds au loin, mais la lumière eft bien plus foible à une plus grande diftance. V. Il y a des jours où Ton démefle aifëment dans le filla- ge les parties lumineufes d'avec celles qui ne le font pas : d'au- trefois on ne peut faire cette diftindion. Le fillage paroift alors comme un fleuve de lait qui fait plaifir à voir. C*eft en cet eftat qu'il me parut le lo. de Juillet 1704. V I. Lors qu'on peut diftin. guer les parties brillantes d'a^ MiJJîonnaires de la CdeJ, 3 ^ j vec les autres , on remarque qu'elles n'ont pas toutes la mefîne figure : les unes ne pa- roiflent que comme des pointes de lumière, les autres ont à* f)eu-prés la grandeur des étoi^ es telles qu'elles nous paroit fent 3 on en voit qui ont la fi- gure de globules d'une ligne ou deux de diamètre ; d'autres font côme des globes de la groC feur de la tefte. Souvent auffi ces Plioiphores fe forment en quar- ré de trois ou quatre pouces de long , fur un ou deux de large. Ces Pliofphores de difFërente figure, fe voyent quelquefois enmefiiie temps. Le 12. de Juin le fillage du vaiffeau eftoit })lein de gros tourbillons de umiere , & de ces quarrez ob- longs dont j'ay parlé. Un au- tre jour que noftre vaifTeau avançoit lentement , ces tour. 3^6 Lettres de quelqties billons paroilloienc ôc difpa. roiflbient tout-à-coup en for- me d*éclairs. VII. Ce n'eft pas feulement le palTage d*un vaifleau qui pro- duit ces lumières, les poiflbns laiiTent auffi après eux un fil- lage lumineux , qui éclaire afTez pour pouvoir diftinguer la grandeur du poifTon , & con- noiftre de quelle efpéce il eft. J'ay veu quelquefois une gran- de quantité de cts poiflbns qui , en fe jouant dans la mer, faifoient un efpece de feu d'ar- tifice dans Teau qui avoir fon agrément. Souvent une corde mife en travers fufîît pour bri- fer l'eau , enforte qu'elle de- vienne lumineufè. VIII. Si on tire de Teau de la mer , pour peu qu'on la remue avec la main dans les ténèbres, on y verra une in- Misjionnaires de la C. de 7. 367 finité de parties brillantes. I X. Si l'on trempe un linge dans l'eau de la mer , on verra la mefme chofe , quand on fe met à le tordre dans un lieu obfcur 3 6c mefme quand il eft à demi fec , il ne faut que le remuer pour en voir for tir quantité d'étincelles. X. Lors qu'une de ces étin- celles èft une fois formée , elle fe conferve long-temps : & fi elle s'attache à quelque chofè de folide , par exemple aux bords d'un vafe , elle durera des heures enriéres. XL Ce n'eft pas toujours lors que la mer eft le plus agi- tée, qu'il y paroift le plus de ces phofphores 3 ni mefme lors que le vaifTeau va plus vifte. Ce n'eft pas non plus le fimple choc des vaOTes les unes con. trc les autres qui produit des C^iiij 3 é s Lettres de quelques ctincelles , du moins je ne Tay pas remarqué. Mais j'ay obfer- vé que le choc des vagues contre le rivage en produit quelquefois en quantité. Au Brefîl le rivage me parut un foir tout en feu , tant il y avoit de ces lumières. XII. La production de zts feux dépend beaucoup de la qualité de Teau 5 & , iî je ne me trompe , généralement parlant on peut avancer que le refte eftant égal , cette lumiè- re eft plus grande , lors que Teau eft plus grafle ôc plus ba- veule 3 car en haute mer Teau n'eft pas également pure par- tout : quelquefois le linge qu'on trempe dans la mer, revient tout gluant. Or j'ay remarqué plufîeurs fois que quand le fil- lage eftoit plus brillant, ?eau eftoit plus vifqueufe 6c plus Millionnaires de la C. de J, y6^ gralle, 6c qu'un linge mouillé de cette eau rendoit plus de lumière lors qu'on le remuoic. XIII. De plus on trouve dans la mer certains endroits ^ où furnagent je ne fçay quelles ordures de différentes couleurs, tantoft rouges, tan toft jaunes. A les voir on croiroit que ce font des fciures de bois : nos Marins difent que c'eft le fray ou la femence de Baleine : c'eft de quoy Ton n'eft gueres cer- tain 'y lors qu'on tire de l'eau de la mer en pailant par ces en- droits, elle fe trouve fort vif- queufe. Les mefmes Marins difent qu'il y a beaucoup de ces bancs de fray dans le Nord, & que quelquefois pendant la nuit ils paroiflènt tout lumi- neux , fans qu'ils foient asjitez par le paflàge d'aucun vaiuèau , ni d'aucun poiflbn. 370 Lettres de quelques XIV. Mais pour confirmer davantage ce que j'avance, fça- voir , que plus Teau eft gluante, plus elle eft difpofée à eftre lu- minçufe, j'ajoûteray une choie aflèz particulière que j'ay veiie. On prit un jour dans noftre vaifleau un poifTon que quel- ques-uns crûrent eftre une Bo- nite. Le dedans de la gueule du poiffon paroiflbit durant la nuit comme un charbon allu- mé y de forte que fans autre lumière j,e lus encore les mef- mes caractères que j'avois leu à la lueur du fillage. Cette gueule eftoit pleine d'une hu- meur vifqueufe , nous en frot- tafiiies un morceau de bois qui devint auffitoft tout lumineux : dés que Thumeur fut defféchée, la lumière s'éteignit. Voilà les principales obfèr.. vations que j'ay fait fur ce Mi.dïonnaires de la C, de J. 371 phénomène : je vous laifle à examiner , (i toutes ces particu- laritez peuvent s'expliquer dans le fyfteme de ceux, qui établie fent pour principe de cette lu- mière , le mouvement de la ma- tière iubtile ou des globules^ câufé par la violente agitation des fels. Il faut encore vous dire un mot des Iris de la mer. Je les ay remarqué après une groile tem- pefte que nous efluyafmes au Cap de Bonne efpérance. La mer eftoit encore fort agitée , le vent emportoit le haut des vagues, êc en formoit une et pece de pluye où les rayons du Soleil venoient peindre les cou- leurs de l'Iris. Il eft vray que Plris cékfte a cet avantage fur l'Iris de la mer , que [qs cou« leurs font bien plus vives, plus diftincles , ôc en plus grande q vj 37^ Lettres de quelques quantité. Dans l'Iris de la mer on ne diftingue gueres que deux fortes de couleurs : un jaune fombre du cofté du Soleil,, & un verd pafle du coftë oppo- fé. Les autres couleurs ne font pas une aiTez vive fenfation pour pouvoir les diftinguer. En récompenfe les Iris de la nier font en bien plus grand nonv bre 3 on en voit vingt & trente en mefiiie temps , on les voit en plein midi , 6c on les voit dans une fituation oppofëe à Vins cëlefte j c*eft-à-dire , que leur courbure eft comme tournée vers le fond de là mer. Qu'on dife après cela que dans ces voyages de long cours on ne voit que la mer & le Ciel :cela eft vray , mais pourtant l'un & l'autre repréfentenr tant de mjerveilles,qu'il y aurok dequoy Miffionnaires de la C. de /. J75 bien occuper ceux qui auroientr aflez d'intelligence pour les découvrir. Enfin , pour finir toutes les obfer varions que j'ay fait fur la lumière , je n'^en ajoufteray plus qu'une feule , c'efl: fur les cxhalaifons qui s'enflamment pendant la nuit, ôc quiens'en- îlammant forment dans l'air un trait de lumière, Cqs exhalar- fonslaiflentaux Indes une trace bien plus étendue qu'en Eu- rope. Du moins j'en ay veu deux ou trois que j'aurois pris pour de véritables fufées : elles paroifToient fort proches de la terre , & jettoient une lu- mière à-peu-prés femblable à celle dont la Lune brille les premiers jours defon croiflant ; leur chute eftoit lente , oc elles traçoient en tombant une ligne 3 74 Lettres de quelques courbe. Cela eft -certain au moins d'une de cesexhalaifons que je vis en haute mer , déjà bien éloigné de la cofte de Ma- labar. C*efl: tout ce que je puis vous écrire pour le préfent. Je fou- haitte , Mon Révérend Père ^ que ces petites obfervations vous fafTent plaifîr. Grâces au Seigneur je n^attends que le mo- ment où Ton m'avertifle d'en- trer dans le Maduré : c'efl: la Miffion qu'on me deftine, & après laquelle vous fçavez que je foupire depuis tant d'an- nées. J'efpere que j'auray oc- cafion d*y faire des obferva- tions beaucoup plus importan- tes fur la mifericorde de Dieu â l'égard de ces Peuples, & aufquelles vous vous intéref^ ferez vous.mefmc davantage. MiJ/îonriairesdelaCJeJ, 375 Aidez- moy du fecours de vos faints Sacrifices, dont vous fça- vez que j'ay tant de befoin. Je fuis avec beaucoup de ref« pec^ > Mon REVEREND Père, Voflic tres-Knmblc & trcs-obîïflànt ferviccur en N. S. Db Boukzes, Miffionnairc de la Compagnie de JESUS. LETTRE D U PERE JARTOUX Miffionnaire de la Compa^ gnie de J ES u s à la Chine ^u Père de Fontaney de la mefme Compagnie. A Pékin ce lo. d'Aouft 1704, ON REVEREND PERE, Je me fouviens que , quand TOUS partiftes de la Chine ., ÊBSsassaBma^ S jMif^ionnaires de la C, de J, 377 vous me chargeaftes de vous faire parc tous les ans de nos croix èc de nos confolations. Grâces à Dieu , j'aurois bien de quoy vous iatisfaire furie pre- mier point : mais il ne fied pas toujours aux Difciples de J e- sus-Chris t, de faire eux- mefmcs le détail de leurs peines : c'efl: bien aflez pour eux que Dieu daigne leur en tenir compte. Agréez donc que je m'attache uniquement à ce qui peut vous faire plailîr 5c vous édifier. Je commence par Touvertu- re folemnelle de noftre Eglife, qui fè fit enfin le 9. deDécem- bre de Tannée 1703. Ce fut, comme vous fçavez , au mois de Janvier de Tannée 1699. que TEmpereur accorda au Pè- re Gerbillon la permiflîon de la baflir dans ce grand era- 3 7 § lettres de quelques placement qu*il nous avoit don- né 5 & qui eft renfermé dans Penceinte mefme du Palais. Qiielque tems après ce Prince fît demander à tous les Miffion- naires de la Cour, s'ils ne vou- loient pas contribuer à la conC trudion de cet édifice , comme à une bonne œuvre à laquelle il vouloit auflî avoir part. Enfuite il fit diftribuer à chacun cin* quante écus d'or , donnant à entendre que cette fommc de- voit y eftre employée. Il four- - nit encore une partie des maté- riaux 5 & nomma des Manda- rins pour préfider aux ouvra- ges. On n'avoit que deux mille huit cens livres quand on creu- falesfondemens • on com.ptoit pour le refte fur les fonds de la Providence, & par fa bonté infinie elle ne nous a pas man- qué. Mijsionnaires delà C.deJ, 379 Quatre années entières ont efté employées à baftir &: à or- ner cette Eglife, une des plus belles & des plus régulières de toutTOrient. Jeneprétenspas vous en faire icy une defcrip- tion exacte 3 il me flifïit de vous en donner une légère idée. On entre d'abord dans une cour large de quarante pieds fur cinquante de lone : elleeft entre deux corps de logis bien proportionnez 5 ce font deux grandes Salles à la Chinoife : Tune fert aux Congrégations , & aux inftrudions des Caté- chumènes 3 Tautre fert à rece- voir les Perfonnes qui nous rendent vifîte. On a expofé dans cette dernière les por- traits du Roy , de Monfeigneur, des Princes de France , du Roy dTfpagne régnant , du Roy d*Angleterre , & de plufieurs 3 s o Lettre i de quelques autres Princes ^ avec des inflru* mens de Mathématique & de Mufîque. On y fait voir encore toutes ces belles gravures re- cueillies dans ces grands livres , qu'on a mis au jour pour faire connoiftre à tout l'univers la magnificence de la Cour de France. Les Chinois confide- rent tout cela avec une extré* me curiofîté. C'eft au bout de cette cout qu'eft baftie TEglife. Elle a fi- xante ôc quinze pieds de lon- gueur, trente- trois de largeur , ôc trente de hauteur. L'inté- rieur de TEglife eft compofé de deux ordres d'architeâure : chaque ordre a feize demi-co- Jomnes couvertes d'un vernis verd : les pieds- d'eftaux de Tordre inférieur font de mar- bre , ceux de l'ordre fupérieur font dorez , auflî bien que les MiJJïonnaires de la C. de 7- ^3 S i chapiteaux , les filets de la cor- niche , ceux de la frife , & de ^architrave. La frife paroift chargée d*ornemens qui ne font que peints 5 les autres membres de tout le couronne- ment font verniffez avec des teintes en dégradation félon kurs difFérentes faillies. L'or- dre fupérieur eft percé de dou- ze grandes feneftres en forme d'arc, fix de chaque cofté , qui éclairent parfaitement TEglifè, Le plat-fond eft tout-à-fait peint : il eft divifé en trois par- ties 5 le milieu repré fente un dôme tout ouvert , d'une riche architecture : ce font des co- lonnes de marbre , qui portent un rang d'arcades furmonté d'une belle baluftrade. Les co- lonnes font elle-mêmesenchaC fées dans une autre baluftrade d'un beau deilèin , avec des 382 2 ettres de quelques V2i{ts à fleurs fore bien placez. On voitau-defTus le Père éter- nel affis dans les nues fur un groupe d'Anges ^ & tenant le monde en fa main. Nous avons beau dire aux Chinois que tout cela eft peint fur un plan uni, ils ne peuvent fe penuader que ces colomnes ne foient droites , comme elles le paroiflent : il eft vray que les jours y font fi bien ménagez à travers les arcades & les ba- luftres , qu*il eft aifé de s'y tromper. Cette pièce eft de la main de M. Gherardini, * Aux deux coftez du dôme font deux ovales dont les pein- tures font très riantes. Le re- table eft peint de mefme que le plat-fond. Les coftez du re^ table font une continuation de Tarcliiteclure de l'Eglifè en per^ * Peintre Italien. Miffïonnaires de la C. de J. 3 83 fpedive. Ceftunplaifirde voir Iqs Chinois s'avancer pour vi- fîcer cette partie de l'Eglifè, qu'ils difent eftre derrière l'Au^ tel. Quand ils y font arrivez , ils s'arreftent , ils reculent un peu , ils reviennent fur leurs pas , ils y appliquent les mains pour découvrir fî véritabie- ment il n'y a ni élévations, ni enfoncemens. L'Autel a une jufte propor- tion : quand il eft orné des ri- ches préfens de la libéralité du Roy que vous nous avez ap^ porté d'Europe , & dont fa Majefté a bien voulu enrichir TEglife de Pékin , il paroift a- lors un Autel érigé par un grand Roy au feul maiftre des Rois. Quelques foins que nous nous foyons donnez , l'Eglifè ne put s'ouvrir qu'au commencement 3S4 Lettres de quelques de Décembre de l'année der- nière. On choifît un Diman- che pour la cérémonie. Le R. P. Grimaldi Vifiteur de la Compagnie dans cette partie de rOrient , accompagné de pluiîeurs autres Millionnaires de différentes Nations , vint b«nir folemnellement la nou- velle Eglife. Douze Catéchifl tts en Surplis portoient la Croix , \^s Chandeliers , TEn- cenfoir&:c. Deux Preftrcs avec l'Etoile & le Surplis marchoient a cofté de l'Officiant : les autres Miffionnaires fuivoient deux à deux , & enfuite venoient en foule \ts Fidèles que la dévo- tion avoit attirez. La Bénédiction achevée tout le monde fe profterna devant l'Autel ; les Pères rangez dans k Sanctuaire, & tous les Chret tiens dans la nef, frappèrent pluiîeurs MiBonnairesàelaCdeJ, 385 plufieurs fois la terre du front. La Meilè fut enfuitte célébrée avec Diacre & Sous- diacre par le Père Gcrbillon , qu*on peut regarder comme le Fondateur de cette nouvelle Eglife. Un grand nombre de Fidèles y communièrent 5 on pria pour le Roy trés-chreftien noftre infigne bienfaiteur , &le Père Grimaldi fit à la fin de la Mefic un difcours très touchant. En- fin la fefte fe termina par le Baptefme d*un grand nombre de Catéchumènes. La Meflè fe célébra la nuit de Noël avec la mcfme folem- nité, & avec le mefme con- cours àç,% Fidèles. Si les inftru- mens Chinois , qui avoient je ne fçay quoy de champeftre, ne m*euilent fait reflbuvenir que j'eftois dans une Miflîon étrangère , j'aurois cru me §86 Lettres de quelques trouver dans le cœur de la France , où la Religion jouic de toute fa liberté. Vous ne f(^auriez croire la multitude de perfonnes de diC tinâion qui font venu voir cet Edifice : tous s'y profternent àplufieurs reprifes devant TAu- tel 5 plufieurs mefme s*infl:rui- fent de noftre Religion , s'y af- fe(3:ionnent,& donnent lieu de croire qu'ils rembraflèront dans la fuitte. Quelle douleur pour nous , mon Révérend Père, fi nous avions le malheur de voir dé- truire un ouvrage qui fait triompher la Religion jufques dans le Palais d'un Prince in- iîdele 1 Nous en avons couru le xifque deux mois après qu'il a ^fté achevé j voici comment U .chofe fe paffe. JLe 12. de Février de cette MiJIïonnairesdelaCdeJ, 387 année 1704. Le Frère Brocard qui travaille à des inftrumens de Mathématique chez le Prin- ce héritier , avec toute l'amer- tume de la Croix de Je s us- Chris t , reçut ordre de donner la couleur bleue à quel- ques ouvrages d'acier. Le pre- mier avoit la figure d'un an- neau j le fécond repréfentoit une garde d'épéc tout-à-fait ronde : le troifiéme avoit la forme d'un pommeau d'épée j & le quatrième eftoit une poin- te quadrangulaire fort émouC fee. Tout cela eft néceilairc pour ce que je dois dire. Je me trouvay alors dans Tappartement où travailloit le Frère Brocard pour l'aider à perfectionner quelques ouvra- ges. Le Père Bouvet qui nous lert d'interprète y fut auflî ap- pelle j & après avoir obfervé 388' L et très de quelques ces morceaux d'acier , il me die défobéïflance mérite félon la « rigueur des loix ? Enfuitte adreilant la parole au Père ^ Mifiîonnaire s delaC.de J, 395 Bouvet qui me fui voir de prés: Connoiilez-vous cette armera ajoufta-t-il, e'eft le Pien dont « je me fers, & qui eft faitv^uni- ce quement pour mon ufage 5 il « n'eft ni pour Fo , ni pour aucun «4 Génie ^ & perfonne n'attribue « à ce /'/Vw aucune vertu parricu- « liere : en faut-il davantage c^. pour vous raflurer contre vos« craintes mal-fondées ? c^ Le Père Bouvet crut pou- voir, fans manquer au refped dû au Prince , luy expofer les raifons qu'il avoit eu de dou- ter. Mais le Prince fe perfua- dant qu'il faifoit encore diffi- culté de fe rendre à fon témoi- gnage, luy parla d'une manière qui marquoit fa colère & fon> indignation. Il l'envoya dans la Salle de la Comédie pour y voir des Sceptres pareils au fîen entre les mains des Corné-- 39^ Z^ttres de quelques diens qui eftoient fur le point « de jouer. Qu'il voye, dk-il , iî >5 c*eft là un inftrument de Reli- )3 gion puifque nous en faifons M un inftrument de Comédie. Le Père Bouvet eftant de re- tour, le Prince luy demanda s'il eftoit enfin détrompé. Le Père luy répondit qu il voyoit bien que ce Pien pouvoir iér- vir à difFérens ufages : mais que comme il avoir lu dans quel- que livre de Tliiftoire de la Chine, qu'on avoir employé de pareils inftrumens à des clio- ks que noftre Religion détef- te , il avoir eu lieu de craindre que celuy-cy ne fuft de la meC me efpéce , & que le Peuple n'euft encore fur la vertu de ces fortes d'armes des erreurs grof- fîeres. Ces nouvelles inftances du Père Bouvet irritèrent extré- Milftonnairei de la C. dej.^f) J memenc le Prince. Il s'imagi- na que le Miffionnaire vouloit oppofer à fon authorité , celle de quelque Roman , ou des Gens de la lie du Peuple. Vous« n*eftesqu un étranger, luy dit-« il d'un ton fevére , & vous pré- « tendez fçavoir mieux les fen- fcandalifez , & celuy du Prince M vous fait peur ? d*où vient cette «différence ? Je luy appris ce que c'eftoit que le Sceptre de nos Rois, & je luy expliquay riiiftoire du Jugement de Sa- lomon qui eftoit gravé fur cet- te boëte. Enfin les Miflîonnai- res des trois Eglifes arri-verent fur les huit heures dé ja inftruits de toute cette affaire par le Père Gerbillon. Le Mandarin nommé Tchao^ qui a tant contribué à TEdit qui Misjionnaires de la C. de J. 401 permet TExercice de la Reli- gion Chreftienne dans tout TEmpire, nous aflTembla tous dans un lieu éloigné des appar- temens du Prince. Là en pré- fence du premier Eunuque, & de plufieurs autres perfonnes, il nous parla à-peu-prés en c^s termes : Vous avez irrité con- « tre vous le meilleur de tous les" Princes : il m'ordonne de pour- « fui vre vivement la faute duPe-" re Bouvet comme un crime de " Jeze-majcfté. Si vous ne luy" faites fatisfadion , j'iray moy- « mefme accufer le coupable à« la Cour des crimes , pour y tL « tre jugé & puni félon la févé- « rite des loix. Vous eftes des« étrangers , vous n*avez d*appui « que la bonté de PEmpereur qui c< vous protège , qui permet vof « tre Religion 'parce qu'elle eftw bonne , & qu'elle n'ordonne « 401 Lettres de quelques wrien que de raifonnable. De f> quels biens , & de quels hon- M neurs ne vous a-t-il pas com- M blez à la Cour & dans les Pro- o vin ces > Cependant leP.Bouvec •5 a eu l'infolence de contredire w le Prince héritier , ô£ malgré >5 les ajffurances & les éclaircif- wfemens qu*il a eu la bonté de » luy donner , il a voulu foutenir ufon propre fentiment contre »3 celuy du Prince, comme s'il fe wfuft défié de* fa droiture & de « fa bonne foy. Je vous fais les «Juges de fon crime , & de la >5 peine qu'il mérite. Qu'en pen- jaîèz-vous > Répondez , Père n Grimaldi , vous qui eftes le M Supérieur de tous. Le Père qui s'eftoit attendu à tous ces reproches , 6c qui après avoir tout examiné , avoir défapprouvé la'réfiftance opi-^ Biaftre du Père Bouvet , répon^ ' JAfsJtonnairesdelaCdeJ. 40 j dit que ce Père avoit eu grand tort de ne pas déférer au té- moignage & à Tautorité da Prince 3 & que parla il s'ef- toit rendu indigne de paroifl tre jamais devant fa Majefté & devant fon Altefle. Le Mandarin , fans répon- dre au Père Grimaldi , s'adref- fa au Père Bouvet, bc luy die que le Prince héritier juroic foy de Prince que Tinftrumenc dont il s'agiflToit, n*eftoit point le Sceptre de Fo^ ni des Gé- nies 5 que s'il fcavoit le con- traire , il fift une croix fur la terre , & qu'il juraft fur cette croix. Le Père Bouvet ré- pondit qu'il foumettoit fon ju- gement à celuy du Prince. Si " vous reconnoiflèz voftre faute , " reprit le Mandarin , frappez- " donc la terre du front comme « coupable. Le Père obéît 4-04 Zetires de quelques fur le champ , & le Manda-» rin alla faire fon rapport à TEmpereur. Nous loûafn^es Dieu du té- moignage public que ce Man- darin venoit de donner à nof- tre fainte Religion aa nom de l'Empereur &: du Prince fon fils : (car nous fçavions bien qu'il ne difoit pas un mot de luy-mefme, ) témoignage que nous aurions acheté au prix de tout noftre fang. Ce Courtifan que le feul reipect humain re- tient dans rinfidéhté, fit bien valoir ce témoignage , auquel il fçavoit que nous eftions infi. niment fenfibles : il ne fe con- tenta pas de le dire une fois, il le répéta bien haut , & le pro- nonça d'un ton & d'un air a luy donner toute l'autorité que nous défirions. Quelque temps après , ce Misfionnairesde la C. de J. 40 j témoignage du Prince fï avan- tageux à la Religion nous fut encore confirmé par un autre ' Officier , qui vint nous dire de fa part ces paroles bien confo- lantes pour nous : Eft-il pof-cc fible qu'on m'ait foupçonné" d'avoir voulu vous tromper en « vous faifant violer voftre loy« que je juge bonne ? Sçachez « qu'un tel deifein efl: indigne" d'un Prince comme moy , &« que dans tout l'Empire vous et trouveriez peu de perfonnesc« capables de ce procédé , qui «< ne peut convenir qu'à un mal- « honnefte homme. Si je fuis fi « fort irrité^ ce n'eft pas pour le « Sceptre dont il s'agit , car je « m^en mets fort peu en peine 3" c'eft à caufe de l'outrage qu'on 3 la délicatdle des Miilîonnaires, «je craignis que le Père ne fuft »3 tenté de me refufer. Il me vint «en penfée, qu'en tirant un ri- ,3 deau entre les deux , le Père ,3 n*auroit peut-eftre plus la meC ,5 me difficulté : cependant je „ craignis encore que cet expé- „dient ne luy dêpluft. Alors „ quelques Courtifans me pro- ,^ poièrent de faire habiller cette ,3 femme en homme, &: mepro- „ mirent fur cela un iecret invio^ „ lable. J'eftois fort porté à le „ faire , alin de contenter ma cu- jjriofîté. Mais après quelques ré- „ flexions , je jugeay qu'il eftoit „ indigne de tromper un homme „qui fe fioit en moy : ainfi je ,j me privay du plaifir que je m'et ,^tois propofé , pour ne point ,^ faire de peine au Miflîonnaire jj iùr les devoirs de fa Profeflîon. Sa Majefté ajouta que le grand Misjïonnaires de la C. de J, 409 grandZ^/w^, qu*il confidéroit {i fort , l*ayant prié de faire ti- rer fon portrait par M. Ghè- rardini , il Tavoit refufé dans la crainte qu'il avoit, que ce Peintre eftant Chrefticn, n*euffc de la répugnance à faire le por- trait d'un Preftre des Idoles. Il dit enfuite qu'il y avoit par- mi nous des gens défîans & foupçonneux , qui craignent tout , parce qu'ils ne connoif- iènt pas aflezla Chine, & qui apperçoivent de la Religion, oh il n'y en a pas mefme l'ap- parence. Enfin il conclut que , puifque le. Père Bouvet recon- noiflbit fa faute , il fuffifoit, pour le punir, qu'il ne fèrvifl plus d'interprète chez le Prin- ce fon fils 3 que du refte il pou- voit demeurer tranquille dans npftj'e maifon. Les Pères fléchirent les gç^ 41 o Zettres de quelques noux , & fe courbèrent neuf fois jufqu'à terre félon la couftume €n adion de grâces. Ils firent ^nfuite la mefme cérémonie devant la porte ^iu Prince hé- ritier. Ainfi fe termina cette affaire , après nous avoir don- né durant cinq jours de cruel- les inquiétudes. Malgré cette allarme pafla- gère, noftre Miffion eft,- grâ- ces à Dieu , dans un eftat à nous faire efpérer dans la fuitte de grands progrez pour la con- verlîon des Chinois , fi l'œuvre de Dieu n'eft point traverfée. Des trente Jéfuites que vous y avez laiffez , il y en a déjà douze on y jette Millionnaires delà CJe J. 415 enfuite du lait aigre & caillé , & huit heures après on le re- tire en grumeaux en le paflant par un linge. Les Chymiftes employent le le premier pot qu'ils trouvent f)our révivifier le cynabre & es autres préparations du mer- cure. 5 ce qu'ils font dune ma- nière fort iîmple. Ils n'ont point de peine à réduire en pou- dre tous les métaux : j'en ay efté témoin moy-mefme. Ils font grand cas du talc & du cuivre jaune , qui confume , à ce qu'ils difent, les humeurs les plus vifqueufès , & qui lève les obftruclions les plus opi- niaftres. Les Médecins font plus re- fervez que ceux d'Europe à ié fervir du fouffre : ils le corri- gent avec le beurre 3 ils font auffi jetter un bouillon au poi* ^.i6 Lettres de quelques vre long , 6c font cuire le pig» non d'Inde dans le lait. Ils employent avec fbccez contre les fièvres Taconit corrigé dans Turine de Vache , ôc Torpiment corrigé dans le fuc de limon. Un Médecin n'eft point ad- mis à traitter un malade , s'il ne devine fon mal, & quelle eft l'humeur qui prédomine en luy : c'eft ce qu'ils connoiflent aifément en taftant le poulx du malade. Et il ne faut pas dire qu'il eft facile de s'y trom- per , car c'eft une fcience dont j'ay moy-mefine quelque ex- périence. h^s maladies principales qui régnent dans ce Païscy, font 1°. le Mordechin , ou le Colêra- rnorhus. Le rem.ede qu'on em- ployé pour guérir ce mal , eft d'empefcher de boire celuy qui en eft attaqué , & de luy brut Mi^ionnairesdeUCdeJ. 4.ÏJ 1er la plante des pieds. 1^. Le Sonipat , ou la Lcchargie , qui fe guérit en mettant dans les yeux du Piment broyé avec du vinaigre. 3^. Le Pilhaï , ou Tobt truction de la rate , qui n'a point de remède ipeciiîque , fi ce n*eft celuy des Jo^his. * Ils font une petite incilîon fur la. rate , enfuite ils infèrent une longue aiguille entre la chair Se la peau : c'eftpar cette incifîon ^, qu'en fucçant avec un bout de corne, ils tirent une certaine graiilè qui rellèmble à du pus. La plufpart des Médecins ont couftume de jetter une goûte d'huile dans rurine du malade : fi elle fe répand , c'eft , diftnt-ils , une marque qu'il eft fort échaufé au dedans 3 fi au contraire elle demeure en fon entier, c'efl: figne qu'il manque de chaleur. * Pcnitcns Indiens. 428 Zeiîres de quelques Le commun du Peuple a des remèdes fort fimples. Pour la migraine , ils prennent en for- me de tabac , la poudre de Tëcorce féche d'une grenade broyée avec quatre grains de poivre. Pour le mal de tefte ordinaire , ils font fentir dans un notlet * un mélange de fel armoniac , de chaux , ôc d'eau. Les vertiges qui viennent d'un fang froid & grofliêr fe guérif. fent en beuvant du vin , où on a laifle tremper quelques grains d'encens. Pour la furdité qui vient d'une abondance d'hu- meurs froides , ils font inftiller une goutte de jus de limon dans l'oreille. Quand on a le cer- veau engagé & chargé de pi- tuite, on fent dans un nouée le cumin noir pilé. Pour le * On appelle ainfi no pacquet "de quelque drogue enfermée dans un nœud de linge. MiMonnaires de la C. dej, 429 mal de dents, une pafte faite avec de la mie de pain , & de la graine de ftramonia mifefur la dent malade, en étourdit la douleur. On fait fentir la Ma* tricaire , ou rAbfynthe broyée à celuy qui a une hémorragie. Pour la chaleur de poitrine & le crachement de iang, ils en- duifent un Giraumont * de paC- te qu'ils font cuire au four , & boivent Peau qui en fort. Pour la colique venteufe & pituiteu. fe, ils donnent à boire quatre cuillerées d*eau, ou on a fait bouillir de Panis , & un peu de gingembre à diminution de moitié. Ils pillent auflî l'oig- non cru avec du gingembre pour rappliquer froid fur la partie du ventre où ils fentenc de la douleur. Pour la liente- * Fruit des Indes qui a la forme d'unç ^alcbailc , & qui a le gouft de citrouille,^ 43 o Lettres de quelques rie , ils font cuire une tefte d'ail fous la cendre, qu'ils prennent €n fè couchant , & qu'ils gar- dent dans la bouche pour en liicçer le jus. La feuille de con- combre broyée les purge & les fait vomir s'ils en boivent le jus. La difficulté d'urine ft guérit icy en beuvant une cuil- lerée d'huile d'olive bien met lée avec une pareille quantité d'eau. Pour le cours de ventre, ils font torréfier une cuillerée de cumin blanc , & un peu de gingembre concafle qu'on ava- le avec du fucrc. j'en ay vu gué- rir les fièvres qui commencent par le friflbn en faifànt pren- dre au malade avant l'accez trois bonnes pilulles (zitcs de gingembre, de cumin noir, &: de poivre long. Pour les fièvres tierces , ils font prendre pen- dant trois jours trois cuillerées MiJlîonnaires de Ip C. de 7. 43 1 dé jus de Teucrium , ou de groC fe germandrée , avec un peu de ièl & de gingembre. Ce n*eft-là , mon Révérend Père , qu'une ébauche des ob- fer varions que j'ay fait fur \^s Arts & la Médecine de ce Païs. Si vous en fouhaittez de nouvelles , ou {1 vous voulez un plus grand ëclairciilement fur celles que je vous envoyé , vous n'aurez qu'à me l'écrire. Je me feray un plaifir de vous fatis- faire, & de vous témoigner le refpeclavec lequel je fuis dans l'union de vos laints Sacrifices , Mon REVEREND Père, Voftrc trés-humble & trcs-obciflant fervitcur en N. S. P A p i N Miflîonnairc de la Coni!*: pagnie de JESUS. S. 1 U. APPROBATION. J*Ay lu par Perdre de Mon- feigneur le Chancelier , ce nouveau Recueil des Lettres édifiantes ^ curieufes ^ écrites des Millions étrangères ^ -^ar quelques ^ i/Jionaires de la Compagnie de JeftM, Elles m'ont paru méri- ter leur titre 3 &: j'ay crû que Timpreffion en feroit tres-uti- le , & tres-agrëable au Public. Fait à Paris ce 18 Juin mil fept cens onze. R A G u E T , Dodeur en Théologie de la Faculté de Touloufe. PemiUton PermiJJionduR. P, FrcvinciaL JE fouiîîgnë Provincial de la Compagnie dejefus en laPro, vince deFrance,lùivant le pou- voir que j*aire^u de notre Ré- vérend Père General , permets aa Père J. B. Du Halde , de faire imprimer le neuvième Re- cueil des Lettres éditantes ^ ^u^ rieufes ^écrites des MiJJions étran^ gères far quelques Millionnaires de la Compagnie de Je fus , qui a efté lu 6c approuvé par trois Théologiens de notre Compa- gnie. En foydequoij'aifigné la Préiènte. Fait à Paris le huit Avril mil fept cens onze. iouis. François Clavyer. Jjr.Rec. TABLE L Ettre du Père Bouchet à _ Monfeigneur Huety ancien Evefque d'Avrancbes , fur la connoijfance que les Indiens ont eu de la vraye Religion, pag, i Zettre du F ère Bouchet au Père Baltus ^fur les oracles que les T)êmons rendent aux Indes , & fur lefilence de ces mefmes oracles dans les fais où la Religion s'établit. p. ^* Première Lettre du Père Martin au Père de ViUette ^fur les fro^ grés de la Religion dans la Mif Jîon de Madurè, p. 124 Seconde Lettre du Père Martin uk Père de Villette fur le mefme fujet. p, 226 Lettre duPereT)entrecoUes a Mori^ fieur le Marquis de Broif/îa^ fur la mort du Père de Broi^f/za. fon frère MiMonain a la Chi^ ne, p. 304^ Lettre du Père de Chavayiac au Père le Gohien , fur la ferveur , des Chrétiens de la Chine , ^ fur les ohftacles qu^on trouve k. la c$nverfion des Idolâtres. p.32:^ Lettre du Père de Bourgs au Père Etienne Souci et, Biverfès ohfer^ vationsfur les étincelles qui fe découvrent fur la furface de la mer, p. 35^ Lettre du Père Jartoux au Père Tij de Fontaney. Defcription de PEglife de Pékin bâtie dans £* en- ceinte du Palais de l* Empereur. p.376 %ettre du Père Papin au Père le Gohien^ furies Arts ^ fur la Médecine des Indiens, p. 41 ?* Fin de la Table. PRIFILEGE DV ROY. LOUIS PARLA GRACE DE Dieu , Roy de France & de Navarre : A nos amez ôc féaux Confeillers , les Gens te Bans nos Cours de Parlement, Maîtres des Requeftes ordinai- res de nôtre Hoftel , Grand- Confeil , Prévoft de Paris , Bail-- lifs , Senecliaux , leurs Lieute- nans Civils & autres nos Jufti-- eiers qu'il appartiendra: Salut.- Le Père Charles le Go- bien , de la Compagnie de Jésus , Nous ayant fait expo- ïèr qu'il defiroit donner au Pu- blic un Livre intitulé , Lettres" édifiantes ^ curieufcs écrites des Miffions étrangères far quelques MiJjionnaires de la Compagnie de Jefri-s y s'il nous plaifoit luy ac- corder nos Lettres de Privilège fur ce neceflaires. Nous avons permis & permettons par ces Prefences audit Père le Gobien^ de faire imprimer ledit Livre en telle forme , marge , carac- tère & autant de fois que bon lui femblera,6c de le faire ven- dre de débiter par tout notre Royaume pendant le temps de iîx années confecutives , à coynp^ ter du jour de la datte des Pre fente S\ Faifons defFenfes à toutes per^ fonnes de quelque qualité 6c condition qu'elles puiffent être^ d'en introduire d'impreffion é- trangere dans aucun lieu de notre obcilfance j &: à tous Im- primeurs , Libraires & autres , d'imprimer , faire imprimer 6c contrefaire ledit Livre en tout ni en partie , fans] la permillion exprefle & par écrit dudit Ex- pofant 5 ou de ceux qui auront 'droit deluy , à peine de confît cation des Exemplaires contre- faits , de quinze cens livres d'a- mende contre chacun des Con^- trevenans,dont un tiers à Nous^ un tiers à THôtel-Dieu de Pa- ris, ôc l'autre tiers audit Expo- fant,ôc de tous dépens, dom- mages &: interefts. A la charge que ces Prefentes feront enre- giftrées tout au long fur le Re- giftre de la Communauté des Imprimeurs êc Libraires de Pa- ris ,6c ce dans trois mois de la datte d'icelles. Qiie Timpreffion dudit Livre fera faite dans now tre Royaume 6c non ailleurs , '*^^v:& ce en bon papier ôc beaux caractères conformément aux Reglemens de la Librairie , &c qu'avant de Texpofer en vente ^ il en fera mis deux Exemplaires dans notre Bibliothèque publi- que, un dans nôtre Château da Louvre , & un dans celle de nô* tre très-cher de féal Chevalier Chancelier de France le Sieur Phelypeaux Comte de Pont- chartrain , Commandeur de nos Ordres : le tout à peine de nul- lité des Prefentes. Du contenu defquelles vous mandons et ENJOIGNONS défaire jouir l'Ex- pofant ou fes ayans caufe , plei- nement de paifiblement ,. fans foufFrir qu'il leur foit fait aucun trouble ni empefchemens.Vou- LONS que la copie defdites Pre- fentes , qui fera imprimée au commencement ou à la fin du- dit Livre, foit tenue pour dûe- ment fignifiee^ & qu'aux co- pies collationnées par un de nos^ amez ôc féaux Confeiilers de Se- crétaires , foy foit adjoûtée comme à l'Original. Comman- dons auj)remier notre HuilTier ©u Sergent de faire pour i'exe- cution d'icelles tous acfles requis & neceflaires , fans demander autre permiflîon , &: nonobftant clameur de Haro , Charte Nor- mande 5 ôc Lettres à ce contrai- res. Car tel eft notre plaifir. Donne' à Paris le vingt-ieptié- me jour d'Odobre Tan de grâce mil fept cens cinq , &c de notre Règne le foixante - troifîéme» Parle Roy en fon Confeil, Le Comte. Kegiflrè furie Regijlre tio, 2. de la Communauté des Libraires ^ Imprimeurs , fage 43. conformé^ ment aux Reglemensh & notam^ ment à l^Arrefi du Confeil du ly Aoufii^oi. A Paris ce neuvième jour de ÏJovembre mil [eft cens cinq. Signé Gvï.Kin y Syndic. pc rimprimcric delà y. d'Amoinc Lambin, J •^: ;«a9^.. 8^ 00 fcO C\2 O) O > O m ce 73 CD University of Toronto Library DO NOT REMOVE THE CARD FROM THIS POCKET Acme Library Gard Pocket Under Pat. "Réf. Index File" Made by LIBRARY BUREAU